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Le parrainage de proximité, une forme d’aide méconnue

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Le parrainage de proximité consiste, pour des familles bénévoles, à nouer une relation privilégiée et durable avec un enfant ayant besoin d’être épaulé pour des raisons diverses (difficultés sociales, économiques, familiales…). Un rapport de recherche commandé par l’Union nationale des associations familiales dresse un état de lieux de ce dispositif et identifie ses forces et ses faiblesses pour mieux le promouvoir sur l’ensemble du territoire.

Si le parrainage de proximité n’est pas un dispositif récent, son déploiement reste embryonnaire. En cause : une grande méconnaissance de la part du grand public comme des travailleurs sociaux. La charte nationale du parrainage le définit comme « la construction d’une relation affective privilégiée instituée entre un enfant et un adulte ou une famille », qui prend la forme de « temps partagés entre l’enfant et le parrain », reposant sur « des valeurs d’échange, de réciprocité, d’enrichissement mutuel et sur la confiance ». Cet engagement bénévole s’inscrit également dans la durée, en vue d’offrir une figure d’adulte stable à un enfant, le tout dans le respect de l’autorité parentale et de la vie privée de chacun. Mis en place par un tiers (association ou institution), il s’adresse à des enfants aux situations familiales et sociales diverses. Ces derniers peuvent très bien vivre avec leurs deux parents, en famille monoparentale, recomposée, ou encore en famille d’accueil ou dans un foyer de type maison d’enfants à caractère social (MECS). Convaincue de son intérêt et soucieuse de favoriser son développement, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) a sollicité le département études, recherches et observations (DERO) de l’Apradis Picardie(1). Objectif : réaliser une recherche sur le développement et la promotion du parrainage de proximité au sein des unions départementales des associations familiales (UDAF).

Cette étude, menée entre 2015 et 2016, qui vient d’être rendue publique(2), dresse d’abord un historique du dispositif. Si les premières associations de parrainage sont nées après la Seconde Guerre mondiale pour prendre soin des orphelins, sa reconnaissance officielle remonte à la circulaire du 21 juin 1972. A cette époque, le parrainage s’adresse aux mineurs placés dans un établissement de l’aide sociale à l’enfance (ASE), afin qu’ils puissent sortir à certaines périodes (week-ends, vacances scolaires) et connaître le fonctionnement d’une famille. Une circulaire du 30 juin 1978 conforte ce dispositif en l’inscrivant « comme une action de suppléance familiale, complémentaire d’une action de suppléance familiale principale »(3). C’est le premier pas vers un élargissement du public concerné.

Il faut attendre 2003 pour que les ministères de la Justice et de la Famille créent un Comité national du parrainage, afin de « favoriser les actions de parrainage d’enfants et promouvoir cette forme de solidarité entre les familles ». Celui-ci prend fin en 2013, mais il aura permis l’élaboration de deux documents de référence : une charte du parrainage d’enfants publiée en août 2005, suivie d’un guide pratique, édité en 2008 (voir encadré, page 35). « Malgré tout, la pratique du parrainage de proximité reste encore largement méconnue », regrette Juliette Halifax, chargée d’études à l’Apradis Picardie et coauteure du rapport. Selon un sondage réalisé en 2014 par l’association France Parrainages, si neuf Français sur dix jugent ce dispositif « utile », seuls 6 % « en ont déjà entendu parler ».

Un développement inégal

L’étude met en évidence le développement inégal du parrainage de proximité. Réalisée à partir d’une trentaine d’entretiens et de l’analyse d’un corpus documentaire (rapports d’activité, plaquettes, conventions…), elle recense 24 UDAF engagées dans cette action, ce qui représente moins d’un quart du territoire(4). Dans les départements n’organisant pas un tel dispositif, « la quasi-totalité de nos interlocuteurs ne connaissait pas cette forme d’aide, alors que nous nous adressions à des institutions bien ancrées dans le champ de la famille », constate l’étude. Pour reprendre les mots de Catherine Sellenet, professeure en sciences de l’éducation – l’une des rares personnes à s’être penchées sur le parrainage de proximité –, « ce ne sont que quelques îlots de mobilisation dans un désert d’indifférence »(5).

