« Les administrations publiques n’hésitent plus à se tourner vers l’ANSA, ce qui montre qu’elle est désormais considérée comme une référence en matière d’innovation sociale et, de plus en plus, comme un outil au service de la transformation des politiques publiques », se réjouit son président, François Enaud. Créée en janvier 2006 par Martin Hirsch, alors président d’Emmaüs, et Benoît Genuini, ancien président d’Accenture, afin d’expérimenter, d’accompagner et de diffuser les actions innovantes dans le champ social, l’association – qui a fêté ses dix ans le 22 novembre dernier(1) – a, de fait, acquis une expertise reconnue.
Si l’expérimentation du revenu de solidarité active (RSA) lancée à la fin 2007(2) a été son premier chantier, l’agence intervient aujourd’hui sur de nombreuses thématiques liées à la lutte contre l’exclusion (précarité énergétique, microcrédit, logement, insertion professionnelle, accès aux soins, aide alimentaire, accès au numérique, participation des personnes…) avec des partenaires multiples (Etat, collectivités territoriales, associations, entreprises et fondations, Europe).
Sa force ? Une méthodologie solide qui s’appuie sur l’association d’une diversité d’acteurs, la mobilisation des personnes concernées, une intervention à différentes échelles (locale, nationale et européenne) et une vision globale de l’inclusion (logement, santé, énergie…). « Sur le sujet de l’innovation et de l’expérimentation sociale, l’ANSA a été la première à se poser la question de la méthode et à développer un savoir-faire », observe François Enaud.
Le processus débute par le repérage d’un projet innovant, se poursuit par une phase d’observation qui permet d’identifier les blocages et les leviers, puis par l’expérimentation proprement dite qui s’accompagne d’une modélisation de l’action et d’un premier niveau d’évaluation. « Si sa pertinence est validée, nous accompagnons ensuite l’essaimage de l’innovation et sa transposition dans d’autres contextes », explique Michèle Pasteur, directrice générale de l’ANSA, qui insiste sur le fait qu’« aucune innovation n’est possible sans coopération ».
Illustration avec Alimhôtel, une action retenue dans le cadre d’un appel à projets de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement d’Ile-de-France. Destinée à améliorer l’accès à l’alimentation des familles hébergées à l’hôtel, elle est expérimentée dans l’Essonne depuis 2015 grâce à un partenariat qui allie l’expertise en matière d’aide alimentaire de l’association ReVivre dans le monde et l’apport méthodologique de l’ANSA. Dès le départ, l’agence a aidé l’organisation à structurer l’initiative composée de deux volets : le repérage par les travailleurs sociaux des familles logées à l’hôtel et concernées par la précarité alimentaire et la livraison de colis alimentaires. « Notre rôle consiste désormais à coordonner les acteurs de l’accompagnement social des familles et de l’aide alimentaire pour construire une réponse adaptée aux besoins tout en tenant compte des préoccupations de chacun des partenaires », explique Gabrielle Guerin, responsable de projet à l’ANSA. Après une phase de test dans deux hôtels, l’évaluation intermédiaire réalisée par l’agence montre, même s’il faut rester prudent, des effets bénéfiques sur l’alimentation, la santé des personnes et la vie de famille. La troisième étape est désormais sur les rails avec l’objectif d’une dizaine d’hôtels impliqués d’ici à avril 2017. « Alimhôtel est une action multipartenariale particulièrement complexe. Nous adjoindre les compétences en matière de gestion de projet de l’ANSA est donc très profitable », expliquent Alain Jézéquel et Eric Moulin, respectivement bénévole et responsable de ReVivre Ile-de-France.
