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Le non-recours analysé sous l’angle du décrochage du droit commun

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Une recherche de l’Odenore met en lumière les enjeux des actions locales de lutte contre le non-recours aux droits, ainsi que leurs conditions et leurs limites.

Comment la question du non-recours est-elle traitée dans l’aide et l’action sociales locales, aux différents échelons des collectivités territoriales ? C’est l’objet d’une enquête de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), dont le rapport final a été publié en novembre dernier(1). Le premier volet de cette enquête, fondé sur l’analyse des réponses à un questionnaire en ligne auquel 670 centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS/CIAS) et 34 départements avaient répondu, avait été rendu public en mars 2015(2). Cette approche quantitative, qui avait permis de dégager les grandes tendances en matière de politiques locales de lutte contre le non-recours, est désormais complétée et affinée par les enseignements d’un séminaire de recherche organisé sur quatre sites choisis pour être des « territoires où les acteurs locaux de l’aide et de l’action sociales ont été parmi les premiers à se saisir de la question »(3). A chaque fois, des entretiens ont été menés avec des acteurs locaux autour de trois questions : quels constats et contextes les amènent-ils à se préoccuper du sujet et quelle définition en retiennent-ils ? « En quoi la notion de “non-recours” est-elle utile et nécessaire pour nommer des réalités et signifier des enjeux pour l’action ? » Enfin, qu’a ou que peut avoir de particulier une action de prévention tant dans ses choix que dans sa mise en œuvre ?

« La découverte par les acteurs locaux qu’une partie de la population décroche du “droit commun” semble expliquer au départ l’intérêt porté à la question du non-recours », écrivent les auteurs du rapport de recherche, coordonné par Philippe Warin, directeur au CNRS et chargé de l’animation de l’Odenore (4). « Les communes, CCAS et conseils départementaux sont inquiets du fait qu’une partie de la population n’accède pas ou plus aux droits sociaux alors que leur réalisation était considérée comme effective. » Cette inquiétude « n’est pas formulée en termes classiques d’inégalités sociales qui se creusent et qu’il faut compenser », mais plutôt en termes de ruptures « entre une population qui demeure dans le périmètre de la protection sociale et une autre qui n’y est plus ou ne parvient plus à y (r)entrer ». Par ailleurs, pour de nombreux acteurs, le fait le plus préoccupant est avant tout que la population en question « ne prête plus d’attention et même n’accorde plus d’intérêt aux dispositifs de solidarité », certains interlocuteurs craignant même qu’une telle situation « nourrisse un phénomène de “dissociété” marquant une rupture, sinon un rejet du lien social ». Dans ce contexte, la lutte contre le non-recours « cherche à maintenir une protection sociale inclusive, par le raccrochage au droit commun des individus et des familles qui s’en éloignent ».

Ce décrochage renvoie à des observations différentes selon les acteurs locaux, qu’ils soient conseils départementaux ou bien communes et CCAS. De même, les initiatives locales pour agir sur le non-recours sont « diverses et éparses », c’est-à-dire qu’elles poursuivent différents objectifs sans que cette action soit « contenue dans un seul plan ou schéma d’action ». On constate cependant que l’action sur le non-recours apparaît souvent au niveau des collectivités territoriales « comme un axe – sinon comme l’axe principal – de leur politique de lutte contre les exclusions, qui elle-même est multipolaire ». Autre constat : « les initiatives des collectivités pour agir sur le non-recours tendent pour bon nombre d’entre elles, et notamment pour celles qui apparaissent comme principales pour les acteurs », à sortir de l’approche habituelle par publics « et donc à passer à une logique populationnelle de l’aide et de l’action sociales ». Enfin, malgré des raisons communes d’agir de façon coordonnée du fait des contraintes, notamment budgétaires, qui pèsent sur les moyens d’action, « la mise en œuvre d’initiatives partagées s’avère compliquée et par conséquent reste rare ».

Un « référentiel d’action »

Si cette recherche a porté sur des collectivités a priori déjà investies sur le sujet, les constats ont conduit les auteurs « à discuter en conclusion de la possibilité d’un “commun” », une notion théorisée par l’économiste américain Elinor Ostrom, rappellent-ils. Autrement dit, à appréhender la lutte contre le non-recours à travers « l’idée de tâche collective et d’obligation commune ». Ce qui consisterait à la considérer comme un « référentiel d’action ». Ce principe impliquerait de « donner la priorité à l’inclusion des populations qui décrochent du droit commun ». Selon les auteurs, « il s’agit alors d’assurer au mieux l’ouverture des droits à des prestations légales et facultatives, mais aussi d’initier des modalités de fonctionnement qui permettent au niveau de chaque acteur mais également entre eux de diagnostiquer les besoins sociaux (par l’observation sociale et d’autres modalités), d’informer sur les prestations (par un travail de/et sur la communication), d’accueillir largement la population (par la domiciliation, un pré-accueil inconditionnel, des dispositifs de guichet, dossier et de quotient uniques), de se porter vers elle (par des pratiques de l’aller-vers) et de distribuer les ressources suivant une logique de l’équité (notamment au moyen de la tarification sociale, d’une coordination entre acteurs dans l’octroi de certaines aides…). »

Autre condition : que « les acteurs disposent d’une grammaire des arrangements institutionnels (Qui fait quoi ?) et organisationnels (Que met en œuvre chacun concrètement ?) qui structure la définition et l’expression concrète des objectifs et des moyens ». Sur ce plan, le rapport a recensé peu d’initiatives partagées, les auteurs estimant que « les histoires politiques locales ne les prédisposent pas nécessairement à collaborer. Quand des ententes sont possibles, les difficultés viennent de la multiplicité des schémas d’action, de la profusion d’accords bilatéraux, de l’absence de pilotage suffisant (le rôle effacé de l’Etat) ou du refus de prendre une compétence (la discrétion des communautés d’agglomération en matière d’action sociale d’intérêt communautaire), de la concurrence dans la recherche de financements au travers des arcanes des appels à projets… Sans oublier non plus la complexité réglementaire du champ de l’aide et de l’action sociales. »

Notes

(1) « L’action, au local, sur le non-recours – Radioscopie des initiatives des collectivités locales » – Disp. sur https://odenore.msh-alpes.fr.

(2) Voir ASH n° 2923 du 4-09-15, p. 20.

(3) Il s’agit de deux communes de plus de 150 000 habitants, d’une commune de taille moyenne (environ 50 000 habitants) et d’un département comprenant aussi des territoires ruraux. Ces collectivités sont implantées dans quatre régions différentes.

(4) Voir la « Rencontre » avec Philippe Warin parue dans les ASH n° 2989 du 23-12-16, p. 32.

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