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Intelligence collective

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Approche sociocratique, outils collaboratifs, méthode Vita Air… Les directeurs des ESMS sont nombreux à s’engager dans une démarche de management innovant. Pour connaître le succès, il leur faut, outre l’aval de leur gouvernance, le soutien de leurs équipes.

« Il y a quelques mois, des ruches ont été installées dans le jardin de l’établissement. Les éducateurs ont eu l’idée de produire du miel et de vendre des pots estampillés “Miel des Rochers”. C’est en leur laissant les mains libres qu’émergent les plus beaux projets », se félicite Damien Tellier, qui dirige, à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), le dispositif ITEP Les Rochers, un Sessad et un centre d’accueil familial spécialisé au sein de l’association Ar Roc’h. Depuis plusieurs années, il encourage ses équipes – quel que soit le niveau hiérarchique – à développer leur créativité, sans attendre l’aval de leur manager ou des directives précises. « Et les idées fusent ! », se réjouit-il. Dans son mode de management, qu’il fonde sur le principe de « subsidiarité », Damien Tellier considère que « toute personne embauchée est une personne responsable et autonome ». Il laisse ainsi chaque équipe gérer son propre budget, ses plannings, et donne à chaque salarié une délégation. « Un agent aura la responsabilité du parc de vélo, un autre gérera les achats des produits d’entretien… Je ne m’en occupe pas et leur laisse carte blanche », prône-t-il.

Un foisonnement de methodes

Résoudre les dysfonctionnements en interne, assurer la pérennité de la structure, améliorer le bien-être des salariés, renforcer leur autonomie, se dégager du temps libre… Autant de raisons pour les directeurs d’ESMS de s’engager dans une démarche d’innovation managériale. Il n’existe pas de modèle spécifique à cette approche, mais une multitude de méthodes qui ne demandent pas forcément des moyens financiers. En effet, selon François Noble, directeur de l’Andesi, « la capacité d’innovation dépend surtout de la personnalité du directeur, de sa capacité à penser le changement ». Il ajoute : « Pour autant, un directeur ne peut pas mener seul ce changement, puisqu’il le fait au sein d’une institution et dans un cadre précis. Il faut que la gouvernance lui laisse le pouvoir d’agir, mais aussi qu’il ait le soutien de son équipe, directement impactée par ces évolutions. » En effet, même si elles se révèlent positives pour l’institution, les innovations managériales se font rarement dans la facilité. « Il est fréquent d’observer des réticences de la part des collaborateurs, entre ceux qui n’y croient pas, ceux qui ne veulent pas ou ceux qui ne comprennent pas », précise Francis Boyer, consultant spécialisé en innovation managériale.

Emmanuel Ollivier, directeur de deux CHU parisiens et d’un CADA en Essonne au sein de l’Armée du Salut, a rencontré ce type de réticences quand il a décidé de s’approprier des outils venant du secteur de l’entreprise. « Cela a été un changement de culture. Il a fallu former les personnes en poste et les accompagner sur les difficultés potentielles », confirme-t-il. Déjà titulaire d’un master MOSS (Management des organisations sanitaires et sociales), Emmanuel Ollivier vient de terminer un diplôme en « intelligence collective » et s’est lancé dans une thèse en éthique. « Passionné par ces questions, je cherche à développer des organisations plus agiles », explique-t-il. Pour gagner en efficacité et réussir à cumuler ses multiples casquettes, il s’appuie sur des outils collaboratifs informatiques comme Slack et Trello, des applications gratuites qui servent à partager des agendas en temps réel et à gérer des projets en ligne. Le directeur s’est intéressé à la « gouvernance sophocratique », qui permet de faire émerger la capacité d’innovation et le potentiel collectif d’une organisation. Il a ainsi mis en place des « cercles » où se retrouvent les agents, qui débattent et décident ensemble des sujets qui les concernent. « Ce ne sont pas les chefs de service ou les cadres qui prennent toutes les décisions, pour la simple raison qu’ils n’ont pas forcément une aussi bonne vision du terrain que les agents eux-mêmes. » Emmanuel Ollivier insiste : « On est sur des prises de décision par consentement et non par consensus (autrement dit, s’il n’y a pas d’objection pertinente, la décision est validée). L’objectif étant de gommer les enjeux d’ego. » Son management consiste aussi à développer d’« autres manières » de faire des réunions : « Je réunis tous les collaborateurs chaque trimestre autour d’un World Café[1] pour faire émerger des stratégies non pas à cinq ans ou à un an, mais à plus court terme (six mois). » Au quotidien, celui qui a passé un diplôme de mindfulness (« pleine conscience ») insiste pour que les réunions commencent par un temps de silence, qui permet de se recentrer sur ses émotions et son corps. « Il y a aussi un moment “météo”, où chaque personne autour de la table dit ce qu’elle ressent à l’instant T, sans avoir à se justifier. Si plusieurs éducateurs se sentent fatigués, stressés, il faut en tenir compte dans les décisions qui vont être prises », résume Emmanuel Ollivier.

