Un drôle de Samaritain

Adeptes du politiquement correct, passez votre chemin… Ici, pas de compassion condescendante ni de travailleur social héroïque. Troisième roman du Californien Jonathan Evison, ces Fondamentaux de l’aide à la personne revus et corrigés débordent de vie dans tout ce qu’elle a de cabossé, d’inattendu et de tortueux. Le narrateur, Benjamin Benjamin, est un quadra américain fauché, dévasté par un drame familial – dont le dénouement tient le lecteur en haleine tout au long des 350 pages. Au chômage, cloîtré dans un minuscule appartement dépouillé de tous les souvenirs de sa vie d’avant, il ne survit que grâce à l’aide de son meilleur ami, d’une fidélité sans faille. Autant dire que Benjamin Benjamin n’a pas vraiment le profil du bon Samaritain. Aussi, après avoir suivi une formation de vingt-huit heures pour apprendre « à poser un cathéter et à éviter un procès », n’attend-il pas grand-chose d’un job dans l’aide à la personne. Sa rencontre avec Trevor Conklin, un garçon de 19 ans déformé par la myopathie de Duchenne, va pourtant changer leur vie à tous les deux. De blagues graveleuses en sessions télé devant la chaîne météo, de distribution de cachets en discussions tendues avec la mère de Trevor, tous deux nouent une complicité inattendue. Jusqu’au jour où Benjamin Benjamin parvient à convaincre Elsa, la mère, d’autoriser un road trip à travers les Etats-Unis, de Seattle jusque dans l’Utah. L’occasion pour chacun de trier entre ses souvenirs et ses aspirations, de solder les dettes du passé et de s’ouvrir à d’autres antihéros rencontrés en chemin. Porté par une écriture fluide et rythmée, le récit de Jonathan Evison – qui a lui-même été un temps aide-soignant – donne de l’épaisseur à chaque personnage, sondant le cœur de chacun et explorant leurs relations pour en dépeindre toute la complexité. Le résultat est un beau roman qu’on lit d’une traite, profond et attachant(1).