Conformément à la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, le ministre de la Justice a remis aux parlementaires, en octobre, son rapport sur la mise en œuvre de ce texte(1), qui, rappelons-le, a notamment créé la libération sous contrainte (voir encadré, page 6) et la contrainte pénale(2). S’il n’avait pas initialement adhéré à ces nouvelles alternatives à l’incarcération – en particulier à la contrainte pénale –, Jean-Jacques Urvoas est désormais « partisan de ces nouveaux dispositifs », a-t-il confié au journal La Croix le 21 octobre. Non seulement « c’est la meilleure façon de lutter contre la récidive », a-t-il précisé, mais ces dispositifs permettent aussi « d’influer positivement sur la population carcérale »… sans oublier qu’ils sont « moins onéreux »(3).
Certes, admet le garde des Sceaux, la contrainte pénale « a bouleversé l’échelle des peines et la représentation collective de la sanction pénale ». Toutefois, poursuit-il, « s’ils ne doivent pas être ignorés, les freins au développement de la contrainte pénale ne sauraient masquer ses efforts positifs, dont la mise en œuvre a permis un renouvellement en profondeur, progressif mais incontestable, des pratiques professionnelles des différents acteurs de la justice ». Aussi Jean-Jacques Urvoas insiste-t-il dans le journal La Croix : « Il faut du temps pour que cette peine trouve sa place. Il faut la laisser vivre et continuer à encourager magistrats et avocats à se l’approprier. » Ce qu’il préconise d’ailleurs dans sa circulaire de politique pénale de juin dernier(4).
Au 30 septembre dernier, les juridictions avaient prononcé 2 287 contraintes pénales, un nombre qui a « progressé de 32 % sur les neuf premiers mois de l’année 2016 par rapport à la même période de 2015 », selon le rapport de la chancellerie. Et cet essor est « d’autant plus évident que la progression constatée atteint près de 50 % sur le troisième trimestre 2016 ». Même si ce chiffre demeure en deçà des prévisions de l’étude d’impact de la loi du 15 août 2014, qui tablait entre 8 000 et 20 000 mesures par an, la chancellerie ne semble pas inquiète. En effet, plusieurs raisons expliquent, selon elle, ce démarrage un peu poussif : les délais étaient très courts entre le vote de la loi et l’entrée en vigueur de la contrainte pénale ; les « délais incompressibles » de recrutement et de formation des personnels n’ont pas permis un renfort immédiat des effectifs ; le dispositif prévu en cas de manquement du condamné à ses obligations est « souvent perçu, au sein des juridictions, complexe » ; « les avocats ne se sont pas, jusqu’à présent, emparés de cette peine dont le prononcé est trop rarement plaidé »… C’est pourquoi Jean-Jacques Urvoas entend continuer à mobiliser les acteurs judiciaires. D’autant que, à fin septembre, la répartition sur le territoire des contraintes pénales prononcées était « déséquilibrée », note le rapport : 24 tribunaux de grande instance (TGI) étaient à l’origine de la moitié des contraintes pénales prononcées, sans qu’il s’agisse des juridictions les plus importantes. Et 11 % des TGI n’en avaient prononcé aucune.
En tout cas, au 30 septembre 2016, seules 15,3 % des personnes condamnées à une contrainte pénale ont été incarcérées durant l’exécution de leur peine. Un chiffre « extrêmement marginal », selon le ministre de la Justice, ce qui « valide l’hypothèse que cette mesure fonctionne ».
Le rapport relève par ailleurs que les modalités de mise en œuvre de la contrainte pénale sont « diverses et adaptables ». Les magistrats ont opté pour cette mesure pour des infractions relatives au contentieux routier (35,3 % des cas), des atteintes aux personnes (32,2 %), des atteintes aux biens (20 %) et des infractions à la législation sur les stupéfiants (7,3%). La durée la plus fréquemment fixée a été de deux ans (50,4 %), puis trois ans (19,5 %), « ce qui est conforme à l’étude d’impact qui avait été réalisée », précise la chancellerie. La durée de l’emprisonnement prévue en cas d’inobservation de la mesure est inférieure ou égale à six mois dans 71,3 % des cas.
Le ministère de la Justice souligne aussi que « les publics visés varient selon les ressorts, notamment parce qu’ils sont définis en fonction de problématiques locales et des possibilités d’intervention du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Toutefois, certaines constantes sont notables. » Par exemple, illustre-t-il, la contrainte pénale a été, la plupart du temps, prononcée à l’encontre de personnes récidivistes ou réitérantes, ou de primo-délinquants pour lesquels le TGI a estimé que le risque de récidive ou de réitération était important. Elle l’a aussi été « très souvent […] lorsqu’est identifiée chez la personne une problématique d’addiction et, de manière plus générale, en cas de cumul de difficultés sociales, professionnelles et personnelles justifiant un étayage pluridisciplinaire et un suivi renforcé ». En revanche, relève la chancellerie, cette mesure est apparue « peu appropriée pour les personnes en totale déshérence, et notamment pour les personnes sans domicile fixe ». Enfin, la contrainte pénale s’est avérée « pertinente dans des cadres procéduraux permettant le recueil préalable d’éléments de personnalité suffisants, à même d’éclairer la juridiction sur l’opportunité d’un suivi renforcé (antécédents judiciaires mais aussi besoins identifiés d’intervention pour une sortie de délinquance) ».
D’après l’article 20 de la loi du 15 août 2014, le gouvernement devait étudier la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue. Finalement, le ministère de la Justice ne considère pas cette perspective opportune, au motif que « le choix de prononcer une contrainte pénale intervient principalement au regard du profil de la personne poursuivie et des problématiques identifiées chez elle en lien avec sa délinquance et ce, quels que soient les faits commis ». Un choix qui « s’inscrit par ailleurs utilement dans le cadre d’une politique de juridiction, en concertation avec le SPIP et le service de l’application des peines, en fonction de la délinquance locale et des possibilités d’intervention ». Selon la chancellerie, il n’apparaît « pas plus pertinent, pour promouvoir la contrainte pénale, de se contenter de supprimer le sursis avec mise à l’épreuve et le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ».
En revanche, Jean-Jacques Urvoas préconise de consacrer, par voie réglementaire, les commissions d’exécution des peines, instaurées par un guide méthodologique de l’exécution et de l’aménagement des peines diffusé en 2009. Leur objet, rappelle le ministre : mettre en œuvre au sein de chaque juridiction les mesures nécessaires à l’amélioration de la célérité de l’exécution des peines en fonction des spécificités locales. Il conviendrait donc d’assurer leur mise en place effective sur l’ensemble du territoire et ainsi favoriser l’harmonisation des pratiques des juridictions.
La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a également instauré une procédure d’examen obligatoire de la situation des personnes condamnées à une peine maximale de cinq ans lorsqu’elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, l’objectif étant d’apprécier si elles peuvent bénéficier ou non d’une mesure de sortie encadrée, dite « libération sous contrainte »(1). D’après le rapport du garde des Sceaux remis au Parlement sur la mise en œuvre de la loi, 6 492 libérations sous contrainte avaient été accordées au 30 septembre 2016 (au lieu des 15 000 à 28 000 estimées par l’étude d’impact de la loi). Leur durée moyenne étant de 81 jours. Ont surtout été sollicités pour l’exécution de la mesure le placement sous surveillance électronique (43 %), la semi-liberté (29 %) et la libération conditionnelle (24 %). Même si l’octroi de la libération sous contrainte n’est pas conditionné à l’existence d’un projet de réinsertion mais repose sur la fixation d’un ou plusieurs objectifs, « certaines personnes détenues ne se mobilisent pas pour autant », relève le rapport. En effet, illustre-t-il, « le manque de compréhension de la mesure […], l’absence d’intérêt manifesté pour certains […] ou leur situation de précarité (exemple : absence d’hébergement…) rendent complexe la préparation d’un suivi à la sortie […] ». « Le travail autour de l’adhésion de la personne […] peut donc permettre de lever les freins identifiés », estime la chancellerie. Selon elle, également, la « grande variété des profils » des personnes éligibles à ce dispositif « rend complexe la définition de modalités communes ». Malgré tout, pour le ministère de la Justice, certaines réformes jusqu’alors suggérées « semblent prématurées ou inopportunes ». Tel est le cas de celle visant à limiter l’examen de la libération sous contrainte à un reliquat minimal de peine à exécuter, car elle aurait « pour inconvénient majeur d’exclure les courtes peines de ce dispositif ». En revanche, d’autres leviers identifiés dans le ressort de certaines juridictions pourraient encourager le développement de cette mesure. Des tribunaux recourent ainsi à la semi-liberté, en particulier quand une structure géographiquement proche et offrant des modules de prise en charge spécifique est disponible. Et d’autres ont signé des conventions de placement à l’extérieur, dédiées aux prises en charge de personnes en libération sous contrainte. La construction prochaine des quartiers de préparation à la sortie devrait aussi, selon le garde des Sceaux, contribuer au déploiement de la contrainte pénale(2).
(1) Rapport disponible sur
(2) Pour une présentation détaillée de la contrainte pénale, voir ASH n° 2911 du 22-05-15, p. 47.
(3) Le ministre de la Justice a rappelé qu’une journée de détention coûtait environ 100 € par jour, contre 60 € dans un centre de semi-liberté et 10 € pour un placement sous bracelet électronique.
(1) Pour une présentation détaillée de la libération sous contrainte, voir ASH n° 2910 du 15-05-15, p. 49.
(2) Sur le programme immobilier pénitentiaire prévu par le projet de loi de finances pour 2017, voir ASH n° 2979 du 14-10-16, p. 79.