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« Plans, projets, plateformes… »

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Robert Lafore : Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

On le sait, pour apprécier les mutations des politiques publiques, il faut s’attacher à lire entre les lignes, à repérer les moindres symptômes et à trouver les cohérences qui s’esquissent progressivement dans des constructions institutionnelles qui ne livrent jamais clairement leurs présupposés et leurs intentions. L’action sociale n’échappe évidemment pas à cette règle, peut-être encore moins que d’autres politiques sectorielles, tant elle mêle indistinctement ses héritages et son présent dans un conglomérat d’adaptations plus ou moins circonstancielles. Adeptes de la méthode incrémentale, les réformateurs sont conduits à procéder par modifications et ajouts conduisant à des métamorphoses de long terme dans lesquelles le nouveau paysage ne se laisse entrevoir que tardivement et par petites touches.

Certes, on pressentait bien, à compter de l’invention des politiques dites « d’insertion » avec le RMI, puis à la faveur de la promotion de l’usager en principe organisateur des interventions, puis encore en considérant le modèle implicite « d’inclusion » promu par la loi du 11 février 2005, que le monde structuré autour des établissements, des filières spécialisées de prise en charge, des cloisonnements systématiques entre financeurs, administrations et opérateurs avait vécu. Mais il y a loin d’intentions, d’ailleurs vagues, à la mise en place de nouvelles façons de comprendre les problèmes dont pourraient se déduire des arrangements organisationnels. On ne passe pas facilement, s’agissant d’action collective, du traitement symptomatique des questions à une reconfiguration d’ensemble du cadre conceptuel.

C’est pourtant ce qui s’opère, en soubassement et sans doute à distance des intentions affirmées par les promoteurs des novations. Quelques adaptations récentes sont un signe des transformations, à terme radicales, à l’œuvre. Elles semblent a priori de portée réduite mais leur convergence implicite doit attirer l’attention.

C’est tout d’abord le cas, en matière de protection de l’enfance, que la loi du 14 mars 2016 puis les décrets parus à l’automne ont entendu remodeler, avec la légalisation et le renforcement du « projet pour l’enfant » (PPE)(1). De façon à sécuriser le « parcours » des enfants pris en charge par le dispositif organisationnel et à adapter en continu les interventions à leurs « besoins », ce PPE a vu les conditions de son élaboration, de sa mise en œuvre et de son évolution – tout comme ses articulations avec d’autres instruments – beaucoup plus précisément encadrées par la réglementation. S’affirme ici avec force la logique de l’individualisation systématique des formes de prise en charge, de leur inscription dans une dynamique que l’on veut maîtriser plus rationnellement pour construire un « parcours » qui, idéalement, doit conduire l’enfant ou l’adolescent d’une situation considérée comme négative à la restitution pleine et entière de sa qualité de « sujet » au regard des opportunités et contraintes du monde social.

Dans un autre domaine, celui des personnes dites « en situation de handicap », la loi d’adaptation de la société au vieillissement a introduit un nouvel instrument : le « plan d’accompagnement global » (PAG)(2). Cet outil, qui vise principalement à répondre aux difficultés rencontrées dans l’orientation de certaines personnes et qui complète le « plan personnalisé d’accompagnement du handicap », s’inscrit dans la même logique : individualisation, parcours, adaptabilité et souplesse des réponses… Est à l’œuvre, là aussi, le même imaginaire : à savoir le centrage sur la personne, avec, en conséquence, un changement de perspective pour les organisations et les professionnels. Ce n’est plus à « l’usager » de comprendre les institutions et de s’y adapter, c’est l’inverse.

Dernier symptôme : la montée en visibilité, du côté des formes organisationnelles, des « plateformes de services »(3). Il s’agit là ni plus ni moins que de déstructurer la logique qui avait institué l’établissement dans sa vocation à prendre en charge intégralement tous les aspects de chacune des catégories d’inadaptations telles que construites par les sciences médico-psychologiques, et fait du « placement » le modèle de régulation du système. En lieu et place, les opérateurs doivent se connecter à des réseaux de « services » dont l’accès est commandé par les circonstances singulières qui affectent la situation de chaque personne.

L’ancien « bénéficiaire » de l’action sociale est donc invité à s’inscrire dans cette forme d’individualisme relationnel qui constitue la forme attendue du lien social : « individualisme », parce que c’est la « personne » qui devient la mesure de toutes choses ; « relationnel », parce que c’est dans l’attente, peut-être trop idéalisée et par là illusoire, d’une reconnaissance/construction de lui-même dans le regard des autres, qu’il peut s’instituer dans son individualité.

Notes

(1) Voir ASH n° 2985 du 25-11-16, p. 61.

(2) Voir ASH n° 2960 du 13-05-16, p. 49.

(3) Voir ASH n° 2983 du 11-11-16, p. 20.

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