Utopiste du réel

Ambroise Croizat naît en 1901 dans une famille ouvrière métallurgiste savoyarde. Devenu lui-même très jeune ajusteur de pièces mécaniques, il adhère à la CGT, puis à la SFIO. A 17 ans, il anime les grandes grèves de la métallurgie lyonnaise avant de devenir, à 26 ans, secrétaire de la fédération des métaux CGTU Confédération générale du travail unitaire). Il participe ensuite à l’aventure du Front populaire et devient député du Parti communiste dans le XIV^e arrondissement de Paris. Sur les bancs de l’Assemblée nationale, il impose la première loi sur les conventions collectives. Cet homme, qui fut incarcéré dans le bagne d’Alger entre 1939 et 1943 pour avoir soutenu le pacte germano-soviétique, est aussi à l’origine de l’ordonnance d’octobre 1945 instituant la Sécurité sociale. Nommé ministre du Travail du gouvernement « de Gaulle » en novembre 1945, il passera deux années à bâtir ce système dont la paternité est souvent attribuée à Pierre Laroque. « Je sais tout ce que je lui dois : la Sécurité sociale, ce n’est rien que le droit de vivre, insiste Michel Etiévent, historien et biographe d’Ambroise Croizat. Grâce à lui, des millions de Français en ont fini avec les angoisses du lendemain. Il a aussi mis en place les comités d’entreprise, la médecine du travail, le doublement des allocations familiales… » Le film La sociale, qui retrace l’histoire de la Sécurité sociale jusqu’à aujourd’hui, réhabilite cette figure oubliée, « quasiment absente des livres d’histoire », pointe le réalisateur Gilles Perret. Il a rencontré des sociologues, des médecins, des économistes pour raconter cette « utopie réelle ». Sans noyer le documentaire dans une masse d’informations, ceux-ci racontent comment la « Sécu » a pu devenir possible, ses principes de base, son évolution, son fameux « trou », son avenir. Le documentariste n’oublie pas de donner la parole à ses détracteurs, militants de la privatisation. Gilles Perret a eu du mal à trouver des financements pour réaliser un film sur un tel sujet : « J’ai senti un désintérêt total pour la question de la part des diffuseurs. » Pourtant, rappelle-t-il, « la Sécurité sociale concerne 65 millions de Français, elle nous accompagne tout au long de notre vie, elle l’a considérablement améliorée et son budget équivaut à une fois et demie le budget de l’Etat ! »