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Un déclic dans le parcours

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Remobiliser par le sport et la culture, tel est l’objectif de l’association Un Ballon pour l’insertion, qui propose des séjours multiactivités aux personnes sans abri. Une initiative longuement mûrie qui séduit usagers et associations. Reportage à Houlgate.

Vêtues de leur combinaison en néoprène, une quinzaine de personnes aux allures d’hommes-grenouilles traversent tranquillement le centre-ville d’Houlgate (Calvados). Direction : la plage, malgré un ciel plutôt chagrin et une température qui ne dépasse pas les 20 °C. « Moi, je suis petit, alors je vais faire attention aux vagues », annonce en riant Markus Salbot, l’un des membres du groupe. « Hier, j’ai trempé les pieds dans l’eau, mais aujourd’hui, je vais y entrer complètement », se réjouit Hugues X., qui s’apprête à goûter pour la première fois aux joies du longe-côte, cette activité qui consiste à marcher dans la mer, l’eau à hauteur de poitrine. Guidé par les animateurs sportifs de la ville, le petit groupe de Parisiens, tous sans domicile fixe, pénètre lentement dans l’eau pour quelque quarante minutes de balade aquatique.

Ils sont de passage à Houlgate grâce à l’association Un Ballon pour l’insertion(1), qui propose des séjours de remobilisation par le sport aux usagers des structures de lutte contre l’exclusion. L’activité a été lancée en 2014 par Benoît Danneau, éducateur spécialisé de formation et longtemps directeur de structures au Secours catholique. Sportif assidu, celui-ci a toujours utilisé l’activité physique dans ses relations avec les personnes en précarité. Depuis le simple match improvisé dans la cour d’un centre d’hébergement jusqu’à l’organisation, à l’été 2011, de l’édition parisienne de la Coupe du monde de foot des sans-abri(2)… « Ce qui m’intéresse, c’est de quelle façon on peut, à partir du sport, enrichir son relationnel, se révéler dans un nouveau contexte et enclencher une nouvelle dynamique », résume celui qui est désormais directeur d’Un Ballon pour l’insertion.

L’association a donc conçu des séjours sportifs et culturels d’une semaine complète qu’elle propose à des associations accompagnant des personnes sans abri(3). « Nous avons recherché un site à proximité de la mer, parce qu’on sait que cela plaît toujours, et pas trop loin de Paris pour ne pas avoir un temps de trajet trop long », explique Benoît Danneau. La Normandie est vite apparue idéale, où un ancien CREPS (centre régional d’éducation physique et sportive) transformé en centre d’hébergement de loisirs lui a ouvert ses portes. « Nous avons trouvé un établissement avec une fibre sociale particulièrement développée, où tout le personnel nous accueille avec bienveillance, observe le responsable associatif. Nos participants sont hébergés au milieu des scolaires en classes de mer, des sportifs en formation professionnelle ou d’autres séjours collectifs pour jeunes retraités. »

L’implication de l’association partenaire

La Péniche du cœur, l’Association des cités du Secours catholique, La Bagagerie d’Antigel, les Orphelins apprentis d’Auteuil, le Centre d’action sociale protestant (CASP), Aux captifs, la libération et les Restos du cœur, entre autres, ont tour à tour participé à ces séjours. A chaque session, il s’est agi pour ces associations de sélectionner parmi leurs usagers de 8 à 12 personnes à même de profiter au mieux de l’opportunité, ainsi que deux travailleurs sociaux (ou bénévoles) pour les accompagner. « Nous avons choisi en équipe à qui nous pouvions le proposer, raconte Yazid Hamzaoui, moniteur-éducateur de l’espace solidarité insertion La Maison dans la rue du CASP, qui a fait partie d’un séjour en septembre dernier. Avec l’assistante sociale et la psychologue, nous avons retenu des personnes qui participent régulièrement à nos ateliers, donc que nous connaissons bien et pour lesquelles nous pensions qu’un tel séjour pouvait représenter un déclic dans leur parcours, quelque chose qui les amène à être davantage acteurs de leur projet social. »

