C’est un revirement spectaculaire de la part du gouvernement : pour « répondre à l’accroissement du nombre de personnes détenues terroristes et radicalisées et assurer la sécurité des personnels », le ministre de la Justice a annoncé le 25 octobre, lors d’une conférence de presse, la fin des cinq unités dédiées lancées sous Christiane Taubira et qui accueillaient chacune une dizaine de détenus radicalisés pour une prise en charge plus soutenue. Place désormais à un système orchestré au niveau national, combinant un régime de détention particulièrement sévère proche de l’isolement pour les profils les « plus durs » et, pour les détenus radicalisés au contraire « susceptibles d’évoluer », une prise en charge spécifique dans 27 établissements au contact d’autres détenus.
C’était pourtant le dispositif phare de la lutte contre la radicalisation lancée après les attentats de 2015. Un fondement légal lui avait même été donné en juin dernier avec la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale(1) : les cinq unités dédiées (UD) ouvertes depuis janvier dernier au sein des maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) (qui en accueillent deux), Fresnes (Val-de-Marne), Osny (Val-d’Oise) et Lille-Annoeullin (Nord) – rebaptisées par la loi « unités de prise en charge de la radicalisation » (UPRA) – vont fermer leurs portes. Jean-Jacques Urvoas a salué le travail effectué par les personnels de ces structures mais estime que le bilan de cette expérimentation appelle à une nouvelle organisation, pointant notamment des difficultés pour évaluer correctement les détenus préalablement à leur orientation. Il ressort ainsi qu’« une partie des premières personnes détenues placées dans ces unités n’a pu être évaluée », ce qui « explique sans doute l’absence de résultat probant de la prise en charge les concernant ». En outre, « chaque unité avait un programme différent et une méthodologie propre, ce qui a nui à l’efficacité globale du dispositif », a indiqué le garde des Sceaux.
Pour Jean-Jacques Urvoas, le premier impératif aujourd’hui, « face à une massification de la radicalisation violente », est d’accroître les capacités d’évaluation. « De la qualité de l’évaluation dépendront l’orientation fine des personnes détenues et le choix de la prise en charge la plus adaptée, étant entendu que l’intention est de concentrer les efforts sur ceux dont la radicalisation semble la moins aboutie », a-t-il expliqué.
A cette fin, les UPRA seront remplacées par six quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), qui accueilleront environ 120 personnes pour une durée de quatre mois. Quatre procéderont d’un repositionnement des actuelles UPRA de Fresnes, Fleury et Osny. Deux nouvelles ouvertures auront par ailleurs lieu dans les régions de Bordeaux et de Marseille. L’évaluation sera conduite, dans ces quartiers, par des équipes composées d’éducateurs, de psychologues, de personnels d’insertion et de probation ainsi que de personnels de surveillance. A la fin de cette période, deux types d’orientation seront possibles.
Les détenus les plus dangereux, les plus déterminés ou les plus prosélytes seront incarcérés « dans des conditions de détention qui répondent à des exigences élevées de sécurité ». Une centaine de places « en maisons centrales ou quartiers maison centrale destinées à être transformées en places de maison d’arrêt » seront ainsi mobilisées pour les accueillir. Elles seront principalement localisées au sein de six quartiers pour détenus violents (QDV) qui seront créés dans des établissements à l’instar de ceux de Lille-Annoeullin, Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) ou Condé-sur-Sarthe (Orne). A ce dispositif, s’ajouteront 190 places d’isolement disponibles réparties sur une cinquantaine d’établissements (maisons d’arrêt et établissements pour peine). « Ce sont donc 290 places qui permettront de prendre en charge les détenus évalués les plus problématiques », résume le ministre. Concrètement, les règles de sécurité y seront plus strictes : fouilles régulières, changement de cellule, limitation des effets personnels… Cette prise en charge sécuritaire devra s’accompagner dans tous les cas d’un suivi individualisé adapté, d’une prise en charge spécifique et d’une évaluation au moins biannuelle de la personne détenue, « afin d’apprécier son évolution potentielle ».
Les personnes détenues « dont l’évaluation aura révélé qu’elles peuvent engager un désistement de la violence » et dont le profil ne nécessite donc pas l’encadrement maximal seront, pour leur part, dispersés dans 27 établissements répartis sur tout le territoire où ils feront l’objet d’une prise en charge spécifique (pour tenter de prévenir la récidive, favoriser l’ouverture d’esprit, permettre de construire un projet de vie, etc.). Les conditions de sécurité y seront supérieures à celles pratiquées classiquement et ces établissements bénéficieront d’un renfort de personnels (surveillance, équipes pluridisciplinaires) ayant reçu une formation particulière. « De premières observations laissent [à penser] que, sur ces profils, la fréquentation d’autres détenus, voire paradoxalement la surpopulation, peuvent aider à un désistement par une assimilation et un phénomène mimétique, voire par une pression sociale », a expliqué le ministre.
Pour les femmes détenues, un quartier d’évaluation de la radicalisation verra aussi le jour au sein de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury, a encore annoncé le garde des Sceaux. Par ailleurs, 13 quartiers pour femmes au sein de maisons d’arrêt et de centres de détention accueilleront des groupes allant de 5 à 10 personnes auxquelles seront appliqués un régime de détention spécifique et une prise en charge individualisée, ont précisé les services de la chancellerie, sans donner plus de précisions. Au total, près de 100 places destinées à l’incarcération de femmes radicalisées seront opérationnelles, « permettant en partie de faire face à de probables retours de Syrie ». Un phénomène que le gouvernement doit anticiper car, « en l’état actuel, [le] parc pénitentiaire s’avérerait dépassé au-delà de quelques centaines ».
Les mineurs pourront, pour leur part, être accueillis par groupe de cinq personnes au maximum au sein d’établissements pour mineurs ou dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt.
Face à l’accroissement constant de personnes placées sous main de justice signalées radicalisées, le garde des Sceaux estime nécessaire de s’appuyer sur les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation pour assurer un suivi méticuleux de tous les individus concernés. Dans cette optique, sera désigné dans chaque service pénitentiaire d’insertion et de probation « au moins » un référent « prévention de la radicalisation violente », chargé d’assurer en priorité le suivi des individus correspondant à ce profil. Pour faciliter ce travail, ce référent « bénéficiera autant que faire se peut d’une décharge allant jusqu’à 50 % ou se verra épaulé par l’un de ses collègues dans la gestion des dossiers ». Ce sont ainsi 90 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation contractuels qui seront recrutés pour compenser ces décharges et faire face à l’accroissement continu de la charge de travail.
Parallèlement, alors que 50 binômes de soutien travaillent déjà dans les prisons, 40 nouveaux – composés d’un psychologue et d’un éducateur – seront recrutés. Pour Jean-Jacques Urvoas, « leur plus-value est maintenant avérée dans l’approche concertée et partagée de l’ensemble des indicateurs de la radicalisation violente ou, au contraire, du désistement sincère ». Ils seront déployés « en détention mais aussi en milieu ouvert ».
(1) Voir ASH n° 2963 du 3-06-16, p. 48.