Dans une ordonnance rendue le 18 octobre, le tribunal administratif de Lille a autorisé l’évacuation du campement de fortune abritant plusieurs milliers de migrants à Calais (Pas-de-Calais), en rejetant la requête en référé-liberté déposée quelques jours plus tôt par 11 associations de solidarité présentes dans le Calaisis – dont l’Auberge des migrants, le GISTI, Emmaüs France ou le Secours catholique – qui s’opposent à un démantèlement précipité de la « jungle »(1). Une décision saluée le jour même par les ministres de l’Intérieur et du Logement qui, dans un communiqué commun, ont estimé que « cette décision conforte le gouvernement dans sa démarche humanitaire et sa détermination à engager le démantèlement du campement de la “Lande” dans les meilleurs délais et avant la période hivernale ». De fait, « c’est maintenant une question de jours », a précisé Bernard Cazeneuve devant l’Assemblée nationale. Selon plusieurs sources proches du dossier, les opérations d’évacuation pourraient débuter le 24 octobre.
Au vu des pièces présentées par les différentes parties – des migrants et les associations requérantes soutenues par le défenseur des droits, d’une part, la préfète du Pas-de-Calais, d’autre part –, le tribunal administratif de Lille a considéré que « le principe même du démantèlement du site de la Lande de Calais ne méconnaît pas le principe de prohibition des traitements inhumains et dégradants » mais « vise, au contraire, notamment, à faire cesser de tels traitements auxquels sont aujourd’hui soumis les migrants qui vivent sur ce site, dans des conditions de précarité et d’insécurité dénoncées par tous, notamment les associations requérantes elles-mêmes, le défenseur des droits et, s’agissant de la situation particulière des mineurs, par l’Unicef, en les orientant vers des structures d’accueil et de mise à l’abri ».
Les requérants soutenaient que, compte tenu des modalités de cette évacuation, elle « aboutira à ce que plusieurs milliers de personnes, qui ne pourront pas être accueillies faute de places disponibles ou qui ne souhaitent pas aller en centre d’accueil et d’orientation (CAO), notamment parce qu’elles ne le veulent pas ou qu’elles ne remplissent pas les conditions pour déposer une demande d’asile en France, ou encore qui en repartiront rapidement à défaut pour ces structures d’être adaptées à leurs besoins, retomberont en errance ou se dirigeront vers d’autres bidonvilles dans des conditions encore pires que celles dans lesquelles elles vivent actuellement ». Mais l’argument a été écarté par le tribunal administratif lillois, qui juge que rien ne permet d’affirmer que « l’Etat aurait sous-estimé le nombre de migrants devant être logés en CAO ». Et d’ajouter que, « si les requérants contestent le chiffre de 6 486 personnes issu du recensement mené le 11 octobre 2016, ils n’indiquent pas en quoi la méthode retenue, qui a été déterminée par [Jean] Aribaud et [Jérôme] Vignon dans le cadre de la mission d’expertise qui leur avait été confiée à cet effet[2], ne serait pas fiable ». De même, poursuit le tribunal, ils n’indiquent pas plus comment ils parviennent à un nombre de « plus de 10 000 personnes qui vivent sur le site ».
Par ailleurs, le tribunal a aussi réfuté le fait que « les conditions d’accueil en CAO ne permettraient pas la prise en compte des problématiques, notamment sociales et médicales, de certains migrants, et que, de ce point de vue, la prise en charge serait mieux assurée par les associations qui interviennent actuellement sur le site de la Lande ». A l’inverse, il retient que, selon la préfète du Pas-de-Calais, « dessolutions spécifiques ont été prévues pour les étudiants d’une part, qui se verront réserver des places dans les CAO lillois(3), et pour les personnes particulièrement vulnérables d’autre part, et notamment les personnes malades et les mineurs non accompagnés ». Sur les mineurs isolés, plus précisément, le juge administratif relève que, au cours de l’instruction, il a été précisé « que ceux qui souhaitent aller au Royaume-Uni seront pris en charge, le temps que leur demande soit examinée par les autorités britanniques, qui se sont engagées en ce sens, dans le centre d’accueil provisoire situé sur le site de la Lande », les autres étant « logés dans des CAO dédiés, le temps que leur prise en charge soit assurée par les départements, dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance »(4).
(1) A l’inverse, d’autres organisations – dont la FNARS, France terre d’asile, Emmaüs Solidarité ou Aurore – « soutiennent l’évacuation du campement et l’accès à l’hébergement de toutes les personnes présentes avant l’arrivée des grands froids et le déclenchement du plan hiver (1er novembre) » – Voir ce numéro, page 11.
(3) Dans un second communiqué diffusé le 18 octobre, le ministre de l’Intérieur a précisé que 80 étudiants avaient « quitté Calais aujourd’hui pour rejoindre le campus universitaire scientifique de Villeneuve-d’Ascq (Nord) » et allaient être « hébergés dans un centre d’accueil spécifique cogéré par le CROUS et ADOMA, à proximité de l’université ».
(4) Le mémoire présenté en défense par les services de l’Etat au tribunal indique que, pour les mineurs ne souhaitant pas gagner le Grande-Bretagne, 550 places sont d’ores et déjà réservées dans des centres dédiés comprenant un accueil adapté aux mineurs.