Ce n’est qu’une « partie visible de l’iceberg » dont le collectif Les Morts de la rue a rendu compte, le 14 décembre, en présentant son enquête « Dénombrer et décrire », portant sur la mortalité des personnes sans domicile en 2015(1).Une partie que le collectif estime néanmoins « représentative de la réalité de vie des personnes ». Selon son étude « rétrospective » et « posthume », basée sur les déclarations des tiers (amis, famille, proches…), 585 décès survenus en 2015 lui ont été signalés au 1er mai 2016. Parmi ces personnes, 497 étaient sans domicile fixe (SDF) et 88 étaient des « anciens de la rue ». Si l’on se réfère à l’étude 2008-2010 du CépiDc(Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès), « le nombre réel de décès de personnes sans domicile est évalué à 2 838, soit près de six fois le nombre de décès connus par le collectif », précise ce dernier dans son rapport. Les causes des décès dénombrés par les Morts de la rue sont connues pour 55 % des personnes : 28 % sont mortes de causes violentes (accidents, agressions) et 27 % de maladie. « Les jeunes sont plus touchés par les causes violentes, et les plus âgés par la maladie. »
Il s’agit en très grande majorité d’hommes (92 %), morts à 49 ans en moyenne, soit 30 ans de moins que l’espérance de vie en population générale. « Ils ont connu un long parcours de rue, dix ans en moyenne », détaille le collectif. « Les causes de perte de logement les plus fréquemment citées sont la séparation conjugale, la maladie et la migration. » Par ailleurs, 42 % avaient des ressources, hors mendicité : revenu de solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH), « mais aussi travail informel et retraite ». Enfin, une majorité (65 %) de personnes « ont été décrites comme ayant des liens sociaux : amis, voisins, associations… ». Cette question est d’ailleurs l’une des trois, avec celles de la saison du décès et de l’alcool, que le collectif a souhaité approfondir cette année.
Des thèmes « choisis pour nuancer l’image populaire du clochard alcoolique qui meurt de froid seul dans la rue ». Sur la question de la « saisonnalité » par exemple, l’étude rappelle que dans la population générale, le nombre de décès est plus élevé en période hivernale qu’en période estivale. « Cette différence est attribuée aux épidémies hivernales (grippe entre autres) et à la fragilité générale d’une population vieillissante. » Si les morts de la rue semblent suivre la même tendance, il faut toutefois « garder à l’esprit que les causes de décès ne sont pas les mêmes pour la population générale que pour la population SDF, même en hiver ». Ainsi, cinq personnes recensées par le collectif sont mortes d’hypothermie en 2015, soit moins de 1 %, et quatre autres à la suite d’« incendies hivernaux liés aux besoins de chauffage des locaux désaffectés ou des véhicules ». Si le froid, en accentuant la fragilité des personnes vulnérables, constitue un facteur de risque naturel de décès, « le fait que certaines personnes soient sans domicile est un facteur social de risque accru de décès ».
S’agissant de l’alcool, « quelques études se sont penchées sur le sujet, notamment l’étude Samenta[2], qui montre que 20 % des personnes sans domicile présentent une addiction à l’alcool ». En comparaison, les chiffres du collectif « montrent une proportion quasiment deux fois plus élevée (37 %). Les méthodologies sont différentes entre les deux études, ce qui rend les chiffres peu comparables. » Si les troubles liés à la consommation d’alcool sont la pathologie associée au décès la plus fréquente dans l’enquête des Morts de la rue (plus de 15 %), « ce résultat est à nuancer, d’une part à cause de la méthodologie de collecte des données, via un tiers non médical et à titre posthume. Le biais de déclaration, le risque de manifestation du stéréotype du « clochard alcoolique » est [donc] très élevé, prévient le collectif. D’autre part, les pathologies associées au moment du décès ne sont renseignées que pour 38 % des personnes. La consommation d’alcool étant visible et facilement identifiable par des tiers non médicaux, il est fort probable que celle-ci soit surreprésentée. »
Autre information issue de cette étude : le suivi social était connu pour 294 personnes, soit 50 % d’entre elles. Il était assuré majoritairement par des associations. Selon les signalements posthumes, 15 sans-domicile fixe décédés ne bénéficiaient d’aucun suivi social, soit 3 % des morts de la rue en 2015.
(1) En ligne sur
(2) « Santé mentale et addictions chez les personnes sans logement d’Ile-de-France », réalisée par l’Observatoire du SAMU social de Paris – Voir ASH n° 2730 du 28-10-11, p. 22.