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Généralistes de l’exclusion

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Managers d’équipe, gestionnaires, représentants auprès des pouvoirs publics et des partenaires, les responsables des centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont en première ligne dans la lutte contre l’exclusion. Face à une grande diversité de pratiques, chacun d’eux doit faire preuve d’esprit d’innovation. Gros plan sur un métier aux multiples facettes.

« Faire ce métier est une chance pour quelqu’un qui aime l’être humain : on rencontre et on accompagne des gens extraordinaires. Les côtoyer, c’est comme voyager, traverser les continents en restant sur place », s’enthousiasme Eric Kérimel de Kerveno, directeur général d’Habitat alternatif social (HAS), qui gère, entre autres, deux CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) en diffus à Marseille. Pour autant, il l’admet, diriger ce type d’établissement n’est pas non plus une sinécure… « Les politiques pensent qu’entrer en CHRS, c’est comme aller à Lourdes : en six mois, nos équipes seraient censées pouvoir résoudre les problèmes de logement, de santé psychique, de boisson de personnes qui sont parfois en galère depuis cinq, dix, vingt ans ? Et dès que ces gens sont bien, il faudrait les mettre dehors ? », s’énerve-t-il. Le directeur général estime que les responsables de CHRS doivent « travailler sur l’innovation », mais sans jamais « se couper du terrain ». « A Habitat alternatif social, les directeurs d’établissement peuvent se rendre chez les usagers pour aider à monter un meuble. Etre uniquement dans la technique, n’être qu’un gestionnaire, cela ôte son sens au social. » Une belle entrée en matière pour qui veut analyser ce qui se cache derrière la direction de CHRS.

Un métier difficile à cadrer

Il faut dire que le métier est difficile à cadrer : entre l’hébergement en appartements éclatés et celui en internat, entre l’hébergement de longue durée et celui de quelques jours, les activités des CHRS recouvrent une diversité de pratiques associée à une large palette de prestations – accueil et orientation, soutien et accompagnement, accès aux soins, à une formation, à une activité professionnelle, à des activités ludiques et culturelles… Impossible, donc, de dresser le portrait-robot des CHRS, le profil type des populations accueillies et des services proposés, même si ces établissements ont pour socle commun d’être destinés à un public précaire et sans hébergement et ont tous pour objectif de les faire sortir par le haut, que ce soit vers un logement autonome, un emploi ou une formation. « Cette mosaïque de promoteurs, de lieux et de prestations, qui se complètent et s’enrichissent au fil des années, traduit bien la créativité et l’imagination des responsables et des professionnels des CHRS », peut-on lire dans le Guide des CHRS (coédition FNARS-ASH, 2004).

Pour Florent Guéguen, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), le profil des directeurs est, de fait, en pleine évolution : « Ils ont vocation à être de plus en plus des généralistes de la lutte contre les exclusions. C’est-à-dire qu’ils doivent maîtriser l’ensemble des dispositifs sociaux, et pas seulement ceux qui relèvent de la grande exclusion et du programme 177. » Il leur faut des qualités de gestionnaires, de managers d’équipe, une capacité à construire un budget, mais aussi des aptitudes de représentation « politique » puisqu’ils sont amenés à dialoguer avec les pouvoirs publics, doivent pouvoir convaincre de la plus-value d’une création ou d’une extension d’un centre d’hébergement…

Pas de journée type

Généraliste, Erika Mellaerts, chef de service pour l’association Coallia, l’est devenue depuis qu’elle gère trois structures dans le Val-d’Oise. En 2006, elle a commencé par prendre la responsabilité du CHRS d’insertion L’Espérance, à Montigny-lès-Cormeilles. Elle a ensuite repris, en 2015, le poste de chef de service au CHRS de stabilisation L’Elan, à Osny, et vient en sus de devenir chef de service d’un petit centre d’hébergement d’urgence. « Il y a forcément un glissement des compétences, puisque je suis passée en peu de temps d’une gestion de 34 à 116 places, souligne-t-elle. Auparavant, je pouvais m’occuper du projet personnalisé des résidents. Aujourd’hui, je n’ai plus autant de disponibilité et je ne les vois quasiment plus en direct, sauf pour remettre du cadre. » Son quotidien ? « Il n’y a pas de journée type pour un manager en CHRS… Je suis tantôt dans l’administratif et le suivi du budget, tantôt dans des réunions de service où j’émets mon avis et prends des décisions. Je rencontre aussi les partenaires locaux, et comme nous travaillons sur l’emploi, le logement, le soutien à la parentalité, ils sont très nombreux. Actuellement, avec la création de l’hébergement d’urgence dans le diffus, je passe aussi du temps à chercher des appartements et du mobilier. » La chef de service (chez Coallia, il n’y a pas de directeurs d’établissement mais des chefs de service, chapeautés par des directeurs d’unité territoriale) cherche aussi à apporter de la porosité et de la cohésion entre les trois équipes qui n’avaient jamais travaillé ensemble. « J’ai organisé une séance d’analyse institutionnelle commune pour qu’il y ait partage de points de vue, mais aussi des moments plus festifs », détaille Erika Mellaerts.