Pour les volontaires, un certificat d’aptitude au sport est demandé. Ils doivent ensuite remplir un dossier de séjour, où ils sélectionnent les activités qui les intéressent, signent une charte du « vivre ensemble » ainsi que le règlement intérieur du Centre sportif de Normandie, le site qui accueille les séjours. Sont ensuite organisées deux réunions avec les travailleurs sociaux, les participants et l’équipe d’Un Ballon pour l’insertion, durant lesquelles l’organisation du séjour est finalisée en commun. « On présente le lieu d’accueil, on évoque notamment les règles de vie, les régimes alimentaires, les éventuelles consommations non autorisées sur le lieu… », résume Benoît Danneau. « Participer à un séjour est un vrai engagement pour les usagers », souligne Frédérique Contencin, travailleuse sociale à Cœur du Cinq, un espace d’accueil, d’accompagnement et de domiciliation du Ve arrondissement parisien. Elle a déjà encadré deux déplacements avec Un Ballon pour l’insertion. « Mais nos usagers sont toujours très motivés pour partir, assure-t-elle. Il n’y a qu’à voir, le départ se fait à 7 heures du matin. Certains parfois n’ont pas pu dormir dans un centre d’hébergement, car cela les aurait empêchés d’être à la gare à temps, mais ils arrivent tous à l’heure. »

Les bienfaits du yoga

Sur le site, chaque journée débute dès 7 heures du matin par un footing – certains se contentent parfois de marcher sur la plage, comme Monique M., qui ne peut pas courir en raison de jambes douloureuses –, puis se poursuit par une séance de yoga – pour Monique, cela se pratique alors sur une chaise. « Mais qu’importe, j’ai participé à toutes les activités », précise la sexagénaire, ravie. « Pour des personnes de la rue, le yoga, au début, cela peut surprendre, remarque Benoît Danneau. On leur demande à tous d’essayer au moins une fois. Parce que travailler sur les postures, la relaxation, la respiration, la cohérence cardiaque, cela a vraiment du sens compte tenu de leurs conditions de vie. » D’ailleurs, lorsque les participants sont interrogés, à l’issue du séjour, sur les activités dont ils souhaiteraient pouvoir continuer la pratique, la moitié citent le yoga. Au point qu’Un Ballon pour l’insertion a décidé de poursuivre l’expérience à Paris, où les participants, à leur retour, se voient proposer un cours gratuit sur un cycle de six mois, chaque semaine dans le XIIIe arrondissement.

La matinée se poursuit par le petit déjeuner, puis par la première initiation sportive : tir à l’arc, escalade en salle, kayak, kin-ball, handball, basketball, frisbee… « Les niveaux physiques sont très hétérogènes, mais il faut proposer des activités où chacun peut s’exprimer, explique Aubin Perdriolle, éducateur sportif. Que les novices puissent tester et que les plus sportifs ne soient pas frustrés. »

Visite d’un écomusée, activité créative (théâtre, chant, écriture), découverte des plages du Débarquement… Chaque jour, le programme inclut également une activité culturelle proposée par Léa Hérault, animatrice socioculturelle. « Parce que l’insertion, ce n’est pas seulement un toit et un emploi, justifie Benoît Danneau. C’est aussi penser, créer, dialoguer, communiquer. » « Ces activités nous ont vraiment permis de nous rapprocher et de faire connaissance, affirme Monique. Cela a créé un groupe plus cohérent. » Une deuxième session de découverte sportive est proposée dans l’après-midi. Puis une activité en soirée : sortie au bowling, jeux de société, balade en bord de mer… Avant le coucher, en général vers 22 h 30. « Le planning est assez chargé, reconnaît Yazid Hamzaoui. J’avais peur que ce soit trop. Mais personne n’a lâché, ils sont allés jusqu’au bout et tous ont passé un très bon séjour. »

