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Jacques de Maillard : « Le travail de police repose en priorité sur le contact quotidien avec la population »

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Les relations entre la police et la population sont moins bonnes en France qu’ailleurs en Europe. En cause, la priorité donnée au maintien de l’ordre et l’absence de remise en question de certaines pratiques, analyse l’universitaire Jacques de Maillard, qui a piloté un rapport sur le sujet pour le « think tank » Terra Nova et préconise des moyens pour améliorer la confiance envers la police.
Quelle est l’origine de ce rapport ?

Terra Nova(1) a sollicité des experts divers pour mieux cerner l’état des relations entre la police et la population et étudier ce qu’il est possible de faire afin de les améliorer. En arrière-plan, il y avait l’idée selon laquelle on a un peu perdu de vue les missions de tranquillité publique au profit de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.

Historiquement, en France, les relations entre la police et la population n’ont jamais été détendues. Pour quelles raisons ?

Où que l’on soit, ces relations ne sont jamais simples, dans la mesure où la police peut intervenir contre le gré des populations et faire usage de la force. Mais en France, cette difficulté est accentuée par l’ancrage historique de la police en tant qu’instrument au service de l’Etat. C’est davantage une police de contrôle social et de lutte contre la délinquance qu’une police du peuple. D’autres pays, comme l’Angleterre, ont mené une réflexion sur ce que doit être une police démocratique, mais ça n’a pas été autant le cas en France.

Quel est l’état de ces relations ?

Les opinions sur la police apparaissent globalement positives. Mais lorsqu’on creuse sur des points plus spécifiques comme les pratiques professionnelles des policiers, le résultat est plus négatif. Surtout lorsqu’on compare la police française à des forces de l’ordre équivalentes d’autres pays occidentaux. De même, les réponses de certains segments de la population montrent un niveau important d’hostilité et de critiques. Je pense notamment aux jeunes, dont 35 % considèrent que la police est violente et raciste. A ce niveau-là, c’est inquiétant.

Cette défiance, dites-vous, est alimentée par l’action même de la police…

Il existe dans l’organisation de la police des éléments qui renforcent cette défiance publique, notamment son caractère excessivement centralisé. Nous pointons aussi du doigt des pratiques dont les conséquences négatives sont sous-évaluées par les policiers. Je pense en particulier aux contrôles d’identité, que nous ne remettons pas du tout en cause mais dont l’utilisation semble excessive. Dans d’autres pays tels que l’Allemagne, les policiers ont conscience que leur répétition auprès de certaines populations est de nature à entamer leur légitimité.

On a vu récemment des policiers manifester leur malaise dans la rue. Comment l’analysez-vous ?

On parle du « malaise policier » depuis très longtemps, mais on n’a jamais mis en place de politiques structurant les forces de l’ordre ni défini ce que devrait être une doctrine policière, sauf peut-être durant la période 1997-2001. N’ayant pas de projet, on est toujours en train de courir après les problèmes. Nous avons été frappés par le mal-être, la souffrance et le sentiment de n’être pas respectés qu’expriment les policiers. Dans leurs discours, un « nous les policiers » s’oppose à un « eux le public », voire à la hiérarchie. Au-delà des revendications matérielles que nous ne discutons pas, comment faire pour que les policiers bénéficient d’un mode d’organisation et de définition de leurs tâches qui pourrait les aider à se sentir mieux ? Ce malaise et la difficulté des relations police-population sont deux facettes du même problème et, en travaillant sur cette dimension relationnelle, on pourrait nettement améliorer leur bien-être.

Comment rendre la police plus légitime…

Améliorer la confiance dans la police est une manière de rendre plus efficace le travail des policiers. Des gens qui ont confiance obéissent plus facilement lorsque c’est nécessaire. Ils livrent aussi davantage d’informations. Or la police ne peut pas faire son travail judiciaire sans être alimentée en renseignements. Par ailleurs, les gens doivent pouvoir s’identifier symboliquement à une police. De plus, nous déléguons collectivement la mission de police à des professionnels. La qualité des relations entre la police et la population sont donc le signe de la santé de notre démocratie.

