Recevoir la newsletter

Plateformes de services : «  Une (r)évolution des postures et des pratiques »

Article réservé aux abonnés

Ne plus raisonner en termes de places et d’établissements, mais de parcours de vie et d’adaptation des réponses aux besoins évolutifs des personnes, telle est la philosophie des plateformes de service que défend Marie-Aline Bloch, chercheuse en sciences de gestion, coauteure avec Jean-René Loubat, psychosociologue, et Jean-Pierre Hardy, vice-président de France Horizon, d’un ouvrage sur le sujet(1).
Vous avez consacré l’essentiel de vos recherches à la problématique des parcours des personnes âgées dépendantes et des personnes en situation de handicap. Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à la notion de « plate-forme de service » ?

Je me suis très vite rendu compte que cette notion de « parcours » n’était pas opérationnelle. Dire « on fait du parcours, on évite les ruptures pour les usagers, on prend en compte leurs besoins » constitue une sorte d’injonction des pouvoirs publics mais qui reste lettre morte si l’on ne s’attache pas, parallèlement, à faire évoluer l’offre sanitaire, sociale et médico-sociale vers plus de modularité. La plate-forme de service correspond à cette nécessité.

Comment définir la plate-forme de service ?

C’est un concept à géométrie variable, qui a différentes acceptions selon les auteurs. Pour ma part, je ne m’arrête pas à une définition précise, mais je mets en avant les attributs suivants : il s’agit d’une entité facilement accessible contribuant à la santé et à l’autonomie des personnes, qui est composée de services couplés et/ou interreliés dédiés au parcours des bénéficiaires.

A la différence de vos coauteurs Jean-René Loubat et Jean-Pierre Hardy, vous écrivez plate-forme de « service » et non de « services ». Pourquoi ce choix du singulier ?

Les deux orthographes peuvent s’entendre puisque, effectivement, la plate-forme propose quantité de services. Cependant, elle est avant tout au service des usagers, et j’ai voulu mettre l’accent sur ce sens premier. Notre système de santé et d’accompagnement est de plus en plus fragmenté du fait de la multiplication des établissements et services. L’intérêt d’une plate-forme est de lutter contre cette fragmentation et la difficulté à conclure des partenariats entre grands secteurs d’activité, et même à l’intérieur du même secteur. Les choses sont tellement réglementées que si on ne change pas le cadre, on ne peut pas beaucoup progresser. Avec les plateformes, on essaie de mettre le niveau de pilotage au plus près des usagers pour composer des réponses adaptées à leurs besoins. Les organisations confrontées à la complexité et aux changements rapides de l’environnement doivent être plus horizontales – d’où le nom de « plate-forme » – et de petite taille, avec une vraie dynamique d’équipe où chaque membre est coresponsable vis-à-vis des parties prenantes, à commencer par les usagers. La plate-forme de service entend être une organisation innovante et ouverte sur l’extérieur, qui regroupe en son sein, sous la même autorité, des activités diverses et complémentaires et noue des partenariats plus ou moins intenses et pérennes, selon la population à accompagner, avec différentes structures du territoire.

L’idée est que toutes ces ressources diversifiées puissent être mobilisées de façon souple pour une personne donnée, c’est-à-dire qu’il y ait des ponts et des combinaisons possibles entre services, que ce soit pour de l’appui au domicile, de l’accueil en hébergement ou les deux. Que l’on puisse, par exemple, selon des temporalités liées au parcours de la personne, passer assez facilement du domicile à l’établissement, voire bénéficier éventuellement conjointement d’un hébergement et d’un service à domicile dans cet hébergement pour disposer de certains personnels paramédicaux qui ne sont pas présents dans l’établissement.

Il faut sortir des raisonnements binaires et revoir en conséquence nos modes de financement. Le problème est d’avoir un financement au parcours et non plus par établissements et places, ce qui rejoint les questions de tarification, qui sont en train d’être réformées.

La plate-forme ne constitue-t-elle pas une couche supplémentaire au fameux mille-feuille du social et du médico-social ?