Comme chaque fin d’après-midi, les participants se réunissent avec les encadrants pour livrer leurs impressions sur la journée. « C’est un exercice d’apprentissage de la prise de parole », souligne Benoît Danneau. Certains, comme Baboucar Dao, livrent l’émotion ressentie devant une exposition photo consacrée aux combattants de la Seconde Guerre mondiale que le groupe a visitée ce matin. « Moi, j’apprécie beaucoup le planning progressif qui nous permet de ne pas nous décourager, commente Evelyne A. Et je suis ravie d’être montée si haut sur le mur d’escalade, avec les encouragements de tous. » D’autres, encore, signalent leur désir de continuer le sport, après le retour à Paris. « Cela fait bien deux ou trois ans que je n’avais plus fait de sport, confie Thierry Mallet, un ancien militaire. Je vais essayer de conserver l’habitude de ce footing matinal. » Le moment peut aussi faire apparaître des tensions : on se coupe la parole, on se critique, on s’impatiente à attendre son tour pour s’exprimer. « C’est la vie de groupe, mais c’est surtout un temps de prise de conscience où chacun réalise ce qu’il peut encore faire, que des envies peuvent encore germer, et qu’il n’est pas rien », se réjouit Benoît Danneau.

Après le dîner et l’activité du soir, chacun regagne sa chambre. « La chambre individuelle, avec douche, eau chaude, est aussi un élément fort et valorisant de ce séjour », fait remarquer Frédérique Contencin. Un point qui, associé aux trois repas abondants pris au centre, garantit un confort que, souvent, les participants au séjour n’ont pas rencontré depuis longtemps. « Ce sont des choses importantes qui peuvent participer, en termes d’image de soi, au déclic que nous attendons de ces séjours, insiste Yazid Hamzaoui. Car nos usagers ont souvent une image d’eux-mêmes très dégradée. » D’ailleurs, prochainement, les séjours organisés par Un Ballon pour l’insertion devraient s’enrichir de séances avec une socio-esthéticienne.

Pendant que les participants se glissent dans les draps, les professionnels, eux, n’ont pas terminé leur journée. Une dernière réunion les attend, où sont évoqués les difficultés et les moments marquants de la journée. Ce soir-là, Samuel Périer, un bénévole de Cœur du Cinq qui contribue à l’encadrement de ce séjour, évoque la détresse de plus en plus patente de l’un des participants du séjour. « Il a perdu ses deux parents à quelque six mois d’intervalle, souligne-t-il. Je le découvre ici car il s’est confié à Aubin. Chez nous, il vient juste prendre un café le matin et ne parle pas beaucoup. Mais il va falloir que nous soyons présents, car il est très fragile. » Pour les travailleurs sociaux des structures partenaires, le séjour est, en effet, un moment qui permet d’approfondir les liens de confiance, de mieux connaître certains usagers.

Une consommation d’alcool en baisse

Frédérique Cotencin évoque aussi le risque qui menace une participante, alcoolique en rémission mais courtisée par un membre du groupe qui, lui, consomme toujours et pourrait l’inciter à replonger. « La question des addictions est présente dès la préparation des séjours, évoque Benoît Danneau. Si quelqu’un a vraiment besoin de plusieurs canettes par jour, on va gérer cela avec lui, en chambre. Sinon, il y a du vin à table, au déjeuner, mais habituellement, nous les encadrants n’en consommons pas, afin d’encourager l’abstinence. » Et cela fonctionne. L’équipe observe une baisse conséquente de l’absorption d’alcool, voire de l’usage de cigarettes. « Probablement parce qu’ils sont occupés par les activités, les nouvelles relations qu’ils nouent, les sensations physiques qu’ils redécouvrent », analyse le directeur.

Dans le dispositif élaboré par Benoît Danneau, un rapport sur le séjour est réalisé par son équipe et remis à l’association partenaire dans un délai d’un mois. Puis, deux mois après la semaine sportive, le groupe est reconstitué pour une dernière réunion, à Paris. Réalisé pendant le séjour normand au jour le jour avec une microcaméra, un film est diffusé. Et chacun, travailleur social comme participant, dresse son bilan de l’expérience. « Là, on constate que les relations nouées ont pu se maintenir, que des participants tentent de conserver une activité physique parce qu’ils ont compris que c’était le carburant de la vie », note le responsable.

