La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a organisé un système de répartition des accueils des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille(1) – autrement dit des mineurs isolés étrangers. Quelques mois plus tard, un décret d’application a précisé les conditions d’accueil, d’évaluation et d’orientation de ces mineurs entre les départements avant qu’un arrêté n’explicite les paramètres de calcul de la clé de répartition(2). Un nouvel arrêté vient de paraître. Il définit les modalités de l’évaluation de la minorité et de l’isolement familial des personnes se déclarant mineures privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
Rappelons que, dans le cadre du nouveau dispositif, le président du conseil départemental du lieu où se trouve la personne se déclarant mineur isolé doit mettre en place un accueil provisoire d’urgence d’une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge. C’est au cours de cette période qu’il doit procèder aux investigations nécessaires pour l’évaluation de la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement. Cette évaluation aboutit à une décision de reconnaissance ou de refus de reconnaissance de cette qualité par le président du conseil départemental, qui se prononce sur la base d’un rapport de synthèse et d’un avis motivé émis par le professionnel chargé de l’évaluation sociale.
Le mineur est considéré comme isolé si « aucune personne majeure n’en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l’enfant, notamment en saisissant le juge compétent ». Dans cette dernière hypothèse, « afin de faire obstacle à toute exploitation ou emprise », une attention particulière doit être portée aux motivations de cette personne, « qui doit agir dans l’intérêt exclusif de l’enfant », précise l’arrêté.
L’évaluation sociale de la personne se déclarant mineur isolé est menée par les services du département ou par toute structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle la mission d’évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental. Ce dernier doit s’assurer que les professionnels auxquels il a recours disposent d’une formation ou d’une expérience leur permettant d’exercer leur mission dans des conditions garantissant la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Il doit aussi veiller au caractère pluridisciplinaire de l’évaluation sociale. Les professionnels doivent ainsi justifier d’une formation ou d’une expérience notamment en matière de connaissance des parcours migratoires et de géopolitique des pays d’origine, de psychologie de l’enfant et de droit des mineurs.
L’évaluation sociale doit se dérouler dans une langue comprise par l’intéressé, le cas échéant avec le recours d’un interprète, faisant preuve de neutralité vis-à-vis de la situation.
La personne est informée des objectifs et des enjeux de l’évaluation, « qui doit être une démarche empreinte de neutralité et de bienveillance ». Elle est notamment avisée qu’elle pourra être prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un autre département si elle est déclarée mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille à l’issue de l’évaluation.
Concrètement, l’évaluateur doit analyser la cohérence des éléments recueillis au cours d’un ou de plusieurs entretiens, si nécessaire en demandant le concours de professionnels d’autres spécialités ou en effectuant des vérifications auprès de particuliers concernés. « Ces éléments constituent un faisceau d’indices qui permet d’apprécier si la personne est un mineur isolé », précise l’arrêté.
A chaque stade de l’évaluation sociale, l’évaluateur doit veiller à confronter l’apparence physique de la personne évaluée, son comportement, sa capacité à être indépendante et autonome, sa capacité à raisonner et à comprendre les questions posées, avec l’âge qu’elle allègue.
Il doit également être attentif à tout signe d’exploitation ou d’emprise dont peut être victime la personne évaluée, l’informer sur les droits reconnus aux personnes victimes d’exploitation ou de traite des êtres humains et veiller, le cas échéant, à son accompagnement vers le dépôt de plainte.
Les entretiens peuvent permettre aussi de déceler d’éventuels problèmes de santé nécessitant des soins rapides.
L’évaluation sociale doit être conduite selon les modalités précisées dans un « référentiel national » fixé par l’arrêté. Elle doit ainsi porter « a minima » sur six points :
→ l’état civil. L’évaluateur recueille les déclarations de l’intéressé concernant sa situation personnelle, son état civil, son pays ainsi que sa région d’origine. La personne évaluée doit produire tout document concernant son état civil et en préciser les conditions d’obtention. L’évaluateur doit appliquer la présomption d’authenticité des actes de l’état civil émanant d’une administration étrangère ;
→ la composition familiale. L’évaluateur recueille auprès de la personne évaluée tous éléments sur sa famille et ses proches dans son pays d’origine, l’identité et l’âge de ses parents et des membres de sa fratrie, la place qu’elle occupe au sein de cette dernière. L’intéressé doit indiquer s’il a maintenu des liens avec sa famille depuis son arrivée sur le territoire français, notamment s’il a connaissance de la présence de membres de sa famille en France ou en Europe, ainsi que les liens qu’il entretient avec ceux-ci. « Les entretiens […] peuvent être le moment propice à l’amorce d’une recherche de la famille en vue d’une prise de contact », précise l’arrêté ;
→ la présentation des conditions de vie dans le pays d’origine. La personne évaluée doit décrire le contexte géopolitique de sa région d’origine, la situation économique de sa famille la plus proche, ainsi que la localisation actuelle de celle-ci, le niveau et le déroulement de sa scolarité et/ou de sa formation et enfin le travail ou toute autre activité qu’elle a pu exercer dans son pays d’origine. L’évaluateur prend en compte l’évolution géopolitique du pays dont elle est ressortissante, telle qu’il peut en avoir une connaissance objective issue notamment de la consultation du site du ministère des Affaires étrangères ;
→ l’exposé des motifs de départ du pays d’origine et la présentation du parcours migratoire de la personne jusqu’à l’entrée sur le territoire français. L’évaluateur recueille auprès de la personne évaluée les motifs et la date de départ de son pays d’origine ainsi que l’organisation et les modalités de financement de son parcours migratoire en précisant, le cas échéant, l’intervention de passeurs. Elle décrit son itinéraire entre le pays d’origine et le territoire français, en précisant la durée et les conditions du séjour dans chaque pays traversé, les démarches éventuellement engagées dans ces pays et notamment sa prise en charge par des services d’aide à l’enfance ;
→ les conditions de vie depuis l’arrivée en France. La personne évaluée doit préciser la date et ses conditions d’entrée sur le territoire français, ses conditions de vie en France depuis son arrivée et les conditions de son orientation vers le lieu de l’évaluation ;
→ le projet de la personne. Afin de procéder à une orientation adaptée de la personne, l’évaluateur recueille son projet notamment en termes de scolarité et de demande d’asile ainsi que, lorsqu’un contact avec la famille a pu être établi, le projet parental.
L’évaluation sociale conduit à la rédaction d’un rapport de synthèse concluant ou non à la qualité de mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. D’autres points peuvent être ajoutés pour enrichir l’évaluation si la situation de la personne le nécessite. Si des doutes subsistent quant à l’âge, l’évaluateur l’indique dans son rapport.
Il revient ensuite au président du conseil départemental d’apprécier la nécessité, selon les cas :
→ d’une transmission aux services chargés de la lutte contre la fraude documentaire des documents d’identification produits par la personne évaluée s’il estime qu’ils pourraient être irréguliers, falsifiés ou que des faits qui y sont déclarés pourraient ne pas correspondre à la réalité ;
→ d’une saisine de l’autorité judiciaire aux fins d’assistance éducative ou pour procéder à des investigations complémentaires.
Si la personne est évaluée mineur isolé, elle bénéficie des dispositions relatives à la protection de l’enfance. Dans le cas contraire, le président du conseil départemental notifie à l’intéressé une décision motivée de refus de prise en charge mentionnant les voies et délais de recours applicables. Il l’informe alors sur les droits reconnus aux personnes majeures notamment en matière d’hébergement d’urgence, d’aide médicale, de demande d’asile ou de titre de séjour.