L’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) et EAPN France (branche française du Réseau européen de lutte contre la pauvreté) ont présenté, le 15 décembre, leur réponse à la consultation publique de la Commission européenne sur le « socle européen des droits sociaux », lancée le 8 mars dernier et qui sera clôturée le 31 décembre(1). La veille, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait adopté son avis sur la question, tandis que le rapport d’information du député (PS) Jean-Patrick Gille, qui a servi de base à la proposition de résolution européenne sur le socle européen des droits sociaux, a été adopté par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 6 décembre. Ce concept de « socle européen des droits sociaux », mis en avant en septembre 2015 par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, devrait servir de cadre de référence pour évaluer les performances des Etats membres en matière d’emploi et d’inclusion sociale.
Comme l’a expliqué le président de l’Uniopss, Patrick Doutreligne, cette consultation, dont l’ensemble des contributions viendront alimenter un « livre blanc » de la Commission européenne attendu pour mars 2017, s’inscrit dans un contexte marqué par un certain nombre d’éléments préoccupants, qu’il s’agisse de la hausse de la pauvreté ou du creusement des inégalités. Sur le plan politique, la montée des nationalismes, des populismes et du protectionnisme « renforce l’importance d’une telle consultation », a-t-il ajouté, avant de livrer deux chiffres significatifs : « Un Européen sur quatre est en risque de pauvreté et 20 millions de personnes sont au chômage. » Pour le président de l’Uniopss, « il est fondamental de dire que pour que l’Europe ne soit pas qu’un marché unique, il faut que l’Europe sociale se crée. »
De son côté, Guy Janvier, président d’EAPN France, a jugé « paradoxal que l’on attaque l’Europe sur le fait qu’elle se désintéresse de la pauvreté », rappelant que la question de la lutte contre la précarité est évoquée, certes parfois en filigrane, dans plusieurs textes fondateurs de l’Union européenne, en particulier le traité de Rome du 25 mars 1957, la Charte européenne des droits fondamentaux mise en œuvre par le traité de Nice de 2000 ou encore le traité de Lisbonne de 2009, qui comporte notamment un paragraphe sur la lutte contre l’exclusion. « Malheureusement, cet objectif de lutte contre la pauvreté n’est pas du tout une réalité », a-t-il souligné, signalant que l’objectif, fixé en 2010, de compter 20 millions de personnes pauvres en moins d’ici à 2020 sera difficilement atteint puisqu’on en est à 7 millions en plus.
Les principales propositions d’EAPN France portent sur l’instauration, dans tous les Etats européens, d’un revenu minimum, d’un salaire minimum et d’une assurance chômage nationale. Concernant la première suggestion, « l’idée n’est pas d’avoir le même revenu minimum partout, mais que, par une directive-cadre, on définisse des critères partagés sur ce qu’est un revenu minimum adéquat, qui peut y recourir, dans quelles conditions, en référence à quoi il devrait être calculé… », a commenté Jeanne Dietrich, conseillère technique emploi-logement à l’Uniopss et représentante d’EAPN France au sein du groupe « stratégies européennes d’inclusion sociale » d’EAPN Europe. EAPN propose ainsi que le montant du revenu minimum soit calculé, dans chaque pays, par rapport au seuil de pauvreté, en tenant compte des budgets de référence nationaux et qu’il permette « d’avoir accès aux services indispensables pour une vie digne ». Des domaines qui ne sont pas de la seule compétence nationale et dans lesquels l’Europe peut intervenir, a souligné la conseilllère technique de l’Uniopss. Et cela sans toucher aux traités européens. « Le cadre juridique n’est pas du tout un frein », a-t-elle ainsi indiqué, rappelant qu’une recommandation du Conseil de l’Europe de 1992 « précise qu’il doit y avoir des critères communs de ressources et d’assistance sociale dans les systèmes de protection sociale partout en Europe ».
