« Nous avons tout d’abord connu une époque de multiplication des structures », détaille Jean-René Loubat, psychosociologue, consultant auprès d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux(1). Il s’agit, tout particulièrement, de la période partant des années 1950-1960, c’est-à-dire de la naissance des associations parentales qui ont impulsé le passage de la psychiatrie aux établissements allant devenir médico-sociaux, jusqu’aux années 2000. Soit un demi-siècle au cours duquel des opérateurs ont grossi jusqu’à représenter des milliers de salariés, consteller les départements d’établissements et créer des filières de la petite enfance jusqu’au grand âge. Le modèle des « complexes » a surgi durant cette période. Il « consistait à regrouper divers établissements complémentaires dans un double but : regrouper différents domaines de réponses auprès des bénéficiaires afin de limiter leurs déplacements ; concentrer et faciliter le management de ces structures en les rassemblant sous une même direction territoriale ». Nombre d’associations parentales allaient tendre vers ce modèle, commente Jean-René Loubat, « sans toutefois s’apercevoir qu’il pouvait reconstituer le modèle totalisant de l’hôpital psychiatrique, sous couvert du mythe du village ».
A la fin des années 1990 et au début des années 2000 vint l’ère des « pôles » réunissant des compétences par champs de prestations – par exemple pôle « habitat », pôle « accompagnement », pôle « travail ». « Cela afin de défaire précisément ces fameux complexes qui ne représentaient pas un véritable progrès organisationnel, car ils ne constituaient qu’une juxtaposition de structures existantes », analyse le psychosociologue. Plus récemment, le système des « matrices » croisant pôles et sites, afin que chaque site dispose des différents pôles, a inspiré certains opérateurs sous la double contrainte de la réduction du nombre de directeurs d’établissements et de l’affirmation d’une logique de territoires. Le regroupement par pôles présente en effet un inconvénient lorsqu’un même directeur de pôle doit gérer trois ou quatre établissements géographiquement éloignés.
Cependant, ces évolutions des organigrammes ne sauraient constituer une fin en soi, insiste Jean-René Loubat. Elles apparaissent au mieux comme les étapes d’un processus de rationalisation des organisations plus long et plus fondamental, « qui aboutit précisément au concept de “plate-forme” ». Jusqu’alors, les changements se sont surtout traduits par des « regroupements qui peuvent certes permettre quelques mutualisations de ressources, mais à vrai dire assez peu. Une véritable reconfiguration en plate-forme de services consiste en une mutation organisationnelle plus radicale ; mais pour cela il convient de déconstruire les notions d’“établissement” et de “service” au sens traditionnel », souligne le consultant. Dépasser le concept historique d’« établissement » issu de la loi du 30 juin 1975, tel est l’enjeu et la condition sine qua non de l’instauration d’une nouvelle entité : la plate-forme, qui met fin à l’atomisation des services au profit d’une palette de réponses modulables sur un territoire de vie pertinent. « Mais c’est précisément ce mouvement de déconstruction institutionnelle qui représente le processus mental le plus délicat dans le changement en cours, car ce ne sont pas tant les murs physiques des établissements qui sont résistants, que ceux qui sont dans les esprits des acteurs (les certitudes, les habitudes, les catégories, les territoires, les identités corporatistes) »(2).
(1) In Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale – Ed. Dunod, 2016.