Même satisfaction au conseil départemental de Gironde, un des 17 départements qui expérimentent la démarche « Agille » – pour « améliorer la gouvernance et développer l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion » – lancée par l’Association des départements de France et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Selon Amelle Ghayou-Migeon, directrice du pôle « solidarité-vie sociale » du conseil départemental, « l’appui pratique et stratégique » de l’ANSA est un atout de taille pour mettre en œuvre cette approche, qui vise à inventer de nouvelles modalités de coopération pour simplifier les parcours et les démarches des citoyens dans les territoires. Dans le cadre de la démarche « Agille », l’agence est en effet chargée d’animer le « club des expérimentateurs », un groupe d’échange de bonnes pratiques qui réunit plusieurs fois par an les représentants des directions départementales de la cohésion sociale et des conseils départementaux impliqués (sur des thèmes comme la coordination des acteurs, la participation, la gestion des situations complexes…). Avec l’idée d’apporter son savoir-faire en matière d’ingénierie sociale selon une logique ascendante, explique Michèle Pasteur : « Nous cherchons toujours à nous faire l’écho des attentes des départements, issues du terrain, dans les instances nationales. »
En Seine-Maritime, l’ANSA collabore avec le conseil départemental sur un projet qui lui tient à cœur : la participation des usagers à l’évolution des politiques sociales. Lors de la création du RSA en 2008, ce département avait mis en place des « groupes ressources » d’allocataires. Afin de relancer le dispositif qui s’essoufflait en l’élargissant à l’ensemble des usagers des politiques sociales, la collectivité a fait appel à l’agence en juillet dernier. « Elle nous avait déjà accompagnés lors de l’expérimentation du RSA en réservant une large place à la participation des professionnels et des usagers. Nous savions ce qu’elle pouvait nous apporter en termes méthodologiques », souligne Rémy Girard, directeur de l’action sociale et de l’insertion. Pour l’heure, l’association se concentre sur l’organisation de rencontres réunissant le maximum d’acteurs concernés. « Cela nous permet de réfléchir ensemble à la meilleure façon de mobiliser les usagers, à une manière efficace de faire remonter aux décideurs les propositions qui émergent des groupes, puis de faire un “retour” aux usagers sur ce qui a été pris en compte ou pas », explique Gabrielle Guerin. « A partir d’un premier “groupe-témoin”, l’idée est de formaliser une sorte de boîte à outils coélaborée avec les usagers pour pouvoir élargir ensuite la démarche à tout le département », explique Rémy Girard.
Parmi les multiples actions engagées par l’agence, citons encore le développement des plateformes de lutte contre la précarité énergétique destinées à coordonner les acteurs locaux pour proposer des solutions en matière de précarité énergétique. Après avoir aidé le centre communal d’action sociale (CCAS) de Grenoble à en monter une, l’ANSA a, en partenariat avec l’Union nationale des centres communaux d’action sociale et le réseau CLER pour la transition énergétique, accompagné l’essaimage de ces plateformes dans les CCAS du Mans, d’Armentières (Nord) et de Malaunay (Seine-Maritime) et le centre intercommunal d’action sociale (CIAS) de Sarlat-Périgord Noir (Dordogne) en 2015. « L’appui humain et technique de l’ANSA nous a permis de structurer les différentes étapes du projet, du diagnostic territorial à la mobilisation des partenaires et des élus jusqu’à la réalisation d’actions concrètes : sensibilisation des relais locaux comme les services d’aide à domicile ou les mandataires judiciaires, repérage des situations de précarité énergétique, formation des professionnels du CIAS, organisation de journées d’information sur les économies d’énergie… », raconte Céline Dagnas, conseillère en économie sociale familiale au CIAS. Par ailleurs, après une journée de restitution en avril dernier à destination des CCAS intéressés et deux journées de formation en juin dernier, l’agence accompagnera d’ici à la fin de l’année quatre nouveaux CCAS. « Cette fois sous une forme plus légère pour les aider à se lancer », précise Lise Marcovici, responsable de projet à l’ANSA.
Malgré les avancées, « faire remonter ce qui se passe dans les territoires est encore très difficile », pointe Michèle Pasteur. Mieux faire connaître et généraliser les innovations sociales reste donc un défi majeur. Aussi l’agence réfléchit-elle à l’importation du modèle des « What Works Centres ». Destinées à diffuser le savoir produit lors des expérimentations, ces instances indépendantes britanniques contribuent à l’amélioration des politiques de solidarité. Preuve de l’intérêt suscité par ces dispositifs en France, l’Agence nouvelle des solidarités actives est soutenue par plusieurs institutions publiques(3), qui y voient un moyen d’améliorer les transferts de connaissances, y compris en leur sein(4).
Si sa légitimité n’est plus à prouver en France, l’association souhaite renforcer son action au plan européen – dans la lignée des trois projets mis en œuvre depuis 2009 avec plusieurs entreprises ferroviaires européennes (dont la SNCF) pour mieux lutter contre la grande précarité dans les gares. Pour Michèle Pasteur, « le défi d’une société inclusive est commun à toutes les nations et, dans un monde pluriculturel, les solutions ne pourront qu’être partagées à l’échelle internationale ».
• 19 salariés ;
• 2 millions d’euros de budget ;
• 43 partenaires financeurs ;
• 6 grands domaines d’activité : gouvernance et participation, minima sociaux et politiques d’insertion, logement-hébergement-précarité énergétique, insertion professionnelle, inclusion financière, égalité des chances-petite enfance et jeunesse.
(1) Lors d’une rencontre à Paris sur le thème « L’innovation et l’expérimentation sociale au service de la transformation des politiques de solidarité » –
(2) Qui a conduit Martin Hirsch au poste de Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté dans le gouvernement « Fillon ».
(3) France Stratégie, le Commissariat général à l’égalité des territoires, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), Santé publique France, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et la Caisse nationale des allocations familiales.
(4) La démarche a été présentée, en partenariat avec le SGMAP, lors de la Semaine de l’innovation publique le 17 novembre à la Gaîté lyrique à Paris.