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Le choix de l’encadrement

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L’EPIDE a été créé en 2005 sous la houlette du ministère de la Défense. Ce dispositif d’« inspiration militaire » s’ouvre à présent aux travailleurs sociaux, afin de professionnaliser l’accompagnement de jeunes volontaires. Reportage au centre de Strasbourg.

Sur les murs de la salle Zola, dans l’un des bâtiments de brique rouge du Quartier Lecourbe, à Strasbourg, des feuilles pense-bête, avec les conjugaisons des verbes « être » et « avoir » à tous les temps, le nom des capitales et des pays européens, des tables de multiplication. Au centre de la classe, sept jeunes hommes sont attablés autour de ce qui ressemble à un grand Monopoly, avec ses cartes « actions », ses dés, son plateau et ses faux billets. Mais la ressemblance s’arrête là. Il s’agit en fait d’un jeu créé par Emmaüs Solidarité et utilisé ici pour familiariser les jeunes adultes du centre EPIDE (établissement pour l’insertion dans l’emploi) de Strasbourg(1) avec la gestion d’un budget familial. « Messieurs, citez-moi trois conséquences des poubelles sur le palier », interroge Benjamin Lunardi, éducateur spécialisé, qui assure depuis octobre 2015 la fonction de conseiller éducation et citoyenneté. « L’odeur ! », lance un jeune homme. « L’encombrement ? », interroge un autre. « Les souris… », s’amuse un troisième. « Les nuisibles, oui, bien joué, messieurs », conclut l’éducateur. Suivent des questions sur les accidents domestiques, le coût de l’eau ou du chauffage, la validation d’un état des lieux.

Agés de 18 à 25 ans, les membres du groupe se taquinent et s’apostrophent. Un groupe banal, en somme, si ce n’est leur tenue aux couleurs de la police ou de la gendarmerie, un uniforme composé d’un polo bleu clair, d’un pantalon bleu foncé et de chaussures marine bien entretenues. Leur coupe de cheveux ressemble à celle des jeunes de leur âge (pas de boule à zéro !), mais ils ne portent ni piercing, ni signes distinctifs visibles. Les jeunes femmes, qui représentent environ 30 % de l’effectif, portent leurs cheveux attachés. Leurs bijoux doivent être discrets, comme leur maquillage.

Dans l’enceinte du Quartier Lecourbe, rénové récemment, le cadre est dit d’« inspiration militaire », ce qui convient bien à l’éducateur Benjamin Lunardi, qui porte également l’uniforme, comme toute l’équipe d’encadrement : « Avant, je travaillais à Mulhouse en CEF [centre éducatif fermé],raconte-t-il. Un ancien collègue m’a parlé de l’EPIDE, et le concept me plaisait beaucoup. Le public est très différent de celui d’un CEF. Les jeunes viennent ici sur la base du volontariat, ils ne sont pas orientés par un juge… »

Volontariat et contexte « militaire »

Créé en 2005 par la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, le dispositif EPIDE (2) accueille des jeunes majeurs sortis du système scolaire sans diplôme et en voie de marginalisation. A leur arrivée, les futurs « volontaires » – le terme employé à l’EPIDE pour les qualifier – passent des tests « de positionnement » écrits et oraux dans les domaines de l’enseignement général, de l’informatique, de l’insertion citoyenne. Ils rencontrent également trois binômes de professionnels chargés de déceler leurs problématiques individuelles et de vérifier qu’ils comprennent le fonctionnement du centre (uniforme, internat de semaine…) ainsi que les objectifs du séjour (remise à niveau scolaire, orientation professionnelle, vie citoyenne). La moitié de ces jeunes reçus signent finalement un « contrat de volontaire » en présence de Sandra Scariot, la directrice du centre de Strasbourg.