Dans les départements actifs, le portage du dispositif s’opère de manière très diverse : il peut s’agir d’un service interne à l’UDAF ou d’un soutien à une association externe, la plupart du temps membre de son réseau(6). « Ce choix se fait souvent en fonction du contexte territorial, des relations partenariales et du portage politique local », précise l’étude. Dans les UDAF ayant mis en place un service interne de parrainage de proximité (qu’il s’agisse d’un service en tant que tel ou d’une action intégrée à un autre service), l’étude observe un faible nombre de parrainages effectifs. « Ce fonctionnement ne semble pas le plus efficient », car tous ces services fonctionnent avec un seul professionnel, voire deux, ayant d’autres missions en parallèle. « Or le fonctionnement d’un service de parrainage de proximité demande du temps, à la fois pour faire connaître ce dispositif et pour mettre en place et suivre les parrainages. Le risque est alors que, par découragement, le parrainage de proximité soit désinvesti », indique l’étude.

S’agissant du portage externe, plusieurs modèles sont envisageables. Une poignée d’UDAF ont choisi de contribuer à la création d’une association départementale de parrainage de proximité, car celui-ci n’existait pas encore sur le territoire. Mais là encore, dans ces associations (qui reposent exclusivement sur des bénévoles), le nombre de parrainages observés reste faible. L’autre modèle, le plus fréquent, consiste en des actions de parrainage portées par des associations adhérentes à l’UDAF, qu’il s’agisse d’antennes d’associations nationales (France Parrainages, Horizons Parrainages…) ou d’associations créées localement. Leurs liens avec l’UDAF varient fortement d’un département à l’autre (très étroits à certains endroits, plus distendus dans d’autres). Le nombre de parrainages y est plus développé que dans les autres configurations, et l’étude observe un lien très fort entre la présence de salariés et la réussite quantitative du parrainage. « Cette relation est très nette, avec une activité d’autant plus développée qu’il y a de personnes salariées ou rémunérées pour développer, mettre en place et suivre les parrainages, souligne le rapport. Nous sommes cependant bien conscients qu’il ne faut négliger ni la réussite qualitative des parrainages, ni le respect de certaines valeurs. »

Le rapport cite enfin un modèle intermédiaire entre l’externe et l’interne, avec l’UDAF des Bouches-du-Rhône, qui dénombre 60 parrainages ces cinq dernières années et plus d’une vingtaine de nouvelles mises en relation chaque année. Initialement, ce service de parrainage avait été créé au sein de l’UDAF en 2010, mais il s’est mué en 2013 en une association propre, adhérente du réseau. L’UDAF a mobilisé de nombreux partenaires. Un comité départemental de parrainage de proximité, réunissant de nombreuses institutions et associations locales (dont le conseil départemental, la ville de Marseille, l’inspection d’académie, le tribunal…), fait ainsi office d’organe de décision. Interrogée dans l’étude, l’UDAF des Bouches-du-Rhône attribue cette bonne dynamique au fait d’avoir « réussi à intégrer tout le monde. Aujourd’hui il y a une reconnaissance, mais ça demande de la patience »(7).

Trois visions différentes

Si, au plan national, l’UNAF défend un parrainage de proximité pour tous les enfants, sur le terrain, trois visions coexistent, ce qui peut contribuer au manque de lisibilité. Dans le premier cas de figure, certaines associations réservent cette action aux enfants placés, bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance ou d’un accompagnement social. Ce profil « entraîne une vigilance particulière de la part de l’association ou du service de parrainage, que ce soit en amont ou en aval de la construction du lien entre parrain et filleul », note l’étude. Dans cette configuration, le rôle des professionnels ou des bénévoles apparaît encore « plus primordial, notamment en termes de suivi ».

La collaboration avec les travailleurs sociaux constitue dès lors une ressource importante. « Les éducateurs ont aussi une place dans la mise en place du parrainage, par leur connaissance de la famille ; ils apportent soutien et conseils et ça nous aide bien ; c’est un travail d’équipe », souligne un acteur. Cependant, en raison du manque de notoriété, le parrainage de proximité n’est pas encore entré dans la pratique de tous les foyers de l’enfance et de tous les travailleurs sociaux. « Certains ne voient pas d’un bon œil la présence de bénévoles auprès des familles qu’ils accompagnent, ajoute Juliette Halifax. Mais une fois qu’ils en ont observé les bienfaits, ils sont les premiers à défendre ce dispositif. »

A l’inverse, d’autres associations refusent de travailler avec l’aide sociale à l’enfance. A leurs yeux, le parrainage de proximité s’inscrit « dans un projet de société beaucoup plus global de solidarité intergénérationnelle ». Certaines UDAF choisissent par exemple d’orienter leurs actions vers les familles monoparentales. Et, contrairement aux idées reçues, « le niveau social des mères peut être élevé : beaucoup travaillent et ont peu de temps pour leur enfant ». Ainsi, le parrainage vient essentiellement offrir aux enfants des temps de vie en famille, qu’ils ne peuvent avoir avec leur mère.