Une gestion humaine des ressources

Le bien-être des salariés, c’est aussi ce à quoi aspire Noël Touya, directeur de la MECS Saint-Vincent-de-Paul, à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). « Nos institutions accueillent de la souffrance humaine, et celle-ci se dépose forcément sur les personnes et sur l’organisation. Dès lors, il est nécessaire de prendre soin de nos salariés, de développer une gestion humaine des ressources. » L’ancien éducateur spécialisé propose à ses 42 équivalents temps plein des espaces dédiés où ils peuvent réfléchir ensemble à un certain nombre de questions et travailler chaque situation sur le plan clinique. Il prend également soin du bon fonctionnement de l’équipe de direction – deux chefs de service et lui-même. « Chaque semaine, j’organise deux réunions avec eux. La première est organisationnelle, la seconde consiste à aborder les problématiques qu’ils ont à traiter avec les équipes, développe-t-il. L’idée principale est de sanctuariser ces espaces de rencontre, sinon on a toujours de bonnes raisons pour ne pas se retrouver ! »

Repérer les compétences cachées

Le directeur de MECS organise aussi des séminaires, deux fois dans l’année. « Avec les chefs de service, nous nous éloignons pendant deux jours de l’institution pour parler des projets, des évaluations. C’est aussi un moment de régulation où l’on se dit les choses, où l’on débat, parfois vivement. Si bien qu’une fois de retour auprès des équipes, il n’y a pas de différence notable entre ce que dit l’un ou l’autre. »

C’est pour valoriser des métiers souffrant d’une image dégradée que Pierre Roux, directeur du GCSMS Paliaos (quatre EHPAD répartis aux alentours de Rodez), a décidé de « détecter les compétences clandestines des salariés les moins qualifiés », en développant le parcours professionnel personnalisé : « Nous souhaitons non seulement qu’ils réalisent la vraie valeur de ce qu’ils font, mais aussi que cela débouche sur une formation pour monter en qualification. Tous savent faire bien plus que ce qui est inscrit dans leur fiche de poste. Ainsi, une agent de service hospitalier a effectué une formation pour devenir aide-soignante, un cuisinier est devenu formateur… » L’objectif de ce manager est clair : « Je pars du principe qu’un personnel épanoui est un personnel qui travaille dans de meilleures conditions au service des aînés. »

