« Depuis la nuit des temps, l’être humain a eu besoin de penser qu’un Autre (sorcier, gourou, confesseur…) détenait le pouvoir de le sortir des inévitables mauvais pas de la vie.
Le psy est venu occuper cette place dans notre monde post-moderne.
En 2014, un article des ASH intitulé “Psychologue en institution : une fonction sur le fil”(1) faisait état de la place “mal définie” de ce professionnel en institution. Selon l’auteur, le flou qui en résulte alimenterait “un fantasme autour de sa posture de savoir” provoquant la “crainte du psychologique” et un “manque de reconnaissance” à son égard. Aussi, les temps pleins devenus vacants, ces professionnels seraient-ils remplacés de plus en plus souvent par des temps partiels, voire tout simplement supprimés.
En mars 2014, le rapport du Conseil supérieur du travail social “Refonder le rapport aux personnes. Merci de ne plus nous appeler usagers”(2) a dénoncé un dévoiement des pratiques du fait de “la priorité donnée à une approche individuelle”. Il en résulte, selon ce document, une dérive “au nom d’une conception étroite” de ce qu’il nomme la “‘clinique’ psychologisante”.
Quelle peut donc être, aujourd’hui, l’intervention du psychologue dans le champ social ? Il est aisé de dire ce qu’elle n’est pas, ou ne devrait pas être. Inscrite dans le champ social, elle ne peut viser à dispenser des soins ou à produire du savoir sur l’autre. Le psychologue ne doit pas se laisser piéger, comme a dû le reconnaître Sigmund Freud lui-même(3), par la fausse certitude qu’il suffirait pour un sujet d’avouer ses problèmes pour s’en trouver allégé.
Il doit renoncer à la place de superviseur, tant de l’équipe que de l’institution, à laquelle il est encore trop souvent appelé. Même si le fait qu’il se positionne “à la fois dehors et dans l’équipe” serait censé, toujours selon l’article des ASH, “garantir l’autonomie” de son travail, il ne peut, sans dommage, occuper toutes les places.
Il est moins aisé de clarifier ce qu’il devrait être.
Comme des personnes autour d’une table ne voient qu’une seule face d’un gros dé à jouer, le psychologue perçoit de sa place ce que sa formation l’a préparé à appréhender. Dégagé des contingences du quotidien, il est censé entendre davantage quelque chose de la réalité psychique du sujet.
Comment se fait-il que sa place soit aujourd’hui si fortement contestée ? Nous avancerons l’idée que si ses pratiques ont dérivé vers la “‘clinique’ psychologisante”, c’est parce que le psychologue a oublié la façon dont la psychologie clinique s’est construite à l’origine.
En 1949, l’inventeur du concept de “psychologie clinique”, Daniel Lagache, a défini celle-ci comme “l’étude de la personne totale en situation”. L’effraction de la psychanalyse dans les sciences sociales la fera dériver vers la quête des motions inconscientes. Des normes “psy” vont alors être édictées et mises au service du contrôle social(4). La remise en question actuelle de l’inconscient freudien met donc aujourd’hui les psychologues cliniciens, qui se sont fourvoyés dans une pratique qui s’appuie exclusivement sur la psychanalyse, dans l’impasse.
Il importe, dès lors, pour le psychologue, de retrouver les fondements de la psychologie clinique tout en étant en phase avec les attentes du législateur.
En effet, ce n’est pas sa formation initiale ou ses orientations théoriques qui déterminent le contenu de la pratique du psychologue. Son intervention se déduit, comme dans les autres champs, de la loi qui définit, là où il exerce, les missions qu’il met en œuvre. A la place qui lui est assignée, il peut dès lors prendre acte qu’il appartient aussi au sujet de dire à quoi le psychologue peut bien lui servir. C’est ce que laisse entendre le bel aphorisme d’Aida Vasquez : “Pour affaire le concernant, le sujet est prié de parler lui-même.”
C’est au carrefour de ce dire et de l’énoncé de ses missions que le psychologue est appelé à inventer sa pratique. Ce qui implique pour lui de perdre l’illusion qu’il pourrait avoir la maîtrise du contenu de son intervention à partir de son seul savoir.
C’est plutôt par l’interpellation neutre (Comment se fait-il… ? Qu’en est-il pour vous de… ?)(5) qu’il peut donner chance pour que s’ouvre l’espace où la parole du sujet pourrait advenir.
Il convient, dès lors, de prendre à la lettre l’étymologie première du mot “clinique”. Klinein, en grec, désigne le moment où, après avoir trébuché, le temps se met comme en suspens sans qu’on puisse savoir si l’équilibre pourra être ou non rétabli. Ce n’est que par extension, si la chute a eu lieu, que ce terme a désigné l’intervention auprès du lit du malade.
C’est donc à partir de sa fonction d’étayage que le psychologue doit apporter son soutien, pour éviter, comme le stipule la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, que l’équilibre de la personne qu’il lui revient d’aider ne soit plus gravement compromis.
C’est à partir de la parole du sujet, sans doute le mieux placé pour exprimer ses attentes, que le psychologue doit puiser dans les différentes connaissances (psychologie génétique, sociale, comportementale, discours psychanalytique…), sans exclusive, ni esprit de chapelle, pour offrir à celui-ci les points d’appui dont il dit avoir besoin. A charge pour le praticien d’orienter vers qui de droit les demandes dont il ne serait pas le bon destinataire. Il se fait alors “passeur de parole”.
Le psychologue doit donc savoir convoquer les différentes approches au lieu de se cantonner à un savoir exclusif dans lequel la “‘clinique’ psychologisante” l’a peu à peu enfermé. Il doit fabriquer les outils permettant de rendre sa pratique adéquate à l’expression des besoins que le sujet lui a adressés, dans le cadre de ses missions.
C’est ce double assujettissement, éthique puisqu’il relève de la parole, qui peut permettre à l’acte du psychologue de constituer un véritable soutien et d’accéder à la dimension d’une praxis. »
Contacts :
(3) Concept d’abréaction : écoutons Freud lui-même constater l’échec de la méthode cathartique : « Ce fut une grave déception de voir le résultat escompté faire défaut. Comment pouvait-il donc se faire que le malade, qui savait maintenant ce qu’il en était de son expérience vécue traumatique, se soit pourtant conduit comme s’il n’en savait pas plus qu’autrefois ? » – In « Sur l’engagement du traitement » (1913) – Œuvres complètes – Ed. PUF, XII.
(4) C’est ce que souligne Françoise Petitot : « On bat un enfant : à propos de la maltraitance » – Les désarrois nouveaux du sