Un cri de colère, une plongée âpre dans la terrible réalité de tous ces abîmés de la vie qu’il côtoie au quotidien, et un regard souvent sans concession sur les institutions et la tâche immense et parfois décourageante des travailleurs sociaux… Le moins que l’on puisse dire est qu’il faut prendre son souffle avant d’entrer dans l’univers que décrit Fabrice Garnier dans ce Récits des « sans histoire ». On y croise Jeannine, « la terrible, l’ignoble, l’abominable », dont l’agressivité et les débordements imprévisibles ont fini par décourager nombre d’intervenants ; Philippe, un ancien étudiant en Maths sup qui a été interné après une crise violente, entend des voix et dit être relié par la pensée aux radars de la DST ; et tous ces autres « stagnants inactifs », épuisés par la souffrance psychique, les addictions, la misère, et fauchés bien avant le commun des mortels. Et puis il y a aussi les collègues et les partenaires débordés ou qui ont baissé les bras, ceux encore que l’auteur nomme les « professionnels de la relation » ou les « experts en altruisme », qui ne laissent aucune place aux sentiments. On le voit, l’éducateur spécialisé a retiré de ses nombreuses années passées dans le monde de la tutelle adulte une vision de son travail qui peut paraître extrêmement sombre et désabusée. « On tente, petits bricoleurs de l’impossible, de lutter, avec nos armes », explique ainsi Fabrice Garnier, avant d’ajouter, fataliste : « Autant vouloir arrêter les flots du fleuve, quand la digue a pété, avec des bandes de cartons. » Ce serait pourtant une erreur de s’arrêter à un cynisme de façade, qui ne peut dissimuler au fil des pages la tendresse de l’auteur pour nombre de ces naufragés et la satisfaction d’avoir aidé certains d’entre eux, pour un temps au moins, à reprendre pied, à souffler un peu. Comme François, le clochard aux cheveux hirsutes qui « illumine les matins » de l’éducateur spécialisé, ou Jeannine, qui finira par trouver une forme d’apaisement dans son nouveau logement adapté. De petites victoires, mais qui prouvent malgré tout que le carton peut contenir un temps l’eau du fleuve…
Récits des « sans histoire ». Chroniques d’un travailleur social ordinaire
Fabrice Garnier – Ed. Edilivre – En format papier (17,50 €) ou PDF (1,99 €) –