On ne crée pas une structure supplémentaire, ce sont les structures actuelles qui doivent évoluer. C’est pour ça que je parle de (r)évolution organisationnelle, une (r)évolution qui est aussi une (r)évolution des postures et des pratiques. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été capables de transformer les structures existantes, ou seulement à la marge. En revanche, nous sommes toujours à créer des dispositifs de coordination, des CLIC [centres locaux d’information et de coordination gérontologique], des réseaux… Aujourd’hui, nous avons atteint la limite : il faut que les acteurs eux-mêmes modifient leurs pratiques, sans attendre que quelqu’un vienne les aider à coopérer. Je rejoins, à cet égard, la notion de « soins partagés », cette capacité à faire avec d’autres, à être en synergie, en coaccompagnement des personnes. C’est bien cela qu’il faut développer, sans craindre de perdre sa place ou de voir son territoire professionnel menacé.

Apporter une réponse de meilleure qualité aux personnes, tel est l’enjeu. Les professionnels, bien sûr, s’y efforcent, et ils sont plutôt malheureux quand ils n’y parviennent pas. Mais il y a un effet « système » qui crée des incapacités : les professionnels sont limités par une information parcellaire sur les situations, par des moyens contraints et, au niveau des tutelles, par un cloisonnement qui ne facilite pas les choses entre l’ARS [agence régionale de santé] et le département. Sans parler de celui qui existe, au plan national, entre l’assurance maladie d’un côté, le ministère de la Santé de l’autre, ainsi qu’entre les directions de ce ministère. Toutes ces difficultés de coopération se répercutent sur les acteurs de terrain. Une part non négligeable de la complexité des situations est souvent due aux dysfonctionnements de notre système de santé et d’accompagnement.

Pouvez-vous nous donner des exemples de plateformes de service ?

Pour commencer par les dernières nées, je citerai les plateformes territoriales d’appui à la coordination (PFTAC), promues par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016. Elles doivent intervenir en soutien des professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux ayant besoin de recourir à des compétences complémentaires pour les personnes dont l’état de santé, le handicap ou la situation sociale nécessite l’intervention de plusieurs catégories d’acteurs(2). Certaines régions, comme la Bretagne, avaient un peu anticipé la démarche, mais on en est encore essentiellement au stade des appels à projet. D’autres plateformes, qui sont au service direct des publics, fonctionnent déjà dans plusieurs secteurs. Par exemple, depuis le plan Alzheimer 2008-2012, plus d’une centaine de plateformes d’accompagnement et de répit pour les aidants de personnes en perte d’autonomie ont été mises en place. Ces plateformes repèrent sur le territoire tous les services qui peuvent venir en aide aux aidants – information, écoute, conseils, relais – et elles développent en propre, ou avec certains de leurs partenaires, des activités en réponse aux besoins non couverts. Ainsi, la plate-forme d’accompagnement et de répit des aidants [PARA] de la Fondation Odilon-Lannelongue, à Vanves (Hauts-de-Seine), qui a été créée en avril 2013. Cette fondation gère par ailleurs un accueil de jour et un service de soins infirmiers à domicile porteur de l’équipe spécialisée Alzheimer. La PARA oriente les aidants vers les services du territoire offrant des solutions à leurs besoins – services de la fondation comme d’une multitude d’autres associations – ou, à l’inverse, ces services orientent les intéressés vers la PARA.

Dans le secteur du handicap, on peut assimiler le dispositif ITEP [institut thérapeutique, éducatif et pédagogique] et la palette de formules d’accueil qu’il est à même de proposer pour faire évoluer l’accompagnement des jeunes à une plate-forme de service – même si l’Association des ITEP et de leurs réseaux récuse cette appellation. Comme le soulignait un rapport de 2014 du CCAH [Comité national coordination-action-handicap] pour résumer l’enjeu du dispositif ITEP, « que l’on parle de “plate-forme de services”, de “ dispositif offrant plusieurs modalités”, de “diversification et souplesse de l’offre”, de “plateau technique mobile”, de “cellule de compétences”, c’est tout un secteur qui se met en mouvement au service d’une ambition : remettre la personne au centre du dispositif »(3).