Directeur du groupe économique solidaire ISA Groupe, à Aubigny-sur-Nère (Cher), Renaud Chenon ne peut qu’approuver cette démarche. Il a décidé de développer une nouvelle méthode de travail, Vita Air(2), qui aide à placer « la juste personne au juste poste » : il y a deux ans, ISA Groupe (deux chantiers d’insertion, une association intermédiaire, une entreprise de travail temporaire d’insertion et une entreprise de travail temporaire) avoulu changer la façon de placer ses salariés en insertion. « Au lieu de demander aux entreprises locales si elles ont des tâches à proposer, nous allons vers les chefs d’entreprise pour comprendre ce qu’ils font et décliner leurs postes de travail en compétences, explique Renaud Chenon. Et les compétences de nos salariés en recherche d’emploi sont nombreuses, elles ne dépendent pas que d’un diplôme ! Par exemple, quelqu’un passionné par le modélisme aura une dextérité manuelle qui pourra servir dans la joaillerie… »

Une stratégie payante, puisque 78 personnes ont retrouvé un contrat à durée indéterminée en 2015. « Comme nous sommes sur une importante évolution de notre activité, il fallait faire évoluer notre organisation. Ce qui m’a amené à projeter le système Vita Air sur mes propres collaborateurs, commente Renaud Chenon. Nous avons réalisé un diagnostic interne, analysé le poste des 16 salariés permanents, les compétences de chacun et ses affinités avec telle ou telle tâche. Il y a eu de vraies révélations ! » Le directeur a redessiné l’organigramme : un agent d’accueil est devenu conseiller en insertion, un comptable travaille aujourd’hui sur la mise à disposition. « Avant de mettre en place Vita Air, les conseillers étaient tous des généralistes : ils accueillaient la personne, la suivaient, la mettaient en relation avec l’entreprise… Maintenant, ce sont des spécialistes – de l’insertion professionnelle, de l’accompagnement social, de la mise en relation des chercheurs d’emploi avec nos clients, du développement et de l’innovation. Comme tout le monde est à la place qui lui convient, je n’ai plus aucun problème de personnel », se félicite Renaud Chenon. Son propre rôle a évolué. « Je suis en plein coaching. Je me suis rendu compte que j’apportais plus à ISA Groupe en étant à l’extérieur, en réflexion sur le développement de notre offre de service, que derrière mon bureau. Donc autant que je délègue les tâches administratives à quelqu’un d’autre. Je réfléchis à embaucher un adjoint de direction… »

Un management remis à plat

L’évolution de la carrière, Damien Tellier, directeur de l’ITEP Les Rochers, en parle dès l’embauche aux travailleurs sociaux. « Je veux des gens motivés auprès des enfants de l’ITEP et du Sessad. J’aime qu’ils aient de l’ambition. Alors s’ils veulent évoluer professionnellement, je fais en sorte de les aider. » Trois éducateurs recherchent des postes à responsabilités qui n’existent pas en interne. « Je leur transmets les annonces, je les aide pour rédiger leur CV et leur dégage même du temps pour les entretiens », explique le directeur, qui va jusqu’à leur faire passer des oraux blancs ! « Si une personne a des velléités de départ et que l’on ignore cela, on se retrouve avec des salariés aigris. Alors que si on les soutient dans leur projet, ils restent dans une certaine dynamique », analyse-t-il.

Directrice de l’EHPAD Montfort de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), Géraldine Roy a, quant à elle, tout remis à plat ces douze derniers mois. La direction de cet établissement public de 64 résidents est le premier poste de celle qui a terminé son cursus D3S en 2011. « Même si j’avais la volonté de ressouder les équipes qu’on m’avait présentées comme en difficulté depuis l’extension de la structure quelques années auparavant, j’ai d’abord eu à m’occuper de la gestion quotidienne. Ce n’est que l’an dernier que j’ai pris la décision de me consacrer à 100 % à la question de la dynamique d’équipe et de comprendre pourquoi mon lien avec le terrain était rompu », relate-t-elle. Au même moment, l’agence régionale de santé octroie à l’établissement des crédits non reconductibles pour mener une étude sur les risques psychosociaux. « Une aubaine : un consultant a fait un état des lieux du climat social avec un plan d’action. Mais le résultat était déstabilisant car il y avait beaucoup de souffrances », se souvient Géraldine Roy.

