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Compte pénibilité : un casse-tête pour le secteur

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Freiné par les aléas législatifs et la complexité du dispositif, le compte personnel de prévention de la pénibilité tarde à se mettre en place dans le secteur. Mais les structures sont conscientes des enjeux et de la nécessité d’approfondir leurs politiques de prévention des risques professionnels.

C’était une boutade, mais elle illustre bien la perplexité du secteur face à la mise en place du C3P (compte personnel de prévention de la pénibilité) : « J’étais avec un directeur, et nous passions en revue les facteurs de pénibilité, raconte Catherine Audias, consultante et formatrice pour le réseau Uniopss-Uriopss. Postures, port de charge, travail de nuit… Et soudain, il m’a demandé pourquoi la pénibilité administrative n’entrait pas dans la liste ! »

Des droits désormais attachés à chaque salarié

Introduit dans le code du travail par les lois du 20 janvier 2014 et du 17 août 2015, le C3P entérine une nouvelle conception de la pénibilité. « Jusque-là, avec le DUERP [document unique d’évaluation des risques professionnels], la pénibilité constituait un sujet interne à l’entreprise, explique Catherine Audias. Désormais, les employeurs doivent effectuer une déclaration, qui crée des droits attachés à la personne. Pour l’heure, dans une logique de réparation plutôt que de prévention. » Sur le terrain, personne ne conteste l’importance de l’enjeu. Mais le dispositif apparaît éminemment complexe. « Il suppose d’aller observer des salariés en situation de travail, d’identifier des domaines d’activité types sur lesquels on va pouvoir quantifier le temps d’exposition… C’est un processus long, complexe et très coûteux, dans un secteur déjà confronté à de fortes contraintes réglementaires », résume Magali Ollier, chargée de mission « prévention et sécurité » au travail au sein de la mutuelle Chorum.

La loi prévoit la possibilité pour les employeurs de s’appuyer sur des référentiels de branche, sortes de modes d’emploi offrant une sécurisation juridique. Las, aucun référentiel n’a encore été produit dans le secteur. Au sein de la BAD (branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile), les travaux viennent de commencer. « Le choix du cabinet prestataire a été acté, nous recensons actuellement les sites d’observation », indique Hélène Lemasson-Godin, DRH (directrice des ressources humaines) du réseau UNA. Objectif : disposer d’un document de référence avant la fin de l’année. « Nous faisons tout notre possible pour respecter les délais très contraints imposés par le législateur. Mais les décrets d’application ont été tardifs, et l’observation et l’analyse vont prendre du temps », prévient-elle.

Les structures les plus grandes en première ligne

Devant une telle complexité, seules les plus grandes structures peuvent se permettre de prendre les devants. A Toulouse, voilà déjà deux ans que l’Arseaa (Association régionale pour la sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte) se prépare. « Nous avions travaillé sur la pénibilité individuelle et commencé à mettre en place des fiches pénibilité, avant qu’elles soient supprimées par le législateur », rapporte ainsi Stéphane Pareil, le DRH. Au terme du premier décompte, l’année dernière, 35 des 1 600 salariés de l’association dépassaient les seuils prévus par le C3P. Tous au titre du travail de nuit. L’évaluation de l’exposition aux critères entrés en vigueur au 1er juillet dernier s’annonce plus laborieuse. « Additionner des sacs de ciment pour estimer le port de charges, d’accord. Mais comment calculer lorsqu’il s’agit de soulever des personnes plus ou moins autonomes, mobiles ou douloureuses selon les jours ? », s’interroge Catherine Audias. Puisqu’il faut bien commencer par quelque chose, un groupe de travail s’est constitué à l’Arseaa, chargé d’évaluer la pénibilité au sein de l’unique maison d’accueil spécialisée de l’association. Un travail qui s’appuiera notamment sur le guide méthodologique publié début septembre par Chorum, seule ébauche de référentiel disponible à ce jour. « L’établissement accueille un public lourdement handicapé, et est ouvert 365 jours par an, explique Stéphane Pareil. Les risques que les seuils soient dépassés y sont donc plus importants. » Sous-entendu : si les salariés de la maison d’accueil spécialisée ne relèvent pas du C3P, aucun des professionnels des autres structures non plus.