La dimension partenariale est essentielle dans le travail d’une plate-forme…

Une plate-forme ne part pas de rien : pour composer des réponses adaptées à la multiplicité des besoins de ses bénéficiaires, elle joue avec ses propres ressources mais aussi avec celles de ses partenaires. Prenons l’exemple des plateformes de service correspondant à ce qu’on appelle souvent des EHPAD [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] « hors les murs ». Cela consiste, pour un EHPAD, à diversifier ses activités et à proposer des services pour le maintien à domicile en complément à l’institutionnalisation. Ainsi, la plate-forme gérontologique portée par la résidence intercommunale Jean-Villard, dans les Monts-du-Lyonnais : elle regroupait déjà un service de soins infirmiers à domicile [SSIAD], un accueil de jour, un hébergement temporaire et un EHPAD intégrant un pôle d’activités et de soins adaptés. Elle a ensuite renforcé son offre de services, notamment pour le soutien à domicile, afin d’améliorer l’accompagnement des personnes dans leur parcours de soins jusqu’au terme de leur vie et pour permettre, aussi, d’avoir un autre regard sur les EHPAD. « Le premier contact avec l’EHPAD, devenu plate-forme gérontologique, n’est plus celui synonyme de la fin du domicile », fait remarquer une jeune directrice d’établissement dont j’ai encadré le travail sur cette thématique à l’EHESP [Ecole des hautes études en santé publique]. Il y a également de nombreux centres communaux d’action sociale qui gèrent un certain nombre de structures (SSIAD, EHPAD…) et ont, potentiellement, un fonctionnement en plate-forme. Après, la question est de savoir s’il s’agit d’une palette d’offres qui se juxtaposent ou s’il y a des possibilités de souplesse et d’alternance entre elles. C’est un champ de recherche que nous allons explorer.

La coordination est-elle une fonction centrale des plateformes ?

Il convient de distinguer les plateformes qui fournissent du service et celles qui sont exclusivement centrées sur cette mission de coordination, c’est-à-dire qui font uniquement du lien entre les structures existantes, ce qui sera vraisemblablement le cas des futures PFTAC que nous avons évoquées. De telles plateformes visent à orienter les professionnels vers les ressources sanitaires, sociales et médico-sociales du territoire – y compris les différents dispositifs de coordination préexistants comme les CLIC – et à les aider à travailler en synergie autour d’une situation.

En ce qui concerne les plateformes de service à plus proprement parler, elles doivent assurer une fonction de coordination à deux niveaux : autour de chaque personne accompagnée, d’une part, et entre les différents services proposés, qu’ils soient développés en interne ou avec des partenaires extérieurs, d’autre part. Sur le premier niveau, un référent peut être identifié au sein de la plate-forme, qui a la responsabilité d’assurer la cohérence entre les interventions de tous les acteurs et constitue l’interlocuteur privilégié de la personne. Les médecins traitants, les référents de parcours ou les gestionnaires de cas des dispositifs MAIA [méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie] font partie de cette première catégorie. Au second niveau, plus institutionnel, la coordination peut être assurée, selon le type de structure porteuse du projet, par un soignant et/ou un travailleur social, voire par un administratif ou encore par une équipe pluridisciplinaire. Il revient à ces professionnels de mettre en œuvre les processus de collaboration et d’échange d’informations entre services au regard des bonnes pratiques et de la réglementation en vigueur, qui sont autant de repères pour agir. De fait, il ne s’agit pas toujours de faire du cousu main : en tirant parti des accompagnements réalisés dans le passé, il est possible d’apporter des réponses bien rodées aux situations les plus courantes. Mais il faut aussi savoir inventer au quotidien des solutions pour des situations nouvelles et plus complexes, qui ne peuvent être toutes anticipées.

Quel est le profil de ces responsables de plateformes de service que vous baptisez « coordonnateurs d’innovation » ?

A partir de quelques entretiens que nous avons pu avoir avec certains d’entre eux et en nous appuyant sur nos travaux en cours sur les pilotes MAIA, il apparaît que les « coordonnateurs d’innovation » appartiennent à deux catégories. Ce sont soit de jeunes professionnels, titulaires d’un master en management des établissements de santé, en ingénierie du social…, soit des professionnels « hybrides », qui ont eu une première partie de carrière dans des fonctions de soignants ou de travailleurs sociaux avant d’acquérir une formation complémentaire à la gestion et au management. S’ils sont issus du champ social, il leur faut s’investir dans la connaissance du secteur sanitaire, et réciproquement. Quel que soit leur cursus, les responsables de plateformes doivent souvent jouer un rôle de médiateur et faire preuve à la fois d’audace et d’imagination, mais aussi de modestie pour laisser toute la place nécessaire à l’ensemble des acteurs et partenaires.

Dont les usagers ?

Oui, il est essentiel de donner plus de place aux usagers et à leur entourage, non seulement pour être à l’écoute de leurs besoins, mais aussi pour mettre à profit leurs compétences et savoirs profanes développés en lien avec leur situation. Les usagers peuvent être force de proposition, voire partie prenante dans des évolutions organisationnelles, et parfois à l’origine de nouvelles formes d’accompagnement. N’oublions pas que le secteur du handicap s’est en grande partie développé grâce à l’initiative d’associations de familles ou de personnes en situation de handicap.