Le premier point a été une remise en question de la directrice. « J’ai accepté de considérer que ce qui n’allait pas pouvait venir de moi et d’un management qui n’était pas adapté. J’ai choisi d’entamer des formations, à la fois sur mon temps personnel et professionnel : la communication non violente, des approches alternatives comme la sociocratie[3], l’analyse systémique avec le modèle de Palo Alto[4]… Je suis aussi allée regarder du côté de l’entreprise libérée. Tout cela a conduit à pas mal de changements. » L’organigramme de l’EHPAD est révisé de fond en comble afin de « rééquilibrer » les équipes. « Nous avons défini un pôle “hôtellerie-restauration” et un pôle “ vie sociale et soins”. J’ai pris mon temps pour recruter une infirmière coordonnatrice. On a refait les plannings, permis aux agents de prendre leurs congés de manière plus souple. Nous avons créé un poste de référent santé-sécurité et un CHSCT », liste Géraldine Roy, qui a donné avec les représentants du personnel un nom et un logo à ce grand projet – « Tous ensemble pour le résident ». Elle ajoute que toute l’équipe (une quarantaine de salariés) a suivi la formation « Savoir se situer dans son rôle professionnel », qui a permis de créer des liens. Un groupe de travail « communication-cohésion » composé de personnel volontaire a également été constitué. « Et aujourd’hui, on a une bonne ambiance ! se réjouit-elle. Ce n’est pas parfait, mais on fait en sorte que les salariés s’entendent, communiquent, et qu’ils puissent apporter un service optimal aux résidents. L’établissement a été transformé par ce nouveau mode de management. »

La création d’un GCSMS

« Je n’ai jamais travaillé aussi bien qu’aujourd’hui, affirme Pierre Roux, directeur du GCSMS Palaios, à Rodez. Le changement d’organisation a été chaotique, mais ça valait le coup. » En 2010, l’homme dirigeait l’EHPAD Les Caselles, à Bozouls (Aveyron), quand il est sollicité par une association voisine pour remplacer un confrère qui dirigeait deux structures. « J’ai préféré proposer la création d’un GCSMS pour mutualiser les moyens des trois EHPAD. Cela a permis de créer, d’une part, un pôle administratif et financier et, d’autre part, un pôle ressources humaines avec le personnel existant. Un an plus tard, une troisième association nous a rejoints pour utiliser les services supports de Palaios. A quatre maisons de retraite, on a pu engager une qualiticienne à temps plein et créer un mi-temps “droit des usagers” qui s’occupe des contrats de séjour, des livrets d’accueil, etc. Nous partageons un territoire, une éthique et une vision, mais les centres de décision restent proches du terrain. » Pour sa part, il considère ne plus faire le même métier : « Je dirigeais un établissement de 66 résidents avec une cinquantaine de salariés. Aujourd’hui, le GCSMS réunit 320 résidents et 225 salariés. Et j’ai dans mes équipes des personnes qui sont plus pointues dans leur métier. »

Lexique

• Andesi. Association nationale des cadres du social.

• CADA. Centre d’accueil pour demandeurs d’asile.

• CHSCT. Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

• CHU. Centre d’hébergement d’urgence.

• D3S. Formation de directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social de la fonction publique hospitalière.

• EHPAD. Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

• ESMS. Etablissement et service social et médico-social.

• GCSMS. Groupement de coopération sociale et médico-sociale.

• ITEP. Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique.

• MECS. Maison d’enfants à caractère social.

• Sessad. Service d’éducation spéciale et de soins à domicile.

Notes

(1) Lieu dans lequel des participants débattent d’un sujet par petits groupes qui se recomposent régulièrement.

(2) Voir ASH n° 2967 du 1-07-16, p. 24.

(3) Mode de gouvernance qui permet à tout type d’organisation de fonctionner sans pouvoir centralisé, par prise de décision distribuée.

(4) Courant de recherches sur la communication et la relation entre individus, notamment à l’origine de la thérapie familiale.

Manager dans le social

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