De fait, conséquence du relèvement des seuils promulgué par décret à la fin 2015, rares devraient être les salariés du secteur exposés au sens du C3P. Au risque de créer des incompréhensions parmi les personnels. « Certains seront peut-être étonnés de ne pas obtenir de points, alors qu’ils estiment subir quotidiennement une ou plusieurs formes de pénibilité, anticipe le DRH de l’Arseaa. C’est pourquoi notre méthodologie se doit d’être particulièrement rigoureuse et pourquoi nous devons accompagner la démarche, auprès des directeurs comme des équipes. » Les employeurs auraient de toute façon tort de s’estimer quittes une fois les compteurs renseignés, à voir les inquiétantes données produites par l’assurance maladie, qui montrent un envol du nombre d’accidents de travail et une rapide progression des maladies professionnelles. « Certes, l’identification des expositions aux facteurs de pénibilité est un exercice complexe, conclut Magali Ollier (Chorum), mais l’analyse des différentes situations de travail permettra d’enrichir les DUERP, de dégager des pistes concrètes d’amélioration… Bref, d’engager ou d’approfondir une véritable politique de prévention des facteurs de pénibilité et des risques professionnels. »

Mode d’emploi

Pour chaque salarié, l’exposition aux différents facteurs de pénibilité doit être déclarée au plus tard le 31 janvier de l’année suivante. Parmi les dix facteurs recensés par le C3P, six concernent directement le secteur : le travail de nuit et le travail en équipes successives alternantes (en vigueur depuis le 1er janvier 2015), les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, l’exposition aux agents chimiques dangereux, les températures extrêmes et le bruit (1er juillet 2016). En cas d’erreur, la déclaration peut être rectifiée jusqu’au 5 ou au 15 avril de l’année suivante (selon l’échéance du paiement des cotisations). Si la modification est favorable au salarié, la rectification est possible dans un délai de trois ans.

Témoignage Pascal : Bertocchi directeur général d’Alteris (Puy-de-Dôme)

« Alteris est née en 2012 de la fusion de deux associations auvergnates. En 2014, il nous a semblé utile de dresser un panorama de la santé au travail dans nos établissements et services : un centre de soins de suite, un ITEP (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), un IME (institut médico-éducatif), deux MECS (maisons d’enfants à caractère social), une maison d’accueil, trois foyers éducatifs et différents services d’accompagnement en protection de l’enfance.

Nous avons donc instruit en face à face un questionnaire à nos 400 salariés. Les questions portaient sur les postures, les rythmes de travail, le bruit… Nous avons pu exploiter 361 réponses. Au dépouillement, il est apparu que la moitié des salariés avaient le sentiment d’effectuer un travail pénible. Embauchée pour l’occasion, une chargée de mission a comparé ces résultats avec des référentiels scientifiques, comme ceux proposés par l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité). La proportion de personnels réellement touchés par la pénibilité est passée à 20 %. Puis, en octobre 2014, est paru le décret fixant les seuils d’exposition. Et il ne nous est plus resté que les travailleurs de nuit – et encore, pas tous ! Les conventions collectives applicables (CC 66 et CC 51) prévoyaient déjà des compensations, que nous appliquions (heures de repos rémunérées, majorations…). Une seule surveillante de nuit qualifiée, titulaire de la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), présentait un risque d’invalidité. Nous avons accompagné son projet de reconversion comme assistante de service social. Dans notre service de soins de suite, en revanche, le taux d’accidents du travail avait grimpé. Avec l’aide de la Carsat (caisse d’assurance retraite et de la santé au travail), nous avons investi dans du matériel adapté, formé les professionnels aux gestes et postures… Et tout est rentré dans l’ordre.

Même si les seuils du C3P ne sont pas atteints, les risques professionnels sont une réalité. L’écart entre le ressenti de la pénibilité et sa mesure réelle doit nous alerter : il constitue l’un des signaux d’alerte sur les risques psychosociaux, qu’ils soient institutionnels ou individuels. »

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