On a tendance à tourner en rond entre professionnels et décideurs, et à oublier les histoires de vie des personnes. C’est important, dans la conception même de la plate-forme, de les solliciter sur leurs attentes, même si cette plate-forme, comme dans un certain nombre de cas, est seulement à destination des professionnels. Comment ces professionnels vont-ils prendre en compte les demandes des personnes dans les plans d’accompagnement ? Un des gros problèmes rencontrés, par exemple dans les maisons départementales des personnes handicapées, est dû au fait que l’on passe très vite des besoins des personnes aux réponses qu’il est possible de leur apporter. Mais on omet de se demander si ces réponses sont adaptées. Or, si on fait l’impasse sur une claire identification des besoins, parce qu’on n’a pas les bonnes réponses à mettre en face, l’offre n’évoluera jamais. Cependant, je suis optimiste, car régulièrement ébahie par la qualité et l’intelligence des acteurs de terrain, leur souci de faire avancer les choses. Au-delà des institutions et des modèles, il y a de belles personnes. C’est encourageant si on leur laisse la possibilité d’agir.

Une experte reconnue dans les champs du grand âge et du handicap

Polytechnicienne et docteure en microbiologie, Marie-Aline Bloch a consacré les vingt premières années de sa carrière au développement de vaccins. Puis elle s’est intéressée à l’évolution des organisations et à la dynamique des professionnels dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche d’abord, celui du système de santé et d’accompagnement ensuite. En tant que directrice scientifique de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie de 2006 à 2010, la chercheuse a particulièrement étudié les modalités de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie et des personnes en situation de handicap. Elle s’est centrée, depuis, sur la question de la coordination et de l’intégration des services au sein du système de santé et, plus récemment, sur la problématique du parcours de santé et les innovations à même d’en améliorer la fluidité(1). Ancien membre du jury pour la conférence de consensus sur la recherche en/dans/sur le travail social, Marie-Aline Bloch exerce des fonctions d’expertise dans plusieurs instances de recherche sur le handicap et la perte d’autonomie. Elle est responsable, à l’Ecole des hautes études en santé publique, du nouveau diplôme d’établissement sur le pilotage territorial dans le champ des services pour les personnes en perte d’autonomie.

L’art délicat de la réforme administrative

Précurseur de la notion de « plate-forme de services », Jean-Pierre Hardy, qui a été de 1998 à 2009 un pilier de la direction générale de l’action sociale (devenue direction générale de la cohésion sociale), invite à « remettre en cause les établissements et services fonctionnant en “bastions isolés”, “en silos”, “en rang d’oignons” »(1). Cela ne veut pas dire, pour autant, que « de la période passée de 1975 à ces dernières années, tout doit être jeté aux chiens », souligne-t-il. Celui qui a conduit d’importantes réformes dans le secteur social et médico-social appelle à se défier de plusieurs risques successifs afférents au changement. Il convient d’abord de se garder du « syndrome de la “ table rase” », qui se traduit par la volonté de tout remettre à plat. Puis surgit « le syndrome de “l’usine à gaz” » : pour tenir compte des compromis, demandes contradictoires et « injonctions à « sauver des monuments historiques » et à épargner des “vaches sacrées” », on multiplie les exceptions à prendre en compte. Attention, ensuite, au « syndrome du “pont de la rivière Kwaï” ». Ce dernier « consiste à refuser de voir son œuvre remise en cause, même si l’on sait qu’on a été contraint à en faire une “usine à gaz” dont on finit par aimer et défendre la moindre tuyauterie ». Enfin, cerise sur le gâteau, « le syndrome du “mikado” » tient à l’impossibilité de toucher une pièce de l’édifice sans faire bouger toutes les autres.

Notes

(1) Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale – Ed. Dunod, 2016.

(2) Voir ASH n° 2969 du 15-07-16, p. 44.

(3) Voir « L’accompagnement des enfants handicapés révélateur d’un secteur en mouvement » – Les Cahiers du CCAH n° 6 – Novembre 2014.

(1) Elle a notamment été coauteure de Coordination et parcours. La dynamique du monde sanitaire, social et médico-social – Ed. Dunod, 2014.

(1) In Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale – Ed. Dunod, 2016.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur