« Camille, hystérique », « Lili, prostituée », « Amandine, Apache », « Victoire, « insoumise” », « Blanche, rebelle », « Marguerite, perverse et suicidaire », « Dom, cheffe de bande », « Virginie, errante et punk », « Valérie, anorexique-boulimique »… Elles sont toutes là, ces femmes qui représentent chacune une figure des « mauvaises filles » de 1840 à aujourd’hui. Plus riche encore que l’exposition que leur avait consacrée en 2015 le centre Enfants en justice(1), le livre des historiens Véronique Blanchard et David Niget est une mine d’informations sur les jeunes filles jugées immorales « parce qu’elles remettent en cause l’image d’une féminité docile, passive, douce et disciplinée ». Au fil de près de 200 pages d’archives (caricatures, affiches, publicités, articles de presse, photographies, dessins), le lecteur arpente les lieux, plutôt urbains, qui constituèrent le paysage de leurs existences : logements sordides, rues populeuses, cafés miteux, fêtes foraines, maisons de passe, mais aussi maisons maternelles, couvents, maisons de redressement dites « écoles de préservation pour jeunes filles », hôpitaux psychiatriques, prisons. Présentés comme un moyen de les protéger, ces endroits « permettent surtout de protéger la société d’une transgression à la fois politique et genrée quand les filles s’aventurent dans un espace public qui ne leur est pas destiné », analyse la sociologue Corine Cardi, qui signe la postface de l’ouvrage. Leurs parents, des magistrats, des policiers, des religieuses, des médecins, des experts en psychisme et des travailleurs sociaux ont pour objectif d’en faire de « bonnes » filles !
Les auteurs ont voulu se lancer dans cette belle entreprise car, contrairement aux mauvais garçons incarnés par de nombreux héros, on ne trouvait pas suffisamment de traces des « mauvaises » filles dans la littérature et les représentations populaires. En se plaçant du côté des adolescentes, en tentant de faire entendre leur voix intérieure, le livre ne fait pas pour autant de ces jeunes filles des martyres ou des victimes, mais il montre leur force de résistance, leur volonté de vivre. Chacune des images de cet ouvrage admirable raconte une histoire singulière : voici la photographie d’une mère maquerelle présentant une fille tétanisée à ses clients, l’intérieur d’une chambre de confinement de l’hôpital psychiatrique Maison Blanche, la couverture de la revue L’œil de la police titrant sur les « Apaches en jupons », le portrait de cette jeune hippie des années 1970 ou ces images d’une bagarre entre filles en marge d’une manifestation de lycéens en 2008…
Mauvaises filles. Incorrigibles et rebelles
Véronique Blanchard et David Niget – Ed. Textuel – 39 €