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« Front populaire : un octogénaire sans anniversaire »

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Julien Damon Professeur associé à Sciences-Po, conseiller scientifique de l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale

La France aime généralement les célébrations. Certaines années sont riches d’évidences. En 2015, on a pu célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’organisation de la sécurité sociale. Les 70 ans du vaisseau amiral de la protection sociale à la française n’ont pas donné lieu à des feux d’artifice, mais à une mobilisation des caisses et des régimes ponctuée par un grand colloque conclu par le président de la République. Ce qui n’est jamais rien.

2016 aurait pu être l’occasion de nombreuses cérémonies. Il y en avait potentiellement pour tous les goûts : 70 ans du commissariat général au plan (plusieurs fois rebaptisé et refondu), du statut de la fonction publique ou encore de la création du CNPF (ancêtre du Medef). Mais si on va jusqu’aux 80 ans, une référence s’impose : le Front populaire. Pourtant, 2016 n’aura pas soufflé de bougies sociales.

Revenons à l’histoire. Après les manifestations nationalistes du 6 février 1934, dans un contexte d’effervescence politique, sur fond de vifs affrontements au Parlement et dans la rue, le programme du Front populaire est publié en janvier 1936. Sa victoire aux législatives du printemps éveille un immense espoir dans le camp des travailleurs et des craintes symétriques dans celui du patronat. Un vaste mouvement de grève dans tous les secteurs laisse augurer, rêver ou craindre (c’est selon) une révolution sociale. Des réformes substantielles sont décidées. Des femmes (trois) entrent au gouvernement. En juin, dans les suites des « accords Matignon », plusieurs textes amènent une nouvelle substance au droit social tout en transformant la vie des gens : reconnaissance de la liberté syndicale, élections des délégués du personnel, signatures de conventions collectives, semaine de travail de quarante heures, deux semaines de congés payés. En juillet, alors que l’âge de la scolarité obligatoire est porté à 14 ans, l’accès à une retraite est organisé dans les mines à 65 ans. Tout l’été – ceci ayant peut-être été rétrospectivement monté en mythologie ouvrière –, des ouvriers sillonnent les routes à vélo et découvrent les plaisirs des vacances. C’est le temps des congés payés et des auberges de jeunesse, sous l’impulsion du sous-secrétaire d’Etat à l’organisation des loisirs et des sports (sic), Léo Lagrange.

Tout n’est pas rose. La période connaît les tensions de la guerre d’Espagne, les échecs économiques et la nécessité de dévaluations, les spectres des fascismes qui s’étendent en Europe. Les parallèles sont néanmoins largement anachroniques. Les Jeux olympiques de Berlin n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Rio. Les menaces fascistes ne sont pas de même nature que les menaces islamistes. Les chocs économiques n’ont ni la même intensité ni les mêmes origines. Il n’en reste pas moins qu’à quatre-vingts années d’intervalle, on ne peut que parler de « périodes troubles », dans les deux cas.

2016 aurait pu être l’occasion d’une comparaison, d’une mise en perspective, d’interrogations sur le sens du progrès social, son contenu, son rythme, ses « pauses » (pour reprendre l’expression de Léon Blum en 1937). Or 2016 n’a pas été l’occasion de la célébration, même critique, ni de la seule évocation. Il faut dire que le pouvoir en place s’est empêtré dans sa loi « travail ». La gauche, en 1936, s’appuyait sur une dynamique de grèves pour faire avancer ses idées et propositions. La gauche, en 2016, a dû se confronter à une grève contre la mise en œuvre de ses nouvelles idées.

Quelques hommages ponctuels ont tout de même été rendus, par exemple devant la statue de Léon Blum dans le XIXe arrondissement à Paris. Mais peu d’affluence et peu d’effusion. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, a, lui, été accueilli par des jets d’œufs lors d’une visite à Montreuil pour dévoiler un timbre-anniversaire. Quelques rencontres ont été montées, comme le colloque organisé à HEC avec la Fondation Jean-Jaurès. Mais au fond, rien de très ambitieux, ni de très visible.

On ne peut que le déplorer. Non par nécessité de tout commémorer ni pour forcément glorifier, mais simplement parce qu’il est bon de connaître et discuter son passé, afin de savoir vers quoi l’on peut raisonnablement se diriger.

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