A l’Armée du Salut, Christophe Piedra porte aussi plusieurs casquettes. Dans le XIIIe arrondissement de Paris, il dirige à la fois un CHRS de 215 places, un centre de stabilisation de 74 places et une association intermédiaire. Auparavant, ce travailleur social de formation a été à la tête de plusieurs centres d’hébergement importants à Paris et à Massy, avec comme fil conducteur de ses missions des montages de projets et des restructurations immobilières. « J’aime le challenge, mais aussi changer, me régénérer », explique-t-il, en marchant dans les couloirs de l’immense Cité de Refuge, bâtiment exceptionnel conçu par Le Corbusier en 1933. Quarante ans plus tard s’est adjoint à ce lieu le Centre Espoir. A son arrivée il y a dix-huit mois, Christophe Piedra a souhaité rapprocher les deux structures pour créer un ensemble accueillant 300 personnes. « J’ai réussi à négocier avec l’Etat un budget global. Il y a encore des frontières administratives, juridiques et de moyens entre le CHRS et le centre d’hébergement de stabilisation, mais on a réussi à niveler la prestation et à mélanger les résidents au sein des deux structures. Côté ressources humaines, nous avons fusionné les deux équipes (65 salariés au total), fait une refonte totale de l’organigramme, et sommes en train de mettre en place des méthodes de travail semblables. »

Christophe Piedra s’appuie sur son directeur adjoint, Gilles Pineau, pour ce qui concerne le management des équipes de terrain. Lui se consacre davantage aux partenariats et aux développements de projets : « Un CHRS qui n’est centré que sur lui-même ne peut plus fonctionner aujourd’hui. On n’a pas réponse à tout en interne et il faut élargir son réseau pour répondre aux besoins du public. »

Karen Smail a beau être, elle aussi, directrice d’une importante structure parisienne, son quotidien est bien différent : le Groupe SOS lui a confié depuis mai 2013 le management du centre Buzenval – un CHRS en diffus de 273 places (120 logements répartis dans l’est de la capitale) –, mais aussi d’une maison-relais et d’une résidence sociale. « Le CHRS a plusieurs particularités : non seulement il est tout public et notre accueil est inconditionnel, mais il a aussi un volet “santé” important, puisque 40 % des personnes accueillies ont une pathologie et sont suivies par notre infirmière coordonnatrice. Ces problématiques ne pouvant pas être résolues rapidement, nous avons de facto des durées de prises en charge plus longues que la plupart des CHRS, avec une moyenne de quatre ans. »

Quand elle a pris les commandes du CHRS, il lui a fallu renouveler le projet d’établissement en fonction de l’évolution du public. « On a analysé qu’il fallait travailler davantage sur l’insertion professionnelle, mieux préparer nos ménages au relogement et mettre l’accent sur l’apprentissage du français. Il fallait aussi développer la participation des usagers, pour qu’ils soient parties prenantes de la vie de l’établissement, ce qui n’est pas évident quand on est en diffus. »

Karen Smail n’est pas déconnectée de l’accompagnement social : « Je vois quels sont les usagers les plus en difficulté lorsque je fais le point mensuel avec le secrétariat sur les ménages qui n’ont pas acquitté leur participation au loyer. De même, des frais étant engagés par l’établissement quand il y a des dégradations dans le logement, je demande aux travailleurs sociaux d’intervenir plus particulièrement sur le “savoir habiter” de certains usagers. » Avec trois ans d’expérience à la tête du centre Buzenval, l’ancienne éducatrice spécialisée se dit « enfin dans une aisance de maîtrise du poste », qui lui permet de dégager du temps pour se consacrer aux partenariats, aux appels à projets et à des actions d’ouverture de l’établissement vers l’extérieur.

