« Parmi les quelque 40 000 personnes qui sont chaque année déboutées du droit d’asile en France, certaines ont subi des actes de torture ou d’autres formes de violence politique », souligne le centre Primo-Levi dans un rapport publié le 17 novembre. Plus de 50 % des patients suivis par le centre ont ainsi été déboutés en 2015, année au cours de laquelle la France a rejeté 67 % des demandes d’asile, contre 47 % en moyenne en Europe. Pourtant, notre pays est « loin d’être “submergé” de demandes », relèvent les auteurs, signalant que sur 24,5 millions de personnes contraintes à fuir leur pays à travers le monde en 2015, 1,26 million ont déposé une demande d’asile en Europe, dont 74 468 en France.
Intitulé « Persécutés au pays, déboutés en France »(1), ce document, fruit d’une enquête auprès de différents acteurs de terrain, met en lumière « les failles de la procédure ». Il explique d’abord que l’exigence de « crédibilité » demandée dans le cadre de la demande d’asile se révèle « incompatible avec la réalité psychique » des personnes victimes de torture : en effet, parmi les conséquences de celle-ci « figurent des perturbations de la mémoire qui s’expriment souvent par des manifestations contradictoires, telles que l’amnésie (partielle ou intégrale) ou l’hypermnésie », qui sont souvent exacerbées lors des entretiens avec les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et les juges de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). En outre, le centre note que ces derniers ne sont pas suffisamment sensibilisés aux problématiques psychiques. « Cela se manifeste dans la façon dont sont menés les entretiens, mais aussi dans le traitement différencié des certificats médicaux : plus encore que les autres, les certificats qui (ne) font état (que) de troubles psychiques semblent bien souvent mis de côté », écrivent les rédacteurs du rapport.
Par ailleurs, alors que « le temps est l’un des prérequis essentiels pour appréhender le plus justement possible une personne qui a été victime de torture », les délais imposés « sont souvent trop courts pour rassembler les documents et pour élaborer, écrire et faire traduire correctement le récit ». Au final, « sur une procédure qui peut durer en tout jusqu’à deux ans, voire plus, il aura été offert au total 2 heures ou 2 h 30 au demandeur pour expliquer son histoire, et aux juges pour décider de l’avenir d’une personne ou d’une famille ! ».
Le rapport dénonce enfin « un climat de “désaccueil” et de suspicion » à l’égard des réfugiés qui « n’est évidemment pas sans incidence sur le traitement des demandes d’asile ». Dans ce contexte, « l’instruction est finalement souvent menée à charge, en contradiction totale avec le principe de l’asile : à travers leurs écrits et – si elle leur est donnée – leur parole, les demandeurs d’asile se retrouvent aujourd’hui soumis à la difficile tâche de convaincre les officiers de protection de l’OFPRA et les juges de la CNDA que ce qu’ils disent n’est pas un mensonge et que leurs motifs de fuite ne sont pas d’ordre économique ».
Le centre Primo-Levi s’est également intéressé aux impacts du refus, décrivant « un processus de déshumanisation réactivé ». Outre la menace de l’expulsion, les déboutés ayant eu la chance d’obtenir une place en centre d’accueil pour demandeurs d’asile disposent d’un mois pour en partir. « Or quitter un lieu où l’on a vécu un an ou un an et demi implique une nouvelle fracture, d’autant plus quand on n’a nulle part d’autre où aller : le semblant de stabilité et de vie sociale qu’il apportait prend fin du jour au lendemain », écrivent les auteurs. A cela s’ajoutent les difficultés d’accès aux soins et à l’accompagnement socio-juridique.
Pour pallier ces failles, le centre fait une série de recommandations, appelant notamment à une « remise en question de la politique d’expulsion des déboutés du droit d’asile fondée sur la seule base des refus de protection qui leur sont opposés par l’OFPRA et la CNDA ». Il demande en particulier un traitement plus juste des demandes de réexamen passant par un assouplissement des conditions de recevabilité et prévoyant un entretien systématique à l’OFPRA lors de cette deuxième demande. Expliquant que, « dans la procédure d’asile française, il n’existe pas de juridiction d’appel puisque la CNDA statue en première et dernière instance, sans réel contrôle par le Conseil d’Etat », le rapportrecommande la « création d’une juridiction d’appel » et un contrôle effectif des décisions de la cour par la Haute Juridiction.
Le centre Primo-Levi appelle également au « respect du principe de l’accueil inconditionnel » des personnes déboutées dans le dispositif d’hébergement d’urgence. Il prône « l’introduction, le financement et la valorisation de missions d’accompagnement social auprès des étrangers quelle que soit leur situation », ainsi qu’une couverture santé pour tous, avec un accès non discriminatoire à l’ensemble des prestations de santé.
(1) Disponible sur