« Depuis de trop nombreuses années », les travailleurs sociaux du ministère des Affaires sociales « interviennent auprès des services centraux afin que leurs fonctions soient reconnues, mais ils sont confrontés au silence, voire au mépris de leur administration ». C’est le cri d’alarme d’un collectif de professionnels, qui souhaite de nouveau interpeller leur tutelle sur la situation des « 215 travailleurs sociaux : 72 assistants(es) de service social (ASS) et 143 conseillers(ères) techniques (CT) […] à l’œuvre dans les services de la cohésion sociale ». Ces professionnels, dont les missions sont mal connues, exercent « des fonctions transversales d’appui technique, de conduite de projet, d’animation territoriale des politiques publiques dans les domaines de l’accueil, de l’hébergement et du logement, de l’accès aux droits sociaux, de la protection juridique des majeurs, de l’intégration, des formations en travail social, de la politique de la ville », énumère le collectif, dont les membres, sans mandat syndical, souhaitent garder l’anonymat.
Ses inquiétudes sont nombreuses : « La dernière circulaire datant de 1991, qui détermine le champ d’intervention des travailleurs sociaux, est devenue obsolète depuis la disparition des DDAS et des DRASS [directions départementales et régionales des affaires sociales] au 31 décembre 2009. Depuis, et malgré nos demandes et propositions, nous travaillons sans aucun cadre », écrit-il. Une circulaire du 12 janvier 2011 sur la formation en cours d’emploi des conseillers techniques de service socialrappelle pourtant leurs missions au sein des directions départementales et régionales de la cohésion sociale, des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations et des agences régionales de santé. Elle précise que le conseiller technique en travail social peut aussi « encadrer une équipe ou être responsable d’un service, selon les organisations locales. En qualité d’expert du travail social, il est fondé à contribuer à des missions d’inspection, au sein d’équipes pluridisciplinaires. Il a toute légitimité pour piloter des démarches d’évaluation de projets. » Malgré ces responsabilités, dénonce le collectif, les travailleurs sociaux du ministère des Affaires sociales relèvent d’un statut « au rabais » qui ne valorise par leurs missions par rapport aux autres professions, avec un régime indemnitaire qui leur est même défavorable. « Aucune perspective de carrière, pas de réelles revalorisations, pas de remplacement. Nous vivons un déclassement et une discrimination professionnels qui s’apparentent à l’organisation d’une disparition programmée du travail social dans les services de la cohésion sociale », alerte-t-il. L’expertise en ingénierie sociale de ces travailleurs sociaux en devient moins reconnue et sollicitée : « La mise en œuvre des politiques publiques est aujourd’hui de plus en plus portée par des administratifs, quand l’Etat ne fait pas appel à des cabinets… C’est à l’image de la façon dont le ministère porte et pilote ses politiques sociales… ! », témoigne l’une des membres du collectif.
Des constats entièrement partagés par le Syndicat national des affaires sanitaires et sociales (SNASS)-CGT. Sur le plan statutaire, « la situation s’est dégradée depuis les accords Durafour de 1990 [sur la rénovation de la grille des classifications et des rémunérations des trois fonctions publiques], et celui sur les PPCR [parcours professionnels, carrières et rémunérations] n’a pas permis de faire évoluer la situation », commente Dominique Panico-Mialon, secrétaire nationale du SNASS-CGT. Des groupes de travail, menés notamment en 2006, ayant conclu aux « missions, modalités et posture de travail atypiques » des conseillers techniques, explique-t-elle, la CGT avait obtenu, en 2009, le détachement de ceux qui le souhaitaient dans le corps des attachés de l’administration. Mais « l’UNSA a fait annuler le décret au tribunal administratif et le ministère a perdu le recours au Conseil d’Etat, essentiellement parce que la circulaire de mission de 1991 n’avait pas été actualisée… Aujourd’hui, les détachements ne sont plus possibles. » Et de pointer les écarts de salaire substantiels entre un conseiller technique en fin de carrière et un attaché. « L’enjeu, dans l’espace de négociations à venir, est d’obtenir une vraie catégorie A au lieu du “etit A” actuel », souligne-t-elle.
Aux difficultés de reconnaissance statutaire, ajoute Dominique Panico-Mialon, s’est greffée, avec la création d’un corps interministériel à gestion ministérielle (CIGEM), la gestion commune des déroulements de carrière entre différents ministères. « Les personnels sociaux se sont encore plus sentis abandonnés, et la création des directions départementales interministérielles a fini d’affaiblir la posture professionnelle des collègues. » Avec un autre enjeu : la fragilisation du cadre déontologique propre aux travailleurs sociaux. « La direction générale de la cohésion sociale et le ministère des Affaires sociales ont les cartes en main, mais veulent-ils se saisir de la situation ? », interroge la secrétaire nationale du SNASS-CGT.