Le volontariat et le cadre d’inspiration militaire sont les bases du concept EPIDE. Comme Benjamin Lunardi, c’est ce qui a attiré Frédéric Leguay, chef du service éducation et citoyenneté. Egalement recruté à l’automne 2015, l’homme, tatoué et massif, semble s’être parfaitement coulé dans le moule : « Le cadre d’inspiration militaire est en accord avec mes principes éducatifs. Les jeunes qui viennent ici sont en perte et en recherche de repères. Leurs caractéristiques communes, c’est l’échec scolaire, mais aussi la fragilité sociale. Ce qu’ils disent en arrivant, c’est qu’ils ont besoin d’être remis sur des rails, qu’on soit exigeant avec eux. Certains ont déjà un long parcours en foyer ou avec la PJJ [protection judiciaire de la jeunesse]. D’autres sont orientés par la mission locale de leur secteur, dans le cadre de leur recherche d’emploi. »

Originaires pour nombre d’entre eux des quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou des centres urbains alsaciens (50 % du contingent devrait à terme être issu des QPV), les jeunes de l’EPIDE strasbourgeois viennent aussi des secteurs ruraux d’Alsace et de Lorraine. « Pour un volontaire, ce qui va jouer dans le choix de tel ou tel centre, c’est la solution d’hébergement pour les week-ends, remarque Sandra Scariot. L’allocation mensuelle qu’ils reçoivent est de 210 € (plus 90 € cumulables en fin de parcours), ce qui ne permet pas de faire des trajets importants toutes les fins de semaine… »

Un séjour de huit mois en moyenne

Le contrat de volontaire que signent ces postadolescents est de huit mois, ce qui est la durée moyenne de séjour au niveau national. Il peut être prolongé jusqu’à vingt-quatre mois, mais la politique de l’EPIDE tend plutôt à la diminution des durées de séjour : « Quand les jeunes trouvent leurs marques, ils n’ont plus du tout envie de partir, note Nathalie Hanet, directrice générale de l’EPIDE au plan national. La consigne est donc plutôt de ramasser les parcours et de mettre les volontaires plus en tension. » Objectif : la sortie emploi pour le plus grand nombre, avec un contrat de plus de deux mois et de 20 heures par semaine minimum. A Strasbourg, le centre n’est pas de ceux qui alignent les meilleures statistiques. Son histoire est chaotique, avec le licenciement en 2014 de son directeur. En mars 2015, Sandra Scariot prend la relève, avec pour mission de remobiliser « une équipe en déshérence », selon Nathalie Hanet. La nouvelle directrice possède une double formation, à la fois universitaire et en management, et un profil « éducation populaire », après dix ans de direction dans un centre socioculturel. « Après cette longue expérience, j’ai voulu retourner sur quelque chose de plus structuré, avec un public plus captif. Ce qui m’a séduite, c’est le projet éducatif de l’EPIDE : comme en Belgique, quand j’étais professeure en lycée, je retrouve une liberté dans la définition d’un projet et la possibilité d’embauches. Malgré les aspects austères et l’image rigide qu’on peut avoir de l’EPIDE à l’extérieur, son projet est novateur, avec un équilibre entre le suivi individuel des volontaires et les ateliers collectifs ou semi-collectifs. » Ce qui a prévalu à son embauche, juge-t-elle, c’est son expérience de la méthodologie de projet et sa motivation à remobiliser une équipe fragilisée, dans « une démarche participative et transversale ».

Passé en dix-huit mois de 32 à 47 agents, et de 75 à 120 volontaires dont le recrutement est en cours, l’EPIDE de Strasbourg est encore en voie de réorganisation, porté par la dynamique initiée depuis un an au niveau national (voir encadré ci-contre). « Ce recrutement important a permis de tourner plus facilement la page », remarque la directrice. Les 15 créations de postes de conseillers éducation et citoyenneté et de conseillers en insertion professionnelle ont été l’occasion de faire entrer, outre des professionnels de la formation et de l’insertion, des travailleurs sociaux, éducateurs sportifs ou éducateurs spécialisés en cours de procédure de validation des acquis de l’expérience.

