Pendant que commençait, le 24 octobre, le démantèlement du bidonville de Calais, plusieurs acteurs associatifs exprimaient leur forte inquiétude sur la prise en charge des mineurs non accompagnés, dont le nombre avait été estimé à environ 1 300 par France terre d’asile. Pour eux, le gouvernement a d’abord prévu une orientation vers les conteneurs du centre d’accueil provisoire (CAP) de la lande, le temps que soient examinées leur situation et leur demande de réunification familiale au Royaume-Uni, en vertu du règlement européen Dublin III. Au terme de discussions tendues avec le gouvernement britannique, les procédures se sont accélérées juste avant l’évacuation de la « jungle », et quelque 200 mineurs avaient pu partir outre-Manche durant la semaine précédant les opérations. Les départs ont continué par la suite. « Ce matin, 33 sont partis », indiquait le 25 octobre Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, chargé de l’évaluation de la situation des mineurs, avec l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et des agents du Home Office britannique. Alors que, selon l’association, entre 500 et 600 jeunes affirment y avoir de la famille, « le Royaume-Uni accueillera effectivement tous les mineurs isolés présents à Calais dont les attaches en Grande-Bretagne sont établies », a déclaré le ministère de l’Intérieur. Ajoutant que « les autorités britanniques se sont engagées à étudier également les dossiers des mineurs non accompagnés qui n’ont pas de liens familiaux mais dont l’intérêt supérieur serait de rejoindre ce pays ».
Pour autant, le parcours du combattant est loin d’être terminé pour ces jeunes vulnérables, comme l’ont dénoncé plusieurs acteurs présents sur la lande, préoccupés par les conditions d’entrée dans le dispositif de protection. « Tous les migrants doivent se présenter au hangar d’enregistrement, dont les mineurs. Ils doivent normalement avoir un premier entretien pour évaluer leur minorité et, en cas de doute, un deuxième. Or, aujourd’hui, nous avons assisté à des tris au faciès dans la file pour écarter des jeunes dont rien ne permettait de vérifier qu’ils étaient majeurs », a témoigné Franck Esnée, chef de mission France à Médecins sans frontières au deuxième jour du démantèlement. L’association a du coup cessé d’orienter les jeunes vers le hangar. « La seule chose à laquelle on veille, c’est que des personnes manifestement majeures ne se retrouvent pas dans le dispositif », a de son côté répondu Pierre Henry, affirmant que « le doute profite au jeune ». Alertée, la défenseure des enfants, Geneviève Avenard, qui avait dépêché des observateurs sur place, comme la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, s’est saisie de la question.
Le 26 octobre dans l’après-midi, la préfête du Pas-de-Calais annonçait « la fin de la jungle » et l’hébergement de près de 1 500 mineurs au CAP. François Guennec, vice-président de l’Auberge des migrants, faisait pour sa part état d’une situation confuse avec des mineurs bloqués en dehors du dispositif après les mouvements de panique causés par les incendies perpétrés dans la « jungle », et d’autres encore en attente ou déjà refusés. Combien au total obtiendront le précieux sésame vers l’Angleterre ? Ceux qui devront renoncer doivent être mis à l’abri dans l’attente de leur prise en charge dans le cadre de la protection de l’enfance, au sein d’un dispositif encore flou. Bernard Cazeneuve avait annoncé le chiffre de quelque 500 places dédiées. Mais le volume final « dépendra des négociations encore en cours avec les Britanniques », glisse Pierre Henry. En attendant, une « proposition de cahier des charges des centres provisoires de mise à l’abri spécialisés pour les mineurs non accompagnés » alarme certaines organisations, dont le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) et le Syndicat de la magistrature. « Les équipes de ces centres pourront procéder à une évaluation sociale de l’isolement et de la minorité en dehors de tout cadre légal, puisque ces jeunes ne seront, à ce stade, ni confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance d’un département, ni signalés à l’autorité judiciaire », s’insurge le GISTI. « Et on peut craindre qu’à 18 ans, alors qu’ils n’auront été ni pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, ni scolarisés, ce soit vers des centres de rétention administrative qu’ils soient dirigés. » Le document prévoit que la structure soit dotée d’une équipe pluridisciplinaire comprenant notamment des travailleurs sociaux, sur la base d’un taux d’encadrement de 2,7 équivalents temps pleins pour dix mineurs. Au-delà de l’évaluation, ces structures devraient s’assurer de l’accès aux soins des mineurs et de la désignation d’un administrateur ad hoc. Mais le Syndicat de la magistrature souligne le caractère dérogatoire du dispositif. « Il nous paraît inacceptable que les missions incombant à l’autorité judiciaire en matière de protection de l’enfance en danger puissent être ainsi ignorées et contournées par l’autorité administrative », a-t-il écrit dans une lettre ouverte au garde des Sceaux du 24 octobre.Le schéma prévu « est un dispositif de mise à l’abri sur une base financière plancher », atteste Pierre Henry, indiquant que France terre d’asile n’est pas partie prenante, « faute de structures disponibles ». Mais l’enjeu est, selon lui, celui de « l’orientation des jeunes vers le droit commun. Et, de la même manière qu’il y a un bras de fer avec le Royaume-Uni, il y aura un rapport de force avec les départements. » La responsabilité de la prise en charge des mineurs non accompagnés reste en effet une pomme de discorde entre l’Etat et les conseils départementaux.