Les groupes d’entraide mutuelle (GEM) ont des degrés d’autonomie très variables. A un bout de la chaîne, on trouve les GEM autogérés sur le plan administratif et financier, assurant le recrutement des salariés et décidant pleinement des orientations de l’association. A l’autre extrémité, figurent les GEM adossés à une association gestionnaire en charge des salariés du GEM, des locaux et de la gestion des subventions.
Les premiers, qui s’inscrivent pour la plupart dans une logique d’empowerment et de pouvoir d’agir des membres, sont souvent issus de collectifs existant avant la loi de 2005. A l’instar de Vannes-Horizons (Morbihan)(1) constitué en 1997 à l’initiative de l’antenne locale de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam). Au terme d’un long processus, entamé au début des années 2000, une association a émergé composée exclusivement d’usagers – au départ, les bénévoles (travailleurs sociaux, retraités, proches…) pouvaient y adhérer – et s’est coulée ensuite dans le statut de GEM. Par la suite, une réflexion sur la place des différents administrateurs de droit (la municipalité de Vannes, l’établissement public de santé mentale Saint-Avé, Vannes Agglo et une importante association médico-sociale, Le Moulin Vert) a amené les adhérents à limiter leur vote à un avis consultatif. Le parcours du « Bon Cap » à Lannion (Côtes-d’Armor) est similaire : né en 2004, le collectif s’est naturellement transformé en GEM, parrainé par la Fnapsy, en 2005. Depuis, l’association – qui compte environ 90 adhérents à jour de leur cotisation – a conservé son autonomie et fonctionne sans association gestionnaire. « Même si nous nous faisons parfois épauler par un organisme comptable, nous sommes indépendants quant à notre gestion, la trésorière ayant suivi une brève formation en comptabilité », explique Pierrick Le Lœuff, le coordinateur du GEM, éducateur spécialisé de formation.
Les seconds, souvent créés après 2005 par d’importantes associations sociales ou médico-sociales, ont globalement une marge de manœuvre plus limitée. Il n’est pas rare, par exemple, que le local mis à disposition par le gestionnaire soit mutualisé avec d’autres services – alors que, dès 2011, le cahier des charges indiquait que le GEM doit disposer de locaux « bien identifiés et en tout état de cause distincts des lieux de soins ou d’accompagnement médico-social ». Quant aux professionnels du GEM salariés par le gestionnaire, ils sont souvent dans une position incertaine : « Ils ont des comptes à rendre au président du GEM tout en étant sous la responsabilité de leur employeur. En matière d’amplitude horaire, par exemple, le planning de travail du gestionnaire ne correspond pas toujours aux besoins du GEM », relève Pierrick Le Lœuff. Se pose également, selon ce dernier, la question de la transparence financière : « Les subventions versées aux GEM sont supposées être fléchées[2] mais ce n’est pas toujours le cas et l’argent peut éventuellement être utilisé par d’autres services du gestionnaire. »
« Les GEM sont un outil formidable qui permet aux personnes d’être acteurs et de retrouver leur dignité, à condition de les accompagner, pas de les infantiliser. Mais jusqu’à quel point leur laisse-t-on les rênes ? », interroge, pour sa part, une animatrice qui a préféré garder l’anonymat. Cette dernière déplore que les décisions concernant son GEM soient prises directement par la fondation gestionnaire dont elle est salariée, en lien avec le parrain du GEM, en évinçant les adhérents. « Notre GEM risque à terme d’être transformé en un service médico-social comme un autre. » Pour sortir de cette situation, l’association envisage l’autogestion. « Les adhérents sont motivés, ils ont envie d’aller de l’avant. Les freiner serait un retour en arrière, il faut leur faire confiance », poursuit-elle. Aussi le GEM s’est-il rapproché du Collectif national inter-GEM tout en s’investissant dans des rencontres entre GEM pour permettre aux adhérents d’approfondir leurs réflexions.
Pour d’autres groupes d’entraide mutuelle adossés à un gestionnaire, la marche vers l’autonomie se déroule plus sereinement. C’est le cas pour le GEM Phœnix à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) créé en février 2006 à l’initiative du centre social Sagadian – qui perçoit, aujourd’hui encore, la subvention et recrute le personnel du GEM. Cécile Bleau-Vitalis, la coordinatrice du GEM, assistante sociale de formation, a accompagné le groupe pendant trois ans avant qu’il ne se transforme en association en octobre 2009. « Pendant deux ans, l’essentiel de mon travail a consisté à faire connaître le GEM et à mettre en place une dynamique de groupe pour que les personnes intéressées se saisissent du projet et s’impliquent. Puis, pendant un an, nous avons travaillé sur le cahier des charges et sur le fonctionnement associatif. » Si, à l’heure actuelle, l’association n’est pas encore complètement autonome, cela reste un objectif… qui se rapproche : « Cette année, j’ai été absente six semaines d’affilée, le GEM a tourné sans moi – ce qui prouve que c’est possible », se réjouit Cécile Bleau-Vitalis.
(1) Ce GEM a réalisé un film Hors les murs – Démocratie et santé mentale primé par la Fondation de France –
(2) Le cahier des charges précise qu’en cas d’appui d’une association gestionnaire, « il est impératif que le GEM concerné fasse l’objet d’une gestion spécifique et distincte ».