Le président idéal ? « C’est celui qui ne marche pas sur les pieds du directeur mais qui est toujours là quand on a besoin de lui ! », lâche Gilles Meloni, directeur général d’Arelia, association de la région Grand Est qui intervient dans le champ de l’inclusion auprès d’adultes en rupture. Le président d’une association est avant tout un élu – bénévole – et le plus haut personnage de l’association qu’il (ou elle) représente au plan politique. Quant au directeur (ou à la directrice), c’est un technicien et un salarié ; sa principale mission est de mettre en œuvre cette politique et les projets associatifs. « On pourrait les comparer à un armateur et au capitaine d’un navire : le premier donne au second les moyens pour qu’il gère », pointe Daniel Carasco, qui dirige la MECS La Providence, à Nîmes.
Si l’énoncé est clair, la répartition des rôles entre les dirigeants de droit et les dirigeants salariés peut varier selon le niveau d’implication, le mode d’organisation de l’association, sa taille, la place des instances institutionnelles, la culture organisationnelle, la dynamique de groupe ou même les traditions culturelles… Dans le cadre de la rédaction de son mémoire de master AES(1), Dominique Lalo, aujourd’hui directeur d’ESAT en Martinique, a épluché la presse et mis au jour de nombreuses gouvernances associatives problématiques, aboutissant à des démissions d’administrateurs dont des présidents, des départs de directeurs, des mises sous tutelle d’associations. En février 2011, France-Antilles faisait ainsi état d’une démission d’un président et des membres de son conseil d’administration à la suite d’une « gestion laxiste ». Quelques mois plus tôt, La voix du Nord publiait : « En conflit avec son directeur, le président le licencie au motif qu’il se conduisait comme un président-directeur général, et non comme un simple directeur. » A l’ADC, on cite d’autres exemples : « Un manager d’ESMS qui s’est résigné à partir quand une nouvelle présidente a voulu tout contrôler, ou encore ce directeur et son président qui ne communiquaient que par courriers incendiaires… », liste Daniel Carasco, l’un de ses vice-présidents. Les clashs ne sont donc pas rares. La faute à qui ? « Il n’y a pas plus de mauvais présidents qu’il n’y a de mauvais directeurs », pointe Dominique Lalo. Dès lors, quelles sont les conditions pour que le « couple » fonctionne bien, dirige bien, gouverne bien ?
Pour Christian Hilaire, directeur général de l’ARPE, une association cambrésienne qui comprend 11 établissements et services dans les champs de la protection de l’enfance et de l’insertion(2), « directeur et président doivent constituer un duo, un binôme, qui travaille en harmonie ». Pour y parvenir, selon Laurent Samuel, consultant et éditeur du site Association1901.fr, « c’est comme pour réussir une recette de cuisine, il faut avoir les bons ingrédients et les mélanger dans les bonnes proportions ». Ce spécialiste de la gestion des associations avance : « Quand ça va mal, c’est généralement à cause d’une combinaison de lacunes de management, aussi bien de la part de la ligne bénévole que de la ligne salariée. Les problèmes surviennent souvent dans les périodes de changement et de transition. Quand un nouvel individu arrive, en général, il veut imposer sa marque et se heurte à l’autre. C’est là qu’il faut faire le plus attention… » Ce qu’il préconise ? « La première chose à faire est de veiller à la rédaction du projet associatif. L’exercice qui consiste à mettre sur le papier ce que l’on fait réellement dans l’association est salutaire ; il permet à chacun d’interroger ses pratiques et de confronter une vision idéalisée du projet avec la réalité quotidienne. »
C’est ce à quoi vont s’atteler, dès l’an prochain, Gilles Meloni et son président Gérard Berbain. « Arelia a vu le jour en janvier 2016 des suites de la fusion de deux associations avec deux projets associatifs distincts. De ce regroupement est né le binôme “président-directeur général” constitué de l’ex-président du Grand Sauvoy et de l’ex-DG de Regain 54. Nous n’avons pas toujours le même point de vue, et fort heureusement, car cela nous permet d’évoluer et de faire avancer notre association. Pour l’écriture de ce document, l’un va avancer vers l’autre, et réciproquement, pour trouver la ligne de conduite la plus bénéfique », assurent-ils.
Un autre élément important, selon Laurent Samuel, est de décloisonner les différentes fonctions dans l’association. « Une solution consiste à organiser certaines tâches à deux, explique le consultant. Par exemple, le directeur salarié sera accompagné du président pour les entretiens de recrutement ou les rendez-vous avec des partenaires ; le trésorier épaulera le directeur dans les rencontres avec l’expert-comptable ou le banquier. De même, le directeur peut accompagner le dirigeant bénévole à l’occasion de représentations politiques. Même si, à première vue, il s’agit d’une perte de temps, il faut se persuader que chaque occasion de travailler ensemble est bonne à prendre, et facilite la compréhension mutuelle. » Gilles Meloni est d’accord sur ce point : « De temps en temps, le président peut très bien avoir un avis technique et je peux avoir un avis politique. Le fonctionnement en binôme, notamment dans les relations extérieures de l’association, est un moyen idéal de confronter les points de vue et d’aboutir à un diagnostic partagé des situations. »
Attention, toutefois, à ne pas se retrouver comme Christian Hilaire, le DG de l’ARPE, seul à des rendez-vous avec des élus ou le préfet de région parce que son président de l’époque ne savait pas se rendre disponible. « La place de directeur général était devenue floutée par le fait qu’il n’y avait plus de représentation politique incarnée au-dessus de moi », se souvient-il. D’où l’importance du document unique de délégation (DUD), autre outil – obligatoire – largement plébiscité par Laurent Samuel (voir encadré page 29). « Il m’est arrivé d’intervenir auprès d’associations qui étaient assignées aux prud’hommes pour des problématiques liées au fait que la définition des domaines de compétences n’était pas claire : un bénévole qui se met à gérer les effectifs en direct et met le directeur en porte à faux ; un directeur général qui signe les chèques car le président s’en désintéresse, énumère-t-il. Le travail sur le DUD est tout à fait intéressant car, au-delà de l’obligation légale, il amène à se poser des questions sur le “qui fait quoi”. Un vrai travail d’introspection qui permet de définir de quelle façon chacun est prêt à partager le pouvoir. »
A l’ARPE, après l’élection de Gérard Blas, président depuis novembre 2015, la situation s’est nettement améliorée et les rôles ont pu être redéfinis, grâce justement à ce DUD. « Sa rédaction a été l’objet de bien des secousses au niveau du conseil d’administration, car certains membres voulaient un DUD plus restrictif – notamment en ce qui concerne les pouvoirs de recrutement et de sanction des salariés, se remémore le président. Les points sujets à caution ont été discutés, et je n’ai pas lâché car je savais que ça se passerait bien avec Christian Hilaire. »
Enfin, l’incompréhension et les querelles naissent souvent d’une circulation insuffisante de l’information. « Pour assurer la bonne entente, il faut adopter quelques règles d’hygiène dans la communication, à commencer par une certaine transparence dans les tâches et les occupations quotidiennes des individus », pointe Laurent Samuel. Pour cette raison, les organes dirigeants (bureau et conseil d’administration) devraient s’astreindre à rédiger des comptes rendus de leurs séances et à en assurer la communication, si le directeur salarié n’assiste pas physiquement à ces réunions. Le manager, lui aussi, ne doit pas rester isolé dans son action. Il est nécessaire qu’il diffuse aux bénévoles les informations qui leur échappent.
En ce sens, le binôme Nathalie Chapuis – Nicole Mahais, respectivement directrice de la MECS Les Fogières et présidente de l’association mono-établissement, fonctionne plutôt bien : « Comme il s’agit d’une petite association, il y a peu de strates, et donc peu de pertes d’informations, remarque Nicole Mahais, qui rencontre la directrice en tête à tête tous les quinze jours. « Lors de ces entretiens, nous construisons ensemble l’ordre du jour des conseils d’administration, les discours à tenir envers les autorités de tarification… Surtout, la directrice me briefe sur le quotidien de l’établissement. C’est une nécessité pour nous qui ne sommes pas sur le terrain d’avoir les remontées d’une professionnelle en confrontation directe avec les jeunes. » Même si elle connaît bien les 25 enfants accueillis, Nicole Mahais, soucieuse de préserver les prérogatives de sa salariée, s’astreint en outre à ne jamais passer à l’établissement sans en avertir Nathalie Chapuis.