Un combat sur le long terme

Quels que soient leurs prérogatives ou le type de CHRS qu’ils dirigent, aucun de ces managers n’a le temps de s’ennuyer : « A chaque personne que l’on accueille, c’est une nouvelle histoire, un nouveau projet, de nouveaux partenaires », pointe Erika Mellaerts. Et les satisfactions sont nombreuses : « Quand on parvient à une sortie positive – pas forcément à un logement de droit commun, mais à une solution adaptée aux besoins de la personne. Mais la fierté peut être tout aussi grande à chaque pas vers l’insertion. Par exemple, quand un résident accepte d’aller vers des soins alors qu’il était dans l’opposition. »

« On se rend compte au quotidien qu’il n’y a pas de fatalité : aussi insurmontable qu’une situation puisse paraître, toutes les personnes sont capables de mettre en œuvre un projet pour se reconstruire », souligne Samir Tamine, chef de service de deux CHRS à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise) gérés par l’association ARS 95.

Les managers admettent aussi rencontrer des difficultés et des échecs : « Certaines personnes ne se mobilisent pas du tout, voire régressent, concède Erika Mellaerts. Et, parfois, on doit mettre fin à des prises en charge par la force des choses, pour raison de violences, qui peuvent être liées à certaines dépendances… » Autre problématique récurrente, la difficulté à trouver des solutions de relogement – « notamment dans des territoires tendus comme en Ile-de-France et en Rhône-Alpes », précise Florent Guéguen, directeur de la FNARS. Le responsable associatif met en avant une autre difficulté qui a émergé ces dernières années : l’arrivée dans les CHRS de migrants sans papiers. « Nos adhérents ne trouvent pas de solutions de sortie pour ces personnes qui n’ont pas les ressources déclarées pour aller dans le logement privé. »

Parfois aussi, le relogement se révèle trop « expéditif » : « Certains de nos usagers sortent du CHRS grâce à l’aboutissement d’un recours DALO alors qu’ils ne sont pas “prêts” et qu’il aurait plutôt fallu envisager une orientation vers une maison-relais, une résidence sociale, pointe Karen Smail. Cela se solde par des situations d’impayés de loyer dès les premiers mois. On envoie donc des personnes à l’échec, et c’est accablant. A nous d’être créatifs et de travailler en lien avec les bailleurs sociaux afin d’assurer des sorties positives. »

Enfin, une épée de Damoclès pèse au-dessus des CHRS : « Nous craignons chaque année des coupes budgétaires, s’inquiète Francis Silvente, directeur général du Relais Ozanam et président de la FNARS Rhône-Alpes. Ces structures, centrales dans le dispositif d’accueil et d’insertion, sont perçues par les pouvoirs publics comme coûtant cher. Mais ce prix élevé – entre 15 000 et 16 000 € par place et par an – est justifié puisqu’elles accueillent un public qui cumule les difficultés. »

Les CHRS à la loupe

Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale se sont développés à partir des années 1950. Actuellement, ils sont un peu plus de 800 pour 40 732 places. Parmi eux, 90 % sont gérés par des associations et regroupés au sein de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Selon le code de l’action sociale des familles, ils sont destinés à accompagner « les personnes et familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale ». Des publics qui sont orientés vers ces structures après avoir constitué un dossier auprès du SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation) ou, pour les situations d’urgence, en passant par le 115. En 2014, les crédits accordés aux CHRS se sont élevés à 622,6 millions d’euros.

Des lieux en développement

« Les CHRS sont les structures autour desquelles beaucoup d’associations du secteur social se sont développées. Ce sont donc les plus anciennes, et on a couru le risque qu’elles restent figées, qu’on les laisse vivoter, pointe Francis Silvente, directeur général du Relais Ozanam, qui gère trois CHRS dans l’Isère. En fait, au contraire, on voit que les directeurs en font de plus en plus des lieux d’innovation, d’expérimentation et de développement pour d’autres activités. » Dans son association, s’est créé un CHRS de type « logement d’abord », et sont prévus l’ouverture de structures destinées spécifiquement au public jeune ainsi que le développement du travail pair.

Manager dans le social

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