« Ce que j’aime dans le management, c’est convaincre, emmener les gens, résume Armelle de Guibert. Aux Petits Frères des pauvres, je n’ai aucun pouvoir hiérarchique sur les bénévoles, qui jouent pourtant un rôle essentiel [NDLR, ils sont 11 000 pour 577 salariés]. Je ne suis rien pour eux, et donc, pour travailler ensemble, il faut constamment utiliser d’autres leviers : le bon sens, l’écoute, le dialogue, le participatif… » Des outils dont la jeune femme – nommée cet été, à tout juste 40 ans, déléguée générale de l’organisation – a justement fait sa marque de fabrique.
Après un « faux départ » dans les ressources humaines au milieu des années 1990 – « un premier boulot où on me demandait de licencier en nombre pour externaliser une plateforme téléphonique en Irlande, alors que l’entreprise faisait des bénéfices », s’indigne-t-elle encore dix-neuf ans après –, la jeune Bretonne s’est en effet rapidement réorientée vers le secteur sanitaire et social. « Cela correspond à une fibre que j’ai depuis toujours, probablement parce que j’ai été “de l’autre côté” », ayant vécu moi-même cinq ans en maison d’enfants à caractère social et deux ans en famille d’accueil. »
Diplômée de sciences politiques et de deux masters (l’un en communication sociale et ressources humaines, l’autre en économie et gestion des services de santé), Armelle de Guibert est passée en 2000 par l’Ecole nationale de la santé publique de Rennes (devenue depuis l’EHESP). « J’étais intéressée par la direction d’hôpital, mais j’ai perçu que je n’aurais pas la possibilité d’influencer la prise en charge des patients, alors que, dans le social, le directeur peut vraiment faire évoluer la prise en charge des personnes vulnérables. »
A sa sortie de l’école, jeune diplômée et déjà mère, Armelle de Guibert enchaîne les postes parisiens, d’abord adjointe puis directrice de différents centres d’hébergement et de réinsertion sociale ou d’hébergement d’urgence. « Là, j’ai compris qu’on acquérait sa légitimité dans les périodes de crise, que ce soit lors de la gestion des urgences dans les temps d’astreinte ou de la reprise en main de services en difficulté. » Naturelle et d’un abord facile, la directrice n’en révèle pas moins une main de fer dans un gant de velours, lorsqu’il le faut… « Il m’est arrivé de poser des sanctions disciplinaires, voire de licencier, observe-t-elle simplement. J’aime profondément les gens, mais je sais aussi poser les limites. »
En 2010, Armelle de Guibert débarque chez les Petits Frères des pauvres. A la tête de la Fraternité Paris-Saint-Maur, elle découvre un service en grande difficulté. « Il n’y avait plus eu de réelle direction durant les six mois précédant mon arrivée, les salariés et les bénévoles étaient en plein clash et les deux chefs de service partaient en formation au même moment, se souvient-elle. Mais j’ai adoré le travail que nous avons produit. » La nouvelle directrice propose une méthode en trois temps (évaluation, diagnostic fonctionnel, élaboration collective du projet) et en groupes de travail auxquels elle associe d’emblée les personnes accompagnées. De manière à éviter que bénévoles et salariés ne se renvoient la balle.
« Je crois que sa signature, c’est un art de la maïeutique, une capacité à faire naître chez l’autre des idées pour améliorer le fonctionnement d’un projet ou d’une équipe », résume ainsi Mustapha Djellouli, éducateur spécialisé et chef de service, qui a travaillé auprès d’Armelle de Guibert au centre d’action sociale de la Ville de Paris avant d’intégrer lui aussi les Petits Frères. Sur ce plan, la mission de la jeune déléguée générale ne devrait pas manquer d’être riche, puisqu’elle doit désormais accompagner le projet de déconcentration et de régionalisation de l’organisation, dessiné par son prédécesseur, Jean-François Serres.