« Diffuser une doctrine du travail social sur son sens et ses finalités est devenu une urgence afin de valoriser, renforcer, repolitiser un secteur en crise. » C’est à cette nécessité qu’ont voulu répondre les auteurs du Manifeste du travail social(1), initiative qui a émergé au sein de la commission « action travail social » de Nuit debout, à Paris. Un collectif d’une dizaine de personnes a planché sur le projet, qui a été partagé et amendé au cours de l’été 2016. Cet écrit collectif de quelque 125 pages, qui inscrit l’histoire politique et l’évolution du travail social dans celles du capitalisme, « tente de montrer à quel point le néolibéralisme s’attaque avec méthode et continuité à l’Etat social né de la Seconde Guerre mondiale et du Conseil national de la Résistance », expliquent ses auteurs, selon qui les attaques contre le travail social « se font plus massives et plus déterminées que jamais ». Sans se limiter à vouloir « sauver » l’existant, ils invitent à le refonder.
Construit à partir de repères historiques, notamment, émaillé de témoignages et d’extraits de textes, le manifeste dénonce « la marchandisation du travail social » et la diminution des moyens qui lui sont attribués, la primauté de la gestion des dispositifs au détriment de « l’éthique de la relation », le poids des normes et des logiques managériales. Il décrit « un émiettement de plus en plus accru des dispositifs, avec la disparition progressive du temps et des espaces nécessaires pour penser l’accompagnement social ». Le travail social « apparaît donc confronté à un contexte clairement néolibéral ayant des répercussions sur le sens du travail social conçu par les pouvoirs publics et la manière dont les personnes sont accompagnées. Il est donc nécessaire de clarifier nos objectifs, de mettre en lumière une perspective qui serve à nous mobiliser, à devenir de plus en plus nombreux, pour défendre les valeurs et finalités du travail social », défendent les auteurs.
Le document dégage des principes pour promouvoir « un travail social humaniste, émancipateur et politique ». En premier lieu, il défend son exercice par les professions inscrites dans le code de l’action sociale et des familles, cadre qui garantit, argue-t-il, « la maîtrise de connaissances qui traversent plusieurs disciplines lors de la formation, connaissances qui sont toujours à nourrir durant le parcours professionnel ». En outre, ajoute-t-il, « ce qui peut également définir la réglementation de nos professions est l’établissement d’une éthique et d’une déontologie en partage entre les différents métiers qui composent le travail social ». Celui-ci est « au service de l’égalité des droits et d’une société plus juste. Il reconnaît la dignité de tous les individus, leur(s) singularité(s). Il promeut une plus juste répartition des richesses et les solidarités collectives. Ses liens avec le système de protection sociale sont, de par ce principe, essentiels », affirme-t-il encore. Autre enjeu : « revenir au droit commun », c’est-à-dire « non pas créer des institutions spécifiques pour certain(e)s, mais faire en sorte que toutes les institutions soient ouvertes à tous ».
Pour les signataires du texte, le travail social doit « garantir l’accès des personnes les plus fragiles et les plus précaires aux meilleurs services », à partir des notions d’« intérêt général », de « participation des personnes aidées », d’« inconditionnalité », d’« hospitalité », et du souci de se doter de « langages et de techniques qui leur sont accessibles ». Tout en prenant appui sur le droit, « outil de promotion de certaines valeurs », il revêt une dimension politique en n’ayant pas « seulement comme finalité de travailler sur les individus » mais aussi « sur les situations qui les rendent vulnérables ».
Le texte appelle en conclusion aux actions collectives et annonce un recueil d’initiatives « de résistance et d’espoir ». « Face aux chiffres uniformes et vides, face aux logiques comptables du court terme, nous pouvons opposer la réalité singulière des situations que nous rencontrons, la richesse de la clinique et du symbolique, affirme-t-il. Nous pouvons rappeler que la rencontre ne se décrète pas, ne se commande pas et ne rentre pas dans les petites cases des tableaux qu’on nous somme de remplir. Nous pouvons remettre de la pensée là où elle fait parfois cruellement défaut. »
(1) Christophe Anché, Jean-Marie Bataille, Adèle Bertin Morales, Isabelle Boisard, Alice Debout, Thomas Pasquier, Nélia Soul – Ed. Le social en fabrique –