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Départs en « colos » : un rapport propose de changer de « paradigme » pour favoriser la mixité

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Retenu pour évaluer le dispositif « #GenerationCampColo », Le Social en fabrique émet, dans un rapport de recherche, des pistes pour développer les pratiques inclusives dans la conception et l’organisation des séjours collectifs pour les enfants et les jeunes.

Comment passer d’un système qui entrave la mixité au sein des séjours collectifs de jeunes à une égalité de traitement de tous ? C’est la question que posent les chercheurs de la société d’édition Le Social en fabrique, retenue, à la suite d’un appel d’offres, par le ministère de la Jeunesse et des Sports pour évaluer le dispositif « #GenerationCampColo ». Décidée dans le cadre du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, cette expérimentation a été lancée à l’été 2015 dans l’objectif de favoriser le départ en vacances et l’accès aux loisirs du plus grand nombre, notamment des enfants résidant en milieu rural et dans les territoires de la politique de la ville, et de soutenir les actions innovantes du secteur associatif dans ce sens.

Le rapport remis par Le Social en fabrique au printemps dernier a entraîné un conflit entre ses représentants et la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, qui a exprimé certains désaccords sur son contenu et demandé des modifications. « Il n’a pas été validé par la direction, qui souhaite qu’il soit finalisé », confirme-t-on au cabinet du ministre. Une position dénoncée par l’équipe du Social en fabrique, qui a tout de même rendu publics ses travaux « pour réaffirmer le principe de la liberté de la recherche » et soumettre ses constats et propositions au débat public. Sachant que les objectifs et les enjeux de l’évaluation sont au cœur même de la discorde.

Un champ en mutation

Après avoir enquêté auprès d’un quart des 95 séjours sélectionnés par le ministère après son appel à projets, l’équipe de recherche a voulu analyser le dispositif non pas d’après son cahier des charges, mais de sa pertinence au regard d’une question plus large : celle de « l’existence de processus de séparation des publics par les politiques publiques et par les modes de fonctionnement des camps et colos créés au cours du temps ».

L’un des intérêts du travail des neuf chercheurs est donc d’apporter un éclairage sur la transformation et l’évolution du « champ des colos et des camps ». Ce, sous l’effet de la baisse des dotations de l’Etat, qui modifie « le comportement de nombreuses villes à l’égard des colos ». Aussi, nombre d’entre elles « ferment leurs centres, qui étaient autrefois des lieux de brassage des populations ». Autres tendances : l’augmentation des normes, qui « épuisent l’engagement, souvent militant », de certains acteurs, la réforme des rythmes scolaires, qui « mobilise fortement les effectifs de fédérations », ou encore le « déplacement du centre de gravité du champ vers une logique de marché ». Il découle de ces mutations « l’abandon du champ des colos et des camps par une partie des fédérations fondatrices, et non des moindres », constatent les chercheurs. Sans remettre en cause ces évolutions, le cahier des charges et les critères d’évaluation prévus par le ministère « ne répondent pas aux objectifs de mixité », considère Jean-Marie Bataille, directeur du Social en fabrique, par ailleurs docteur en sciences de l’éducation.

Les chercheurs estiment que, hormis plusieurs exemples émanant d’opérateurs « volontaristes » ou historiques de l’éducation populaire, « la question des mixités reste faiblement pensée et travaillée par les organisateurs », en raison de « segmentations occultées » lors de la constitution des séjours. Car la séparation des publics en situation de handicap, des jeunes selon leur territoire, des sexes et des groupes sociaux est avant tout le produit d’une histoire politique et économique. La priorité est donc, selon eux, de « réinterroger les pratiques sociales de séparation et les faire reculer », en clair de penser la mixité en amont de la conception des séjours. Ils proposent un « changement de paradigme » reposant sur le principe d’« accueil universel ». Le rapport cite par exemple une expérience de Cités d’enfants, qui a, dans le cadre du dispositif « #GenerationCampColo », créé un séjour autour de la mise en relation durant huit jours de quatre groupes d’enfants de 7 à 12 ans, provenant de quatre territoires différents. Autre initiative, plus ancienne, les « chantiers de Vaunières » (association Les Villages des jeunes), où plusieurs groupes cohabitent dans un village en cours de restauration – des scouts, des jeunes des quartiers nord de Marseille, d’autres venant d’une institution pour jeunes en situation de handicap ou de la protection de l’enfance. « Il y a aujourd’hui des séjours éducatifs adaptés, sanitaires, le dispositif Ville vie vacances… Est-ce qu’il n’est pas temps que tous les enfants participent à un seul type de séjour ? », interroge Jean-Marie Bataille.

