Certaines personnes ayant droit à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) n’en font pas la demande ou ne recourraient pas aux services auxquels elle permet d’accéder après l’ouverture de leurs droits. Ce constat constitue le point de départ d’une étude qualitative de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur le non-recours à l’APA à domicile (APA-D)(1). Celui-ci est estimé de 20 à 28 %, un taux un peu moindre que celui du non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), qui se situe entre 23 et 36 %, selon une étude récente du Fonds CMU(2), et « nettement inférieur » à celui du revenu de solidarité active (RSA), qui oscillerait entre 36 et 68 % selon le type de RSA (socle, activité, socle et activité).
Quels sont les motifs de ce non-recours ? Pour répondre à cette question, la DREES s’est appuyée sur des entretiens réalisés auprès de professionnels de terrain dans quatre départements (qui ne sont pas cités) : équipes médico-sociales d’évaluation de l’APA, représentants des centres communaux d’action sociale (CCAS), de centres d’information et de coordination gérontologique (CLIC) et d’unités territoriales d’intervention des départements. L’enquête porte principalement sur le non-recours primaire, c’est-à-dire lorsqu’une personne éligible à une prestation ne la perçoit pas parce qu’elle ne l’a pas sollicitée. Le non-recours secondaire renvoie, lui, à la situation dans laquelle une personne éligible demande une prestation mais ne la perçoit pas, soit complètement, soit partiellement. « D’après les professionnels interrogés, le non-recours secondaire est essentiellement dû aux contraintes financières reposant sur le bénéficiaire de l’APA (ticket modérateur et surcoût des services). »
En général, le non-recours primaire est d’abord lié au manque d’information. « La non-connaissance du dispositif est, pour certaines prestations sociales et médico-sociales, le principal déterminant du non-recours », rappelle la DREES. C’est notamment le cas de l’APA, comme ont pu le constater la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dans un avis rendu en 2013 sur l’effectivité des droits des personnes âgées(3) et l’Observatoire du non-recours aux droits et aux services (Odenore) dans une enquête de 2011. Pourtant, le manque de connaissance est considéré comme une raison « marginale » du non-recours à l’APA par la plupart des personnes interrogées dans le cadre de l’étude. « Ce qui apparaît comme une contradiction pourrait de prime abord être lié aux personnes sollicitées, avance l’auteure du dossier, Mélina Ramos-Gorand. Les professionnels soulignent une bonne connaissance du dispositif, quand l’interrogation directe des bénéficiaires potentiels nuance ce constat. En effet, les personnes qu’ils rencontrent dans le cadre de leur profession sont celles qui ont été mises en contact avec eux et qui disposent donc d’informations : leur lecture du phénomène pourrait être biaisée. » Nombre de professionnels sont en outre « convaincus que la non-connaissance des dispositifs par les personnes est palliée par des relais de proximité [mairie, CCAS, CLIC, professionnels de santé…] qui diffusent l’information sur la prestation, au bon moment », à savoir « dès lors que la dépendance augmente ». Au-delà de la non-connaissance de l’APA, c’est aussi sa « mauvaise connaissance » qui, dans les entretiens, « est souvent soulignée comme engendrant du non-recours ». Certaines personnes font l’amalgame avec d’autres aides sociales, telles que l’aide sociale à l’hébergement ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), et des confusions persistent avec l’ancienne prestation spécifique dépendance (PSD), en particulier sur le fait que la PSD était récupérable sur succession, ce qui n’est pas le cas de l’APA. Enfin, certains pensent que cette allocation est soumise à condition de ressources – c’est uniquement son montant qui varie en fonction des revenus – et ne la demandent pas pour cette raison.
« Logiquement, la non-connaissance et la mauvaise connaissance du dispositif APA-D pourraient se résorber après une meilleure diffusion de l’information sur les conditions d’accès et d’attribution de l’allocation », écrit l’auteure. Cependant, « la volonté de mieux informer se heurte à un mouvement contraire : nombre de guichets d’accueil, qui existaient auparavant, sont désormais fermés ». Avant d’ajouter que les professionnels rencontrés « s’interrogent sur l’évolution de leurs pratiques pour diffuser l’information aux bons relais, y compris hors du social, du médico-social, mais aussi du monde sanitaire ». Selon elle, « seule la capacité de l’ensemble des structures de proximité à porter l’information pourra diminuer le non-recours par non ou mauvaise connaissance » de la prestation.
Autres motifs de non-recours, ceux liés au fonctionnement du dispositif. A commencer par la démarche à réaliser pour obtenir l’APA-D : celle-ci peut en effet « symboliquement coûter cher », relève l’auteure, soulignant « le sentiment de disqualification sociale » qu’elle peut entraîner. Trois éléments sont développés dans l’étude sur ce point : tout d’abord la conception de l’APA-D comme une aide en nature induisant des contraintes pour le bénéficiaire (en termes d’horaires, le fait d’accepter une « présence “étrangère” peut être psychologiquement difficile »…). Deuxième élément : le reste-à-charge qui incombe à l’allocataire. Le ticket modérateur serait ainsi une source de non-recours partiel, poussant les personnes ayant des revenus modestes à recourir à un plan d’aide moins important que celui auquel elles pourraient prétendre. « Les pouvoirs publics considèrent comme déterminantes les problématiques liées au reste-à-charge : la réforme de l’APA inscrite dans la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement devrait réduire les tickets modérateurs des personnes aux plans d’aide les plus lourds. »
Outre le ticket modérateur, « les surcoûts des services par rapport au tarif de référence du département font également l’objet de discussions entre les professionnels rencontrés ». De plus, il y a les contraintes liées aux procédures administratives : si le dossier relatif à la demande d’APA est considéré comme « simple » par les professionnels, pour les personnes « les questions posées sont vécues comme intrusives, en particulier concernant les revenus ». Cela en dissuaderait certaines de solliciter la prestation. Des interlocuteurs ont également souligné la « difficile reconnaissance de la dépendance, en particulier pour les personnes atteintes d’une pathologie cancéreuse, et plus largement quand la dépendance est temporaire ou fluctue de manière chronique ».
Pour terminer, l’étude de la DREES pose « la question des limites de la liberté individuelle et de l’intervention publique proposée à ceux qui ne demandent rien ou sont réticents à accepter l’offre », une problématique soulevée par les professionnels directement en contact avec les personnes et qui interroge leur positionnement et leurs pratiques. En effet, les personnes, y compris lorsqu’elles sont dépendantes, « peuvent être autonomes dans leurs décisions et donc capables de choisir par elles-mêmes de ne pas recourir à l’APA, au profit d’une aide familiale, une décision qui peut s’appuyer sur des motifs aussi divers que le devoir moral, la crainte du changement des habitudes, ou la simplicité pour l’entourage ou la personne elle-même ».
Si ces différents facteurs pouvant expliquer le non-recours « n’appellent pas tous une réponse des acteurs publics », les conseils départementaux, chargés de diffuser l’information relative à l’APA, ont cependant un « rôle essentiel à jouer » pour pallier la méconnaissance partielle ou totale du dispositif, souligne l’auteure en conclusion. D’autres échelons institutionnels peuvent également être mobilisés, tels que le législateur et le ministère des Affaires sociales, afin d’« appréhender les décalages entre leurs intentions et la réalité de la prestation » et de les corriger. Quant aux acteurs de proximité (CCAS, CLIC, travailleurs sociaux de la polyvalence de secteur, aides à domicile…), leur place est déterminante pour respecter le choix de la personne tout en sachant déterminer « la limite à partir de laquelle l’intervention est nécessaire », sous peine de mettre en danger la personne âgée dépendante ou ses proches aidants.
(1) « Le non-recours à l’APA à domicile vu par les professionnels de terrain – Entre contraintes et expression du choix des personnes âgées » – Mélina Ramos-Gorand – Les dossiers de la DREES n° 10 – Décembre 2016 – En ligne sur