Pour le salaire minimum, même principe : il ne s’agit pas qu’il soit identique partout. EAPN recommande néanmoins « un cadre européen contraignant », avec, comme référence, 60 % du salaire moyen national. En revanche, « pour cela, il serait nécessaire de changer les traités et que chaque pays s’astreigne à le mettre en place », a souligné Jeanne Dietrich. Quant à la création d’une assurance chômage dans chaque pays européen, cela constituerait « un changement majeur qui rendrait crédible la mobilité des travailleurs au sein de l’Europe », selon EAPN. Pour atteindre ces trois objectifs, le Réseau européen de lutte contre la pauvreté propose « la sacralisation d’une ligne budgétaire, au sein du budget européen ».
Autant de mesures soutenues par l’Uniopss, qui les a complétées par des propositions ayant trait plus largement au champ social et médico-social. Comme l’a expliqué Morgane Dor, conseillère technique Europe-vie associative à l’Uniopss, la réponse de l’union interfédérale à la consultation est ainsi « composite » et bâtie à partir des travaux menés en partenariat avec différentes organisations. « Sur la partie « lutte contre l’exclusion », nous avons travaillé en lien avec EAPN, mais aussi avec le réseau AGE [qui regroupe près de 150 organisations de personnes âgées à travers l’Europe], le CFHE [Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes] et la CNAPE [Convention nationale des associations de protection de l’enfant], qui est membre d’Eurochild, sur les sujets liés respectivement aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la protection de l’enfance », a-t-elle détaillé. Parmi les propositions phares de l’Uniopss : la prise en compte du caractère transversal du handicap dans le socle européen des droits sociaux ou encore la fixation de l’âge de départ à la retraite en lien avec la notion d’« espérance de vie en bonne santé ». L’union a également pris position en faveur du maintien et de la défense de services sociaux d’intérêt général (SSIG) forts. Ces derniers sont en effet « primordiaux pour atteindre les objectifs fondamentaux de l’UE, tels que la cohésion sociale, économique et territoriale, un niveau élevé d’emploi, d’inclusion sociale et de croissance économique, comme souligné par l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », indique l’organisation, qui suggère notamment de mettre en place un centre de ressources européen sur les services sociaux d’intérêt général, de « favoriser la diversité des modes de contractualisation entre les financeurs publics et les acteurs de l’action sociale en matière de SSIG, et [de] leur laisser une liberté d’initiative en évitant le recours systématique aux marchés publics ».
Guy Janvier a souligné que cette consultation et le « livre blanc » qui en découlera constituent une réelle « opportunité », en particulier pour lutter au niveau européen contre les inégalités qui sont les principales « entraves à la croissance ». Ce, alors que « dans les programmes des candidats à la présidentielle que nous avons pu consulter, il y a une vraie propension à penser que la relance économique est le seul moyen de lutter contre la pauvreté et le chômage. C’est une théorie néolibérale qu’on traîne depuis 50 ans alors que cela n’a jamais permis une vraie redistribution. » D’où l’intérêt d’un socle européen des droits sociaux, sur lequel, comme l’a constaté Morgane Dor, « il y a une vraie convergence » entre les propositions de l’Uniopss et d’EAPN et ce qui a été porté par le CESE dans son avis rendu public le 14 décembre.
La présentation de sa réponse à la consultation sur le socle européen des droits sociaux a été l’occasion pour le président d’EAPN France, Guy Janvier, d’esquisser le programme de travail de son organisation pour l’année à venir. Celui-ci va porter sur l’aide alimentaire. « Nous allons travailler en lien avec des grandes associations, dont l’Uniopss, mais aussi des chercheurs, notamment Dominique Paturel, de l’Institut national de la recherche agronomique », a-t-il annoncé. L’objectif est d’évaluer la façon dont fonctionne le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et de voir comment cette aide peut se traduire par « un droit alimentaire durable pour tous », a expliqué Guy Janvier. Ou comment s’emparer des ressources de ce fonds (3,50 milliards d’euros sur la période 2014-2020, dont 90 millions pour la France) pour « développer une agriculture plus durable, de proximité, pour que les gens aient une alimentation correcte ». Un groupe de travail sera mis en place début 2017 sur cette question et une réunion sera organisée en octobre à Lille pour présenter des « propositions claires de modification de la réglementation du FEAD », a ajouté le président d’EAPN France. A noter que son organisation a également saisi l’occasion de la publication de sa contribution pour lancer son site Internet (
(1) La consultation était ouverte aux particuliers, aux organisations et aux autorités publiques – Plus d’informations sur