Le troisième modèle, qui concerne la majorité des associations, s’adresse à toutes les familles et à tous les enfants, et peut conduire à des partenariats privilégiés avec le monde du travail social. Pour autant, les profils des filleuls se révèlent « relativement similaires » à ceux des enfants issus de familles monoparentales ou précaires.

L’étude s’intéresse aussi aux difficultés rencontrées par ces associations dans la mise en œuvre du parrainage de proximité. A commencer par le manque de candidats à la fonction, qui tient à plusieurs facteurs. La peur de l’engagement – qu’il s’agisse de s’investir dans la durée ou de devenir responsable d’un enfant – est ainsi régulièrement observée. Pour l’un des interlocuteurs de l’étude, le manque de parrains tient également à « la judiciarisation de la société : aujourd’hui, les personnes pensent qu’elles prennent un risque s’il arrive un problème à l’enfant, alors qu’avant il y avait une générosité détendue ». Les associations doivent donc faire preuve d’une grande pédagogie. « Il faut trouver un équilibre entre former les parrains, les informer, et ne pas trop en faire pour ne pas les effrayer. » Un autre acteur souligne que le parrainage de proximité implique un partage de la vie privée qui peut être totalement inconcevable pour certaines personnes. « C’est de l’intime et des gens ne s’engageront jamais s’ils doivent entrer dans l’intimité de quelqu’un ou si quelqu’un doit entrer dans leur intimité. »

Mais des peurs existent également du côté des familles parrainées. « Confier son enfant à un inconnu n’est pas chose facile, constate Juliette Halifax. Cette démarche peut, pour les parents, être le témoignage de leur propre échec par rapport à l’éducation de leur enfant ou pourrait être appréhendée comme tel par leur entourage. » D’où, là encore, l’intérêt d’une association faisant office de tiers pour que la place du parent soit pleinement respectée.

Enfin, « le parrainage de proximité implique que l’enfant et son parrain ne vivent pas à plus de 30 kilomètres l’un de l’autre, ajoute Juliette Halifax. On ne pourra donc pas mettre en lien un volontaire situé dans le nord du département avec un enfant situé tout au sud. » L’autre difficulté consiste à trouver des parrains dont le profil correspond au mieux aux besoins de l’enfant. Il arrive ainsi que des familles monoparentales aient du mal à trouver un couple de parrains permettant d’offrir à leur enfant un autre modèle familial que le leur.

En outre, « les acteurs du parrainage d’enfants se trouvent parfois démunis et regrettent le manque d’outils pour accompagner les arrêts de parrainage », note le rapport. Et de citer « quelques arrêts de parrainage assez brutaux, à la suite d’un déménagement, par exemple, ou encore de la présence d’une maman envahissante ». Certaines équipes mettent ainsi en avant leur besoin d’un « regard extérieur et spécialisé pour certaines situations ».

Ni moyens, ni soutien

Par ailleurs, de nombreuses associations peinent à mobiliser suffisamment de personnel sur ces dispositifs. L’essoufflement guette autant les bénévoles, surtout quand ils sont les seuls à porter ce dispositif, que les salariés, trop peu nombreux face à l’ampleur de la tâche. Avec deux financeurs principaux (départements, caisses d’allocations familiales), le parrainage de proximité « bénéficie de peu de moyens, déplore Juliette Halifax.

Cette question des moyens rejoint celle du défaut de soutien politique du parrainage de proximité. « Il manque de reconnaissance institutionnelle et les seuls textes qui l’encadrent datent des années 1970. Si des pistes ont été explorées depuis, comme dans le cadre de la dernière réforme de la protection de l’enfance du 14 mars 2016, celles-ci sont restées lettre morte »(8). Entre la protection de l’enfance, la prévention et une action de droit commun, le parrainage de proximité peine à trouver sa place.

