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Appels d’offres : se structurer pour gagner

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Qu’ils soient publics ou privés, ouverts ou réservés, les appels d’offres représentent un potentiel de développement pour les structures du handicap et de l’insertion. A condition de savoir animer leur réseau d’acteurs et de mettre en valeur leur plus-value sociale.

Nombre de directeurs les appellent encore les « marchés sous article 15 ». Pourtant, voilà déjà huit mois – depuis la réforme de la commande publique, entrée en vigueur le 1er avril dernier(1) – que les marchés réservés ont glissé à l’article 36 du nouveau code des marchés publics (CMP). Autrefois limité aux ESAT et aux entreprises adaptées (EA), l’accès à ces marchés s’est, dans le même temps, ouvert aux structures de l’insertion par l’activité économique (IAE) et aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (article 37). Difficile, pour l’instant, de mesurer les effets de la réforme. Une chose est sûre, une « grosse marge de progression demeure », estime Franck Bernard, chargé de mission « responsabilité sociétale des entreprises » à l’UNEA (Union nationale des entreprises adaptées). « En moyenne, on dénombre chaque année à peine 700 marchés réservés au STPA [secteur du travail protégé et adapté], explique-t-il. Par rapport à l’ensemble des appels d’offres publiés, c’est très peu. »

Les atouts de la commande publique

Traditionnellement, les structures du STPA travaillent plutôt avec des clients privés. La commande publique présente pourtant de nombreux avantages : « Les appels d’offres passés par les collectivités sont souvent pluriannuels, ce qui permet de planifier le travail et de sécuriser le chiffre d’affaires », explique Aurélie Berlioz, responsable des relations avec les adhérents du réseau GESAT. Au plan qualitatif, cette visibilité facilite la construction des parcours des travailleurs, l’organisation de formations ou l’amélioration des postes de travail. L’exigence des clients publics sur l’exécution des prestations constitue également un bon levier d’amélioration, remarque Gilbert Epplin, directeur des Ateliers Sinclair, une entreprise adaptée associative située à Mulhouse (Haut-Rhin) : « Le conseil départemental, par exemple, est très vigilant sur les règles de sécurité ou l’utilisation de produits d’entretien à faible impact écologique. Cette exigence rejaillit sur l’ensemble de l’entreprise. »

En dépit de ces atouts, nombre de structures redoutent encore de sauter le pas. Principal frein ? Le formalisme des procédures. « Une telle crainte n’est pas vraiment fondée, soutient Gilbert Epplin. Certes, la part administrative peut rebuter. Mais une fois qu’on a passé le premier exercice, on s’aguerrit et ça n’apparaît plus comme une montagne infranchissable. » D’autant que les donneurs d’ordres sont tenus à la transparence, rappelle Aurélie Berlioz : « Rien n’empêche un fournisseur de demander de l’aide ou des explications à l’acheteur public. La seule obligation étant que les compléments donnés à un candidat soient diffusés à tous. »

Informer les acheteurs sur le travail protégé et adapté

Stratégiquement, les échanges avec les acheteurs, publics comme privés, devraient d’ailleurs avoir lieu en amont. Premier intérêt : ouvrir l’horizon des donneurs d’ordres, en élargissant leur connaissance du STPA ou de l’insertion par l’activité économique et de leurs prestations – souvent réduites à tort aux espaces verts, à la propreté ou au conditionnement. Deuxième effet : permettre aux acheteurs, par une connaissance plus fine de la structuration des filières, de mieux dimensionner leur cahier des charges. C’est ainsi que l’Office national des anciens combattants, décidé il y a trois ans à relocaliser la production de son Bleuet de France(2), s’est livré auprès du réseau GESAT à un sourçage anticipé. « Ils recherchaient des établissements capables d’assurer des prestations d’impression, de plasturgie, de façonnage et de montage », se souvient Emmanuel Verrière, directeur de l’ESAT-EA Visa pour l’entreprise, à Vichy (Allier). Après d’intenses discussions d’ordre technique, ce « marché structurant » a été confié à quatre structures, associées au sein d’un groupement momentané d’entreprises. « Autre exemple : une grande banque partenaire de l’UNEA impose aux entreprises de services du numérique de lui soumettre des offres en cotraitance avec des entreprises adaptées », cite Franck Bernard. Des pratiques vertueuses, qui soutiennent le développement des compétences et la diversification des prestations.