C’est le cas notamment de Benjamin Lunardi ou de Frédéric Leguay, mais également de Laurent Hossann, arrivé lui aussi en octobre 2015. Uniforme, tenue et posture, apprentissage de la marche au pas : « Ça m’a rappelé mon service militaire, ça ne m’a pas dérangé du tout, glisse l’éducateur sportif. Au contraire. Je me sers par exemple de la marche cadencée pour analyser et repérer des problèmes de motricité des jeunes. Ensuite, pour travailler le dépassement de soi, j’utilise les valeurs du karaté – que je ne peux pas enseigner aux jeunes à l’EPIDE, où les sports de combat sont interdits. Je leur apprends quelques mouvements, en individuel ou par petits groupes, et ils ressortent apaisés. »

Avant tout, un discours éducatif cohérent

Donner des ordres, se mettre en avant et s’imposer ne va néanmoins pas de soi pour tous les travailleurs sociaux qui intègrent l’EPIDE. Un travail de formation interne est mené lors de journées mensuelles des cadres, entre autres à l’occasion de jeux de rôles. Sandra Scariot tempère : « Il est moins important de savoir marcher au pas que de tenir un discours éducatif cohérent, en insistant par exemple sur le rappel des règles ou sur le vouvoiement. » Ce que complète son chef de service éducation et citoyenneté : « Tout le monde essaie et fait l’effort, même si tous ne sont pas encore tout à fait dans le costume… »

C’est d’ailleurs ce qui ne laisse pas d’inquiéter les quelques anciens militaires toujours dans l’effectif et au contact des jeunes – d’autres agents passés par l’armée sont présents dans le service des moyens généraux ou dans l’équipe de direction. A l’origine, les moniteurs, qui travaillent en trois fois huit heures et accompagnent les volontaires dans leur vie quotidienne (internat, réfectoire, activités de loisirs), étaient issus du monde militaire. Parmi leurs missions : la revue des chambres, les travaux d’entretien – à l’EPIDE, il n’y a pas de « corvée de chiottes » (sic) – ou encore l’apprentissage de la Marseillaise. Or, après les départs en retraite et les embauches d’éducateurs, ne restent à Strasbourg que trois militaires de carrière sur 12 moniteurs. Ce que déplore Christian Cuny, ancien de l’armée de l’air, embauché en 2013 : « Si l’on veut conserver un petit cadre d’inspiration militaire, il faut garder des gens qui ont appris à faire leur lit au carré ou à marcher au pas. Avec les travailleurs sociaux, on est complémentaires dans nos méthodes de travail. C’est pour ça qu’il faut maintenir une parité. » D’autant que certains jeunes ont des « projets armée » ou des « projets sécurité », pointe Christian Cuny. « Ils viennent nous voir au bureau des moniteurs, dehors ou dans les couloirs. On discute du recrutement et des différences entre les corps d’armée. A l’EPIDE, ils peuvent se préparer aux tests d’entrée avec les formateurs d’enseignement général et avec le formateur sportif. »

Ce dernier, jeune trentenaire, est pourtant l’« ancien » du centre de Strasbourg, présent dans l’équipe depuis sa création en 2007. Pierre-Alain Cherel a une formation STAPS (sciences du sport). Dans son petit bureau au-dessus du gymnase, il raconte : « Au début, 75 % de mes collègues étaient des retraités du milieu militaire. Les premiers jeunes qu’on a accueillis ont essuyé les plâtres : on avait des casernes, mais pas de programme ! Puis, avec nos compétences diverses, on a trouvé des idées pour les amener vers l’insertion… » Le formateur se félicite des nouvelles directives pédagogiques, tout en confiant : « C’est important de conserver ces anciens militaires dans l’équipe, pour le savoir-être, même si avoir les travailleurs sociaux permet de lever les freins à l’employabilité et de travailler sur l’individu. »