Au plan local, le développement de partenariats entre institutions et acteurs associatifs semble ainsi incontournable. « L’implication notamment du conseil départemental, de la CAF et des associations agissant dans le champ de la prévention et/ou de la protection de l’enfance est essentielle », relève le rapport. Selon lui, une définition préalable et commune du parrainage de proximité apparaît indispensable. « Le rapprochement d’acteurs ayant des visions trop différentes du public concerné peut venir entraver la mise en place des actions, poursuit la recherche. Par ailleurs, les collaborations reposent encore trop souvent sur des individualités qui ne peuvent pas garantir la pérennité du dispositif. »

En conclusion, l’étude reprend une réflexion développée par Catherine Sellenet sur l’avenir du parrainage de proximité. « Pour qu’il y ait innovation, écrivait-elle, trois étapes doivent être distinguées : le temps de l’invention, celui de l’appropriation et celui de l’institutionnalisation. La première étape a été réalisée, avec cette belle innovation de solidarité intergénérationnelle qu’est le parrainage de proximité d’enfants, mais les étapes suivantes ont du mal à être franchies. Les acteurs du parrainage se sont appropriés la démarche, mais ne parviennent pas à la partager avec le reste de la société. » La création d’un réseau national de promotion du dispositif (voir encadré ci-contre) pourrait dès lors constituer un début de réponse…

Huit principes fondamentaux

Le guide du parrainage d’enfants, publié en 2008, décline les huit principes fondamentaux de la charte du parrainage de proximité, publiée au Journal officiel le 30 août 2005 :

• une « démarche volontaire et concertée de tous les acteurs » (enfants, parents, parrains) ;

• le « bénévolat des parrains », par un engagement personnel et altruiste ;

• un « engagement dans la durée des parrains et des parents ou des titulaires de l’autorité parentale » ;

• le « respect de l’autorité parentale, du choix de l’enfant, de la place et de la vie privée de chacun » ;

• une « souplesse et adaptabilité des propositions en fonction de chaque situation » ;

• la « formalisation des engagements réciproques dans une convention », clarifiant les conditions de mise en œuvre du parrainage ;

• l’« accompagnement du parrainage par l’association ou le service qui le met en œuvre » ;

• l’« instauration d’un partenariat avec les services spécialisés sociaux, médico-sociaux ou judiciaires quand l’enfant bénéficie d’une mesure de protection ».

Le collectif « Tous parrains »

Fondé en mars 2016, le collectif « Tous parrains » veut porter haut et fort « la nécessité d’une véritable politique publique en faveur du parrainage de proximité »(1). Il réunit six associations ou groupements : l’UNAF (Union nationale des associations familiales), l’UNAPP (Union nationale des acteurs du parrainage de proximité), Parrains par mille, Grands parrains, France Parrainages et le Secours catholique.

Pour mener à bien sa mission, le collectif revendique des moyens appropriés pour développer ces actions, mutualiser, partager et susciter des expériences innovantes, contribuer à une plus grande notoriété du dispositif et favoriser la recherche sur cette thématique. Il prévoit d’ores et déjà la tenue, le 3 mars 2017, d’un colloque consacré à la place du parrainage dans les actions de solidarité citoyennes et publiques, en France et à l’étranger.

Notes

(1) Association pour la professionnalisation, la recherche, l’accompagnement et le développement en intervention sociale.

(2) En ligne depuis le 6 décembre sur www.apradis.eu.

(3) Citation empruntée au chercheur en sciences de l’éducation Dominique Fablet.

(4) Pour cette recherche, 40 UDAF ont été contactées et 30 entretiens téléphoniques approfondis ont été réalisés, correspondant à 26 départements.

(5) Auteur de Le parrainage de proximité pour enfants, une forme d’entraide méconnue – Ed. L’Harmattan, 2006.

(6) Certaines UDAF travaillent toutefois étroitement avec des associations de parrainage de proximité non adhérentes de leur réseau. C’est le cas en Loire-Atlantique, en Maine-et-Loire et dans la Mayenne.

(7) Le président de cette association est un administrateur de l’UDAF et deux salariés de l’UDAF y travaillent.

(8) L’étude signale toutefois que l’action 64 de la « feuille de route nationale “protection de l’enfance” 2015-2017 », publiée par le ministère des Affaires sociales en juin 2015, prévoit de « soutenir le parrainage, les solidarités de proximité et la prévention par les pairs ».

(1) http://tousparrains.org.

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