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Plateformes de services : une révolution factice ?

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Alors que Jean-René Loubat invite les acteurs à abandonner le fonctionnement institutionnel classique pour s’engager dans des plateformes de services(1), Hassan T’Ber, directeur adjoint d’un établissement pour adultes handicapés, souligne les dangers d’une rupture aussi radicale. Il y voit un état d’esprit favorable à la marchandisation des services.

« Le phénomène des transformations organisationnelles auquel doit faire face le secteur médico-social n’est pas nouveau. Le changement semble être une constante dans son histoire. En règle générale, en fonction du contexte et des objectifs qu’elles se donnent, les institutions adoptent une structuration fonctionnelle pour répondre aux besoins des publics accueillis et en tirent des comportements stratégiques appropriés.

Chaque configuration d’action se stabilise dans une temporalité relative. Elle est perturbée par des remises en cause structurelles, dites “révolutionnaires”, plus ou moins massives, accompagnées de processus de transformation. Or, face à ces transformations, trop d’experts autoproclamés défendent une utopie constructiviste, en soulignant les aspects dépassés du système d’action des établissements du secteur médico-social.

C’est ainsi qu’aujourd’hui ils invitent à substituer progressivement à la filière des établissements et services des « plateformes de services » proposant des services à la carte et rendant caduque la logique institutionnelle classique. Selon ces experts, ces « organisations intelligentes » et la « réingénierie » qui les accompagne s’inscriraient dans une évolution naturelle du secteur médico-social, voire traduiraient une révolution en marche. Or un tel processus repose sur la marchandisation des services avec des usagers clients et sur une nouvelle organisation du travail. Avec le risque d’assujettir les valeurs humaines, éducatives, relationnelles du travail social à des fins matérielles.

Les défenseurs de ce nouveau modèle assurent pourtant que la réingénierie, qui vise à reconceptualiser l’organisation, créera de la valeur ajoutée avec une amélioration de l’efficience globale de la qualité et une réduction des coûts par la mutualisation des ressources. Reste que la notion de « valeur ajoutée » dans le secteur médico-social est subjective, complexe et équivoque. L’admettre, c’est accepter de concevoir qu’il n’y a pas une seule mais plusieurs rationalités à l’œuvre et que “se débarrasser de vieux concepts” n’entraînera qu’un gain somme toute relatif.

En effet, mettre en œuvre, dans le secteur médico-social, un processus de rupture conceptuelle implique auparavant d’en comprendre le sens. Or décrire celui-ci, débattre des solutions retenues, des marges de manœuvre que se donne l’organisation, des éléments de structure et des politiques de ressources humaines est une activité hautement complexe qui sort des schémas de pensée traditionnels. Mais, sans cet exercice, la tâche sera difficile tant pour les travailleurs sociaux que pour les managers. Car l’adhésion des acteurs au projet de changement structurel se construit au fil des usages. Une piste d’action peut très bien être acceptée dans sa formulation et très mal vécue dans sa mise en œuvre et inversement. Tel est bien le devoir de critique qui s’impose à quiconque veut observer, analyser et comprendre, les notions de « plateforme de services » et de « réingénierie ». Y renoncer serait abdiquer toute liberté d’esprit face aux théories des experts. Soyons sceptiques et évitons de nous joindre au chœur des laudateurs. Soyons irrévérencieux et ne participons pas au vaste concours des déconstructeurs institutionnels du secteur médico-social !

Dimension « commerciale »

Le maintien de la cohésion institutionnelle est la nouvelle étape à franchir dans la longue histoire ininterrompue d’un travail social qui aspire à mettre l’accompagnement au service, non pas seulement des usagers, mais aussi de leurs familles et de leur entourage. Car le nouveau système tente d’instaurer un nouvel esprit où la dimension “commerciale” accompagnerait la prestation de service servie à l’usager.

Nécessité faisant loi, la forme actuelle de la plateforme de services semble s’imposer aujourd’hui. Tout l’enjeu pour le secteur médico-social dans les prochaines années sera de repérer ce que recouvre explicitement ce mouvement de déconstruction institutionnelle et de dépassement du concept d’“établissement”. Ce qui amènera probablement à découvrir ce qu’ont de fictif ces théories “révolutionnaires” élaborées par les experts…

Une révolution, a écrit Victor Hugo, est un retour du factice au réel.” »

Notes

(1) Voir sa tribune libre dans les ASH n° 2979 du 14-10-16, p. 28.

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