Etablissements et entreprises n’ont aucun intérêt à s’en tenir aux marchés réservés, avertit cependant Justine Jourdain, chargée de développement à la Fédération des entreprises d’insertion (FEI). « Cela ne favorise pas la normalisation, en particulier des entreprises d’insertion et de celles de travail temporaire d’insertion, positionnées sur le secteur marchand et concurrentiel », estime-t-elle. Sans compter que l’article 36 du CMP oblige l’acheteur à choisir une seule cible (insertion par l’activité économique ou STPA), « bloquant la dynamique de coopération entre les deux secteurs ». La FEI milite davantage en faveur de la clause sociale d’insertion. Confortée par la réforme, celle-ci permet au client de réserver une partie des heures de main-d’œuvre des travaux à l’embauche de publics éloignés de l’emploi. Inscrite dans le code des marchés publics, la clause est pratiquée par un nombre croissant d’acheteurs privés. « Les collectivités, les bailleurs et le secteur du bâtiment sont assez exemplaires et absorbent l’essentiel de l’effort », reconnaît Justine Jourdain. Un bémol, toutefois : rares sont les donneurs d’ordre à s’intéresser à l’aspect qualitatif de l’exécution de la clause. « Or le plus important, ce sont les moyens que l’entreprise d’insertion ou de travail temporaire d’insertion va consacrer à la construction d’un parcours qualifiant ou du projet personnel du salarié », insiste la chargée de développement. A charge pour les structures de mieux valoriser leur plus-value sociale, au-delà de leur seule prestation technique.

Dans l’hébergement, une procédure qui inquiète

Dans le secteur de l’hébergement, le marché public lancé le 24 septembre dernier pour la création de plus de 10 000 places d’hébergement d’urgence a fait l’effet d’une bombe(1). En dépit des assurances de la ministre du Logement sur le caractère « exceptionnel » de la procédure, les associations demeurent méfiantes, affirme Florent Gueguen, le directeur de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). « Avec ce coup de force, le message de l’Etat est clair : il s’agit d’imposer un pilotage vertical et centralisé de la politique d’hébergement, sans laisser aucune autonomie aux associations sur le projet social, le coût ou le contenu des prestations. » Un mois après la clôture des candidatures, de nombreux lots régionaux seraient demeurés infructueux. « Nous espérons que ces lots feront l’objet d’appels à projets, et que l’Etat prendra acte de l’échec de la procédure », soutient Florent Gueguen.

Témoignage : Hervé Rémy Directeur de l’ESAT La Gibaudière à Bouchemaine (Maine-et-Loire)

« Les appels d’offres, publics et privés, représentent environ 15 % de notre chiffre d’affaires. La plupart portent sur notre activité de collecte, de tri et de conditionnement des déchets d’emballage – une activité à forte intensité de main-d’œuvre, qui génère du travail pour plusieurs ateliers. Le premier appel d’offres que nous avons décroché avait été lancé par la CCI [chambre de commerce et d’industrie], il y a quatre ans. A l’époque, j’avais préparé le dossier avec Eric Guérin, le chef d’atelier. Depuis, la réponse aux appels d’offres fait partie des axes de développement de l’AAPAI [Association angevine de parents et d’amis d’adultes en situation de handicap] : le siège assure une veille sur les différentes plateformes et informe les directeurs des quatre ESAT des marchés susceptibles de les intéresser. A La Gibaudière, nous avons constitué un fonds documentaire qui permet de compléter rapidement la partie administrative du dossier. Le chef d’atelier, qui a bénéficié d’une formation par le réseau GESAT, rédige le mémo technique, puis je valide le process et les tarifs. Localement, chacun assure la veille « terrain ». Je fais partie d’un club d’entreprises, je m’inscris dans le réseau de la CCI… Cela me permet de repérer les marchés potentiels avant la publication des offres, et surtout de contribuer au sourçage effectué par les acheteurs. Par exemple, la SNCF envisageait de lancer un appel sur le traitement des déchets à l’échelle des Pays de la Loire. Mais l’ESAT ne peut pas intervenir sur un territoire aussi étendu ; après discussion, l’entreprise a consenti à diviser le marché en lots géographiques afin que nous puissions concourir – et l’emporter ! – sur le secteur d’Angers. Récemment, j’ai aussi été contacté par le directeur des achats du groupe Metro, qui souhaiterait confier le traitement de ses déchets au STPA. Bien sûr, nous ne pouvons pas répondre seuls. La filière va donc devoir se mobiliser pour ne pas laisser passer cette opportunité. »

Notes

(1) Date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

(2) Façonnées en papier, les fleurs de bleuet symbolisent le sacrifice des soldats. Elles sont vendues au public pour collecter des fonds pour les anciens combattants et les victimes de guerre.

(1) Voir ASH n° 2982 du 4-11-16, p. 11.

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