Dans une décision du 30 décembre, le Conseil d’Etat a rejeté les recours de plusieurs associations de défense des droits des étrangers dirigés contre la délibération du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 9 octobre 2015 fixant la liste des pays d’origine sûrs(1). Les associations contestaient notamment le fait que soient regardés comme des pays d’origine sûrs le Kosovo, l’Arménie, l’Albanie, la Géorgie, la Serbie et le Sénégal.
Rappelons que les demandes d’asile déposées par les ressortissants de pays considérés comme « sûrs » suivent une procédure particulière – dite « accélérée » –, qui se caractérise par le fait que l’intéressé ne bénéficie pas d’une admission provisoire au séjour pendant l’instruction au fond de sa demande, mais aussi par un délai d’instruction de l’OFPRA de seulement 15 jours. En outre, en cas de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, celui-ci est jugé par un juge unique et dans un délai plus bref que dans le cadre d’une procédure normale – cinq semaines (contre cinq mois en procédure normale).
Révisée plusieurs fois depuis sa création en 2005 et très critiquée par les associations de défense des étrangers, la liste des pays « sûrs » comprend aujourd’hui 16 pays : l’Albanie, l’Arménie, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Géorgie, le Ghana, l’Inde, le Kosovo, la Macédoine, l’Ile Maurice, la Moldavie, la Mongolie, le Monténégro, le Sénégal et la Serbie.
Pays d’émigration massive, le Kosovo est, ces dernières années, entré et sorti à plusieurs reprises de la liste des pays d’origine sûrs, au gré de décisions du conseil d’administration de l’office annulées ensuite par la justice à la demande des associations. Comme en 2012 ou bien encore, en dernier lieu, il y a trois ans(2), quand, dans une décision du 10 octobre 2014, le Conseil d’Etat a estimé que, « en dépit des progrès accomplis », le Kosovo – « dont les institutions sont encore largement dépendantes du soutien des organisations et missions internationales » – ne présentait pas, à la date de la décision de l’OFPRA contestée par les associations (décembre 2013), les caractéristiques justifiant son inscription sur la liste des pays d’origine sûrs. Les juges avaient notamment pointé « l’instabilité du contexte politique et social propre à ce pays » ainsi que les « violences auxquelles restent exposées certaines catégories de sa population, sans garantie de pouvoir trouver auprès des autorités publiques une protection suffisante ».
Il y avait donc une forme de logique à ce que les associations reviennent à la charge devant la justice en particulier pour contester le retour du Kosovo dès 2015 dans la liste des pays « sûrs ». Mais elles n’ont cette fois pas obtenu gain de cause.
Les Hauts Magistrats ont en effet estimé que la situation de ce pays a évolué favorablement depuis leur décision précédente, basée sur la situation observée en 2013. Ils relèvent ainsi que, à la date de la délibération attaquée, la République du Kosovo était sur le point d’être liée à l’Union européenne par un accord de stabilisation et d’association. Ils notent également que le pays dispose d’institutions démocratiques « dont le fonctionnement régulier a été progressivement rétabli après les élections législatives de juin 2014, lesquelles se sont déroulées de manière libre et pacifique ». Ils soulignent encore que les relations entre le Kosovo et la Serbie se sont améliorées, que le rôle joué par les organisations et missions internationales dans le fonctionnement des institutions de cet Etat a progressivement diminué et qu’un niveau satisfaisant de protection contre les persécutions et mauvais traitements y est assuré. Enfin, le fait que la Commission européenne ait proposé, le 9 septembre 2015, d’inscrire le Kosovo sur une liste commune de pays d’origine sûrs(3), en relevant qu’au moins six Etats membres de l’Union européenne avaient désigné cet Etat comme un pays d’origine sûr, a également pesé dans la décision des sages pour juger que l’OFPRA « n’a pas fait une inexacte appréciation de la situation du pays ».
S’agissant de l’Arménie, de l’Albanie, de la Géorgie, de la Serbie et du Sénégal, le Conseil d’Etat considère que ces Etats disposent d’institutions démocratiques et procèdent à la désignation de leurs dirigeants sur le fondement d’élections libres et pluralistes. L’Arménie, l’Albanie, la Géorgie et la Serbie sont en outre parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ainsi, les magistrats estiment que l’ensemble de ces Etats remplissent les critères fixés par le droit de l’Union européenne et repris par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour être regardés comme des pays d’origine sûrs. Et ce, ont-ils tout de même relevé pour la Géorgie, en dépit de « difficultés persistantes dans l’affirmation de l’autorité de l’Etat et des particularités de la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie ». Ou bien encore, en Arménie, en dépit de « certaines difficultés dans le contrôle des pratiques des forces de sécurité »(4).
(4) Dans un communiqué du 30 décembre, l’association Forum réfugiés-Cosi regrette que le Conseil d’Etat n’ait pas annulé le placement de tous ces pays sur la liste des pays d’origine sûrs, « malgré la documentation émanant d’organisations internationales ou non gouvernementales qui font état des difficultés récurrentes dans ces Etats ».