Dans cette perspective, les chercheurs suggèrent de transformer une logique d’aide financière aux familles – « on observe dans les départs en colos un décrochage des couches populaires, qui ont droit à des aides mais n’y accèdent pas », commente le directeur du Social en fabrique – en une logique d’aide aux organisateurs pour la construction de la mixité. Dans le même ordre d’idées, ils préconisent de passer d’une logique de « ciblage » des publics à une logique de « construction de lieu où vivent plusieurs groupes ». Il s’agit aussi d’inscrire les séjours dans un processus, « une aventure singulière » autour d’un projet commun. Ce qui suppose aussi l’adhésion des enfants, des jeunes et des familles, en travaillant sur leurs souhaits et leurs représentations respectives, et de mesurer les écarts pouvant exister entre les intentions de mixité et sa réalité. « Certains acteurs du champ ont pris conscience des évolutions qu’ils devaient entreprendre pour approcher une mixité des publics grâce à des outils d’observation, d’autres ont réalisé qu’ils devraient se pencher sérieusement sur leurs pratiques ; d’autres encore ont mis, dans leur orientation, l’objectif de mixité sociale pour réaliser ensuite qu’ils devaient désormais passer aux actes. Parmi ces derniers, certains s’y sont engagés. D’autres, enfin, admettent qu’ils ne se sont pas vraiment questionnés, mais que cela leur paraît être un axe de travail important et qu’ils doivent s’y employer », résume le rapport.

Modèles alternatifs

Evoquant des projets autour du développement durable, notamment, Jean-Marie Bataille promeut « une autre façon de concevoir l’implantation des colos, avec une vraie réflexion sur leur impact dans les territoires et la création d’emplois ». Au lieu des normes qui « ont fait fermer un nombre incalculable de colos qui œuvraient efficacement pour la mixité sociale et de genre », d’une mise en concurrence qui amène certains organisateurs à « récupérer les publics solvables » ou d’un discours sur la fracture sociale qui « amplifie la politique de la ville dans le sens d’un développement séparé des populations », l’équipe de recherche propose de trouver « des nouveaux modèles qui suppriment ou atténuent la séparation ». Soit « moins technocratiques » et fondés sur des modèles économiques « alternatifs », comme l’économie sociale et solidaire, ou encore moins spécialisés sur des activités qui favorisent les frontières.

Une telle orientation suppose de dresser un état des lieux sur la situation de non-départ, plaident les chercheurs, d’associer les financeurs, les tutelles, les praticiens, les représentants des familles à la création de séjours pouvant inclure tout enfant ou jeune qui désire y partir et d’explorer les innovations pédagogiques visant à faire vivre ensemble des enfants et des jeunes habituellement séparés par les dispositifs, dans une logique inclusive. Ils proposent notamment de verser des aides financières aux collectivités qui mettent en place des projets et des actions visant les mixités : « Pour chaque enfant ou jeune partant en colo, verser à la Ville une aide de 20 € par jour sur dix jours afin qu’elle permette à un autre enfant ou jeune de partir en colo pour la première fois. Conditionner ce versement au fait que la moitié des départs en séjours soit organisée par des associations. » Les comités d’entreprise seraient soutenus selon le même principe.

Le rapport préconise aussi de financer des plans de résorption des non-départs en séjours, « dans une logique équivalente au projet social des centres sociaux », et de créer un fonds commun des financements actuellement mobilisés pour les orienter vers les séjours « accueillant tous les individus ». Ils demandent que soient instituées des « fabriques de séjours locales », qui établiraient des diagnostics territoriaux des non-départs et fixeraient des orientations pour y remédier. Ces instances comprendraient l’ensemble des acteurs pouvant apporter une expertise en la matière – l’aide sociale à l’enfance, les associations du champ du handicap, de la lutte contre l’exclusion, les associations de santé, d’éducation populaire, les fédérations de scoutisme, les comités d’entreprise et les collectivités territoriales. A l’inverse des logiques ascendantes, elles seraient chargées d’« interroger régulièrement les critères de sélection des séjours, quitte à les faire évoluer », en s’appuyant sur des outils de suivi et d’évaluation. Le rapport propose d’« accompagner la mise en œuvre de cette politique publique via la nomination d’un référent Etat pour chaque fabrique de séjour ».

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