Pour les encadrants de Cœur du Cinq, qui ont déjà participé à deux séjours, le bénéfice perçu par les participants peut même être prolongé grâce aux activités culturelles qu’ils ont eux-mêmes mises sur pied à Paris. « Après une session comme celle-là, je sais que je vais avoir plus de volontaires, même parmi ceux qui ne sont pas venus, car ils seront stimulés par l’enthousiasme des autres », souligne Frédérique Cotencin.

Un retour au quotidien parfois mal vécu

Bien sûr, il demeure difficile de conclure sur l’impact réel et à long terme du séjour. « Même si ce n’est pas la majorité, certains ont pu vivre une forme de régression après le retour à Paris, poursuit-elle. Avec notamment des décompensations, voire une hospitalisation en psychiatrie. » Comme le reconnaît Benoît Danneau, le retour au quotidien se révèle pour quelques-uns très difficile : « On le constate parfois dès le vendredi soir, la veille du retour en train pour Paris. Ils savent que le lendemain la course à l’hébergement d’urgence et aux soupes populaires va recommencer. » L’appréhension du départ se remarquerait même dans les assiettes, qui se remplissent alors davantage en prévision des lendemains difficiles.

Mais pour Yazid Hamzaoui, qui a encadré un séjour en septembre dernier, le bénéfice global du séjour ne fait pas de doute : « Même s’il est encore tôt pour conclure, j’ai vu progresser les quatre personnes que nous avions sélectionnées dans mon service. L’une a fait une rencontre amoureuse et ne perd plus le sourire, une autre s’accroche au sport et aux cours de yoga qu’elle peut suivre à Paris, une troisième s’est enfin engagée dans les démarches de recherche d’emploi qui la faisaient renâcler… Tous les membres de l’équipe ont remarqué ce changement. Il y a vraiment un avant et un après. »

Après une première année expérimentale, l’association a organisé 8 séjours l’an dernier et vise un total de 13 en 2016. « Nous ne souhaitons pas devenir une grosse structure, précise néanmoins son directeur, qui recherche toujours activement des partenaires financiers pour assurer la continuité de l’action. Il faut aussi qu’ailleurs en France d’autres organisations se saisissent de cet outil formidable qu’est le sport. Même si nous répondons parfois à des demandes pour des associations qui œuvrent en province (sous réserve qu’elles puissent se déplacer facilement vers Paris), notre dispositif ne nous permet pas de développer des séjours partout. »

Confiant, Benoît Danneau continue de peaufiner son projet. Il s’agit d’abord de sécuriser le poste d’animatrice socioculturelle, mais aussi de développer d’autres interventions au cours des séjours. « On pourra ainsi donner une orientation plus particulière à certains groupes, avance-t-il. Par exemple, nous avons travaillé avec le Secours catholique sur une session consacrée à des personnes qui sont en structures d’hébergement et de stabilisation. Elles n’ont pas au-dessus de leur tête l’épée de Damoclès que représente la rue, mais sont dans une démobilisation qui justifie, par exemple, qu’on développe une thématique plus particulière sur l’hygiène et l’image de soi. » Et, dans l’ensemble, les interventions concernant la nutrition, l’hygiène corporelle et les addictions devront également être systématisées. « Nous sommes encore en observation sur ces thématiques, mais on constate un tel impact avec ces séjours qu’il faut tenter de faire passer le plus de messages possible », conclut le directeur.

Notes

(1) Un Ballon pour l’insertion : 73, rue d’Amsterdam – 75008 Paris – Tél. 01 85 08 46 58 – contact@unballonpourlinsertion.org.

(2) Voir ASH n° 2721 du 26-08-11, p. 34.

(3) Le séjour revient à 95 € par jour et par personne. Chaque session est financée pour moitié par le budget d’Un Ballon pour l’insertion, le reste étant assumé par l’association partenaire, via notamment les chèques-vacances de l’ANCV. Un Ballon pour l’insertion est notamment soutenu par la Française des jeux, Caritas, Seabird, les fondations Notre-Dame et Abbé-Pierre, les collectivités locales d’Ile-de-France…

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