« Dans le social, nous sommes souvent dans l’innovation et la prise de risque. Or faire financer des projets qui n’ont pas fait leurs preuves, c’est difficile, analyse Valérie Fayard, déléguée générale adjointe chargée du pôle « appui et développement » à Emmaüs France. La fédération accompagne ses communautés par l’intermédiaire d’un service consacré au contrôle de gestion et à la recherche de financements. « Localement, les groupes Emmaüs ne maîtrisent pas les mots à la mode comme “changement d’échelle” ou “accélération de projet”, précise la professionnelle. Ce qui manque aussi, c’est l’accès à l’information sur les fondations d’entreprises et leurs appels à projets ou sur les programmes d’investissement, et, bien sûr, le bon carnet d’adresses… C’est très discriminant pour l’économie sociale et solidaire, et là, avoir une fédération nationale avec ce type de services est important. »
Autre solution pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux : se rapprocher dans sa région d’un organisme ou d’un consultant indépendant, afin d’être accompagné dans la démarche. Car, outre la difficulté de trouver la source de financement potentiel, encore faut-il savoir rédiger un dossier susceptible d’être retenu.
« Première erreur à ne pas commettre, ne pas lire les instructions », s’amuse Boris Albrecht, directeur de la Fondation Sommer, spécialisée depuis 1974 dans le financement de projets de médiation animale. Et de reprendre : « Les travailleurs sociaux ne maîtrisent pas toujours l’exercice. Certains nous envoient des dossiers manuscrits ou, pire, des pages et des pages de scans PDF en noir et blanc, envoyés dans 15 mails ! » A proscrire également : des dossiers bâclés à la dernière minute, des sections budgétaires mal remplies, qui n’apportent pas assez de précisions sur l’activité ou qui gonflent artificiellement le budget.
Dernier élément rédhibitoire, selon la Fondation Sommer : « Quand l’association fait appel à un prestataire extérieur, un équithérapeute par exemple, mais qu’elle nous demande 4 000 € pour les séances et autant pour le transport, on se dit que l’activité n’est pas viable. Nous préférons impulser des projets qui pourront se poursuivre sans notre soutien… » Boris Albrecht conseille : « Ce qu’on doit trouver dans un dossier, ce sont les besoins pour la population de la structure, les personnes ressources rencontrées, le détail de l’activité proposée. Et attention à l’utilisation de la première personne du singulier : quand on voit qu’il ne s’agit pas d’un projet d’équipe, on le considère comme fragile. »
La jungle des financeurs et la technicité des dossiers sont des sujets que maîtrise parfaitement Elise Curioni, directrice « partenariats et événements » de la branche francilienne de Sport dans la ville. Cette association, qui construit des terrains de sport dans les quartiers prioritaires et travaille à l’insertion professionnelle des jeunes, est financée à près de 80 % sur fonds privés, notamment des fondations d’entreprises. « Pour faire fonctionner nos programmes, nous développons un réseau de partenaires fidèles que nous sollicitons en fonction de leur proximité géographique par rapport aux terrains, ou des axes d’engagement de leur entreprise. Mais attention, il faut toujours rechercher de nouveaux partenaires car, au bout de trois à cinq ans, les fondations se tournent vers d’autres projets. »
Selon elle, fidéliser ces mécènes consiste aussi à répondre à leurs attentes : « Il faut réussir à faire vivre la relation de partenariat, en impliquant les collaborateurs de l’entreprise par du parrainage, en rédigeant des rapports intermédiaires et en ciblant les programmes de l’association en fonction des besoins, mais aussi des attentes des entreprises, en cocréant des projets liés à des thèmes d’actualité. »
Chez Emmaüs, les projets financés sur fonds privés drainent des sommes allant de 1 000 à 400 000 €. Quand il s’agit de lever des sommes encore plus importantes, l’association se tourne vers des multinationales. Ainsi, au printemps 2016, Emmaüs Connect, structure de « médiation numérique », a annoncé la création d’une start-up à vocation sociale, financée à hauteur de 1 million d’euros par la fondation Google.org et baptisée WeTechCare. Cette start-up a pour objectif de concevoir des services Web adaptés à des publics fragiles et non connectés. De même, le site de vente en ligne Label Emmaüs, actif dès ce mois-ci, a été financé à hauteur de 500 000 € par une fondation qui a souhaité rester anonyme.