« Selon moi, le président doit être au courant de tout. Je lui donne donc un maximum d’informations et il fait le tri des items sur lesquels il veut rebondir, me missionner, déléguer », décrit, quant à lui, Jean-David Meugé, directeur général de l’AAPEI de Strasbourg (voir encadré ci-contre). J’ai un président très investi, c’est une chance, mais qui est très clair sur la répartition des fonctions et me donne sa confiance. On se parle beaucoup et on est d’accord sur la plupart des évolutions concernant l’association. La complicité qui est la nôtre nous permet de pouvoir se dire les choses – quand ça va ou quand ça ne va pas – et de se solliciter mutuellement pour des conseils. »
« Le document unique de délégation (DUD) peut résulter d’une négociation plus ou moins subtile entre président, vice-président, directeur, et d’une certaine manière contribue à légitimer chacun dans son rôle, avec un équilibre parfois délicat à trouver », pouvait-on lire dans l’évaluation du dispositif de qualification des directeurs d’ESMS réalisée en 2012 par le cabinet GESTE à la demande de la direction générale de la cohésion sociale(1). C’est le décret du 21 février 2007 sur la qualification des directeurs qui oblige l’employeur recrutant un directeur d’institution sociale ou médico-sociale à notifier dans un DUD l’ensemble des compétences et missions qu’il lui confie, en termes de budget, de ressources humaines, de gestion et de coordination. Un document qui a « levé le tabou sur les enjeux de pouvoir à l’intérieur des organismes », selon Daniel Carasco, directeur de MECS à La Providence, association mono-établissement, dont le DUD est « extrêmement détaillé, comme mon contrat de travail, qui fait dix pages ! En travaillant de manière approfondie sur les délégations, nous nous sommes ainsi dotés d’un outil très clair. » En revanche, à Arelia, Gilles Meloni et Gérard Berbain n’ont pas encore pris le temps de le rédiger. « Nous avions d’autres priorités. Pour le moment, nous expérimentons et, au fur et à mesure, les délégations seront mieux définies, ce qui nous permettra, d’ici à dix-huit mois, de construire ce document qui nous liera demain et après », assure le président de l’association.
Jean-David Meugé et André Wahl se sont connus bien longtemps avant que le premier devienne directeur général de l’association présidée par le second. Et pour cause : tous deux parents d’enfants handicapés, ils ont siégé ensemble au conseil d’administration de l’AAPEI de Strasbourg (dix établissements pour personnes handicapées). « Pendant vingt-cinq ans, j’ai dû me passer de directeur général, explique André Wahl. Ce n’était pas évident, mais je n’avais pas de financement et j’assurais donc seul, en tant que président, la coordination de huit directeurs d’établissement. » Il y a dix ans, il a enfin pu recruter, et le choix du trésorier, Jean-David Meugé, s’est presque imposé. De bénévole, l’ex-directeur d’établissement scolaire est devenu salarié. « C’est un plaisir de travailler avec quelqu’un que je considère comme un ami. Ç’aurait pu être une difficulté, mais nous l’avons transcendée en opportunité. Nous nous sommes repositionnés sur le champ professionnel. Aujourd’hui, le binôme fonctionne en toute transparence, on se comprend bien, on a la même façon de travailler, et chacun est bien calé dans son rôle », se félicite André Wahl. Jean-David Meugé, qui a passé un DEIS en 2011, acquiesce : « Mon cas est particulier à double titre, puisqu’il s’agissait d’une création de poste. Il a fallu au président, qui assurait jusqu’alors toutes les fonctions, lâcher du lest. Si j’ai pu avoir des appréhensions sur ce point, tout s’est au final bien passé. Entre nous, il n’y a jamais eu de heurts, juste des divergences d’appréciation ! » Une relation idyllique ? Le directeur général analyse : « Il y a une notion à prendre en compte. Dans une association parentale, le DG doit être à la fois un militant et un salarié – plus précisément, le premier militant des professionnels et le premier professionnel des militants. Donc je suis doublement engagé à l’AAPEI : j’ai un contrat de travail et j’ai une vocation. »
• AAPEI. Association de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis
• ARPE. Association Accueil, réinsertion, promotion, éducation
• ADC. Association de directeurs et cadres de direction du secteur social
• DEIS. Diplôme d’Etat d’ingénierie sociale
• DG. Directeur général
• ESAT. Etablissement et service d’aide par le travail
• ESMS. Etablissement et service social et médico-social
• MECS. Maison d’enfants à caractère social
(1) « Le couple président-directeur dans le secteur associatif social et médico-social à but non lucratif en Martinique : état des lieux et perspective d’évolution », mémoire de master AES (administration économique et sociale).