Vous proposez de réorienter les missions policières vers la tranquillité publique…

La multiplication des polices spécialisées (brigade de recherche et d’intervention, brigade des stups, mais aussi forces spécialisées dans le maintien de l’ordre…) tend à reléguer la police du quotidien au second rang. Cette police généraliste en tenue se trouve ainsi dévalorisée. C’est là où l’on va en début de carrière lorsqu’on ne peut pas faire autrement. C’est pourtant cette police qui donne le ton de l’image de la police auprès de la population. Le travail de police repose prioritairement sur le contact quotidien avec la population.

La question des contrôles d’identité fait couler beaucoup d’encre. Quelles sont vos préconisations à cet égard ?

En France, on considère que le contrôle peut servir à tout – enquêter, réaffirmer son autorité, collecter du renseignement… – et on ne se pose pas la question des effets négatifs de ces contrôles à répétition. L’enregistrement des contrôles serait donc une bonne chose, ne serait-ce que pour permettre à l’institution policière de les mesurer précisément. Actuellement, on ne sait pas combien de contrôles sont faits, ni par qui et dans quel but. Il est urgent d’avoir une vision plus globale en se donnant des instruments de mesure et de suivi. En Allemagne, les policiers contrôlent moins, de façon plus ciblée et souvent avec plus de distance et de capacité à faire baisser la tension. Nous proposons de nous inspirer de cet exemple ou encore du cas anglais. Pour cela, il faut donner aux policiers un cadre déontologique précis. Il faut aussi mettre en place des formations afin de leur apprendre à gérer un contrôle qui se passe mal.

Vous évoquez la formation des policiers. Que faut-il améliorer dans ce domaine ?

Nous sommes conscients de la difficulté de la tâche, car les formations de gardien de la paix sont courtes. Cependant, elles doivent aller au-delà du seul aspect juridico-technique. Les jeunes policiers devraient être mis beaucoup plus fréquemment en situation afin d’apprendre à mieux gérer les interactions avec le public. Que ce soit en formation initiale ou continue, la dimension relationnelle et territoriale du métier devrait être mise en avant. Nous plaidons en outre pour que l’on régionalise le recrutement, un peu comme cela se fait pour les professeurs des écoles. Dès le début de leur carrière, ceux-ci ont conscience d’être attachés à une région. Nous plaidons aussi pour que l’on mette en place des moyens incitatifs afin que les policiers les plus jeunes ne soient pas contraints de passer systématiquement dans les territoires les plus difficiles, faute de volontaires plus expérimentés.

Peut-on imaginer une meilleure collaboration entre la police et les intervenants de terrain, notamment les travailleurs sociaux ?

Même si cela n’est pas vraiment nouveau, nous rejoignons la dynamique engagée depuis les années 1980 autour de la responsabilité partagée en matière de sécurité. Il est nécessaire pour les policiers de sortir de leurs commissariats. Actuellement, cette dimension reste trop souvent centrée sur la seule personne du commissaire. Travailler avec des professionnels de l’intervention sociale et d’autres intervenants territoriaux demande d’intégrer une culture collaborative, surtout au niveau de la chaîne hiérarchique, ainsi que de l’autonomie et du pragmatisme. Ce qui n’est pas facile dans une institution très centralisée.

Vous évoquez aussi des rencontres directes entre la population et la police…

Nous préconisons en effet de développer de telles réunions publiques. Elles existent déjà, mais de façon exceptionnelle, souvent à l’initiative du commissaire. Certes, elles ne sont pas forcément une partie de plaisir pour les policiers présents, mais elles permettent de dépasser un certain nombre d’idées reçues sur leur travail. Elles ont également pour vertu d’apporter des informations opérationnelles sur l’état moral du quartier et les priorités à suivre. En les ouvrant à une diversité d’acteurs, elles peuvent être un moyen pour fluidifier les rapports entre police et population.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin, Jacques de Maillard est également directeur adjoint du Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Il a présidé le groupe de travail chargé du rapport « Police et population : pour des relations de confiance » (Terra Nova, 2016). Il est aussi l’auteur, avec Fabien Jobard, de Sociologie de la police (éd. Armand Colin, 2015).

Notes

(1) Présidé par François Chérèque, Terra Nova est un « think tank » progressiste indépendant ayant pour but de produire et de diffuser des solutions politiques innovantes en France et en Europe – Rapport disponible sur http://tnova.fr/rapports/police-et-population-pour-des-relations-de-confiance.

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