Une attestation à l’intention des recruteurs

Lever tous les types de freins à l’emploi, c’est le travail de Ludivine Bonamy, chargée d’accompagnement social. Conseillère en économie sociale et familiale, passée par les univers de l’hébergement d’urgence et du handicap, elle concentre son action durant les deux premières semaines du jeune à l’EPIDE, afin de régler ses problèmes de logement, de dettes ou autres. Embauchée à l’EPIDE en novembre 2013, la jeune femme y a pris ses marques, et a « retrouvé le public jeunes », avec, à Strasbourg, la possibilité de nouer de nombreux partenariats. « Depuis la réorganisation en 2015, je suis associée aux recrutements, ce qui est indispensable pour repérer les difficultés et mettre en place rapidement les solutions. » La jeune femme a une petite marque à l’arcade sourcilière, celle de son piercing, qu’elle retire pour travailler ici : « Pendant mon entretien d’embauche, j’ai posé la question de l’intérêt de l’uniforme ou d’enlever mon piercing. L’argumentation qu’on m’a donnée [le nivellement des marqueurs sociaux, le respect d’un code collectif] m’a convaincue. En fait, j’ai été agréablement surprise de l’effet que produit le cadre d’inspiration militaire sur les jeunes. Je m’y retrouve, ça donne l’appui, la structuration dont les jeunes ont besoin. »

A l’issue de leur « parcours citoyen » au sein de l’établissement, outre leur code de la route ou un certificat de formation générale, les volontaires obtiennent une attestation qui valide leur « haut quotient citoyen ». Celle-ci est un gage de leur responsabilité et de leur autonomie auprès des recruteurs : « C’est la preuve qu’ils peuvent s’intégrer dans un groupe de travail, qu’ils ont acquis le sens du collectif et qu’ils sont en capacité de répondre aux attentes d’un employeur, précise la directrice générale. Nous mettons toujours en lien les règles de l’EPIDE, l’uniforme, la marche serrée, la mise à l’honneur des volontaires, avec les règles de la vie en entreprise. Et rapprochons les actes de la vie quotidienne avec ce qui est attendu sur le marché du travail. » Clé de la réussite : « Conserver une mixité entre travailleurs sociaux et métiers de l’uniforme, conclut Sandra Scariot, pour ne pas tomber dans le folklore. »

Interview
« Nous avons professionnalisé le recrutement des travailleurs sociaux »

Nathalie Hanet est directrice générale de l’EPIDE depuis 2014. Cet établissement public administratif a accueilli 30 000 jeunes « volontaires » depuis 2005. Son budget annuel est de 90 millions d’euros, financé par les ministères de l’Emploi et de la Ville.

Pour quelle raison l’EPIDE a-t-il ouvert ses 18 centres aux travailleurs sociaux ?

Les équipes ont d’abord été constituées à partir des ressources militaires, mais la diversité du recrutement est arrivée vite, sporadiquement, souvent par cooptation. Depuis trois ans, nous avons des procédures de recrutement plus professionnelles.

Quelles difficultés rencontre-t-on à faire collaborer des travailleurs sociaux et d’anciens militaires ?

Chaque section de 30 volontaires est encadrée par des agents aux profils différents. C’est cette différence qui fait la richesse et la force de l’accompagnement proposé à l’EPIDE. La confrontation des points de vue est positive : il y a parfois des désaccords, mais jamais de dysfonctionnements. Les agents, très complémentaires, trouvent des convergences et se nourrissent les uns des autres.

L’EPIDE a multiplié les embauches en 2015. Y aura-t-il de nouveaux postes ouverts aux travailleurs sociaux dans les mois à venir ?

Oui. Nous créons deux nouveaux centres à Nîmes et à Toulouse, avec 54 postes par centre. Par le jeu des mutations, cela va créer des opportunités partout en France. Les fonctionnaires sont prioritaires, mais peu ont un profil de travailleurs sociaux. Par ailleurs, sur 1 100 postes, nous avons toujours un volant de 20 postes ouverts et recevons plus d’une centaine de stagiaires par an diplômés des IRTS [instituts régionaux du travail social].

Propos recueillis par M. M.

Notes

(1) EPIDE de Strasbourg : Quartier Lecourbe – 1, rue du Général-Picquart – BP 60089 – 67003 Strasbourg cedex – Tél. 03 90 41 01 60 – epide.strasbourg@epide.fr.

(2) Direction générale EPIDE : 40, rue Gabriel-Crié – 92240 Malakoff – Tél. 01 49 65 28 84 – secretariat@epide.fr.

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