Recevoir la newsletter

« Revenu d’existence : le retour

Article réservé aux abonnés

Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Depuis quelques mois, l’idée d’instaurer un revenu « d’existence », « de base » ou encore « universel » fait un retour remarqué sur le devant de la scène, campagne électorale aidant. Il s’agit d’une très vieille idée, qui réapparaît périodiquement(1). Pour les décennies qui précèdent, et en ne considérant que la France, le revenu d’existence a surgi dans le sillage de la création du revenu minimum d’insertion, avec une forme d’apogée dans les années 1995-2000.

Et puis voilà que, de façon inattendue, le revenu d’existence nous revient. Cette résurgence ne tient pas uniquement à des positionnements politiques à l’approche d’échéances cruciales. Elle doit beaucoup à l’enkystement du chômage et, plus largement, des difficultés sociales. La crise financière des politiques d’action sociale et le sentiment de leur relative inefficacité ont pour effet de soumettre à la critique le complexe système des prestations de subsistance et, en conséquence, de générer des propositions pour le réformer ou même le reconsidérer de fond en comble.

Car, ce n’est pas un scoop, ce type de prestation conduirait à une refonte majeure de l’ensemble de la protection sociale. Naturellement, un tel impact ne surviendrait que si on l’appliquait dans sa version principielle, et non selon une simple rationalisation des minima sociaux existants telle que proposée par le rapport « Sirugue »(2) : création d’un revenu à la fois universel (versé à toute personne dès l’âge de 18 ans), inconditionnel (non suspendu aux diverses conditions affectant les prestations actuelles) et individuel (sans prise en considération des configurations des ménages).

L’idée rallie des idéologies opposées, avec des inflexions de conception. Pour les libéraux, l’institution d’un revenu de base permettrait de mettre à bas le coûteux système de protection sociale, de libérer les entreprises des contingences tenant à la prise en charge des aléas de la vie pour renvoyer à la responsabilité de chacun le soin de mener son existence comme bon lui semble et surtout comme il le peut. Pour les courants « progressistes », il permettrait de libérer les individus du travail contraint, dans un moment où ses capacités de construction des identités sociales se réduisent du fait des mutations économiques ; de favoriser le développement massif d’activités d’utilité sociale ; d’éliminer des dispositifs de protection jugés inquisitoriaux et aliénants. Ce qui différencie ces deux visions, c’est évidemment le montant de l’allocation, réduit aux strictes nécessités de la subsistance dans sa version libérale ou servie à assez haut niveau pour son versant progressiste, avec une prestation à 750, voire 1 000 € par mois – soit 554 milliards à mobiliser dans le premier cas (24 % du PIB) et 675 milliards dans le second (31 % du PIB).

On se demande pourquoi une aussi bonne idée n’a pas été concrétisée jusque-là. On peut, bien sûr, chercher une explication du côté des résistances opposées par les institutions en place et ceux qui en vivent. Mais même ainsi, on ne peut d’un revers de main rayer celles-ci de la carte, sauf à considérer que tous ces nouveaux chômeurs pourront s’en sortir sans difficultés puisqu’ils bénéficieront du revenu d’existence auquel, cela dit, ils ne contribueront plus. Peut-on aussi considérer comme une bonne nouvelle pour les retraités, dans l’hypothèse haute, que leur pension soit supprimée et remplacée par le revenu d’existence, question se posant aussi pour les chômeurs, les invalides et handicapés ?

On doit aussi ne pas considérer comme résolues les questions relatives au droit et à la dette qui constituent ce que Durkheim dénommait la « solidarité », à savoir l’interdépendance qui organise le lien social. Il convient sans doute de réfléchir plus avant à ces perspectives et aux effets qu’elles auraient sur le marché du travail, sur les salaires et, plus largement, sur l’économie. Au-delà, et en vrac, quelles en seraient les conséquences sur la constitution des ménages, sur le partage des activités entre femmes et hommes, sur les identités si fortement attachées aux statuts dans notre culture nationale ?

Bref, le symétrique inversé de l’autorégulation du marché des libéraux consiste dans le pari sur l’autodétermination de l’individu, et c’est bien pourquoi le revenu d’existence séduit aussi largement. Mais c’est faire bon ménage du patient travail de construction de médiations collectives qui entendent aménager les tensions inéluctables entre le politique, l’économie et la sphère privée. Certes, elles sont par nature complexes et foisonnantes, mais il serait bien étonnant que l’on puisse supprimer toutes leurs contradictions en leur substituant cet instrument quasi miraculeux qu’est le revenu d’existence. A tout le moins, il convient d’y réfléchir très sérieusement.

Notes

(1) Voir ASH n° 2968 du 8-07-16, p. 32.

(2) Voir ASH n° 2957 du 22-04-16, p. 5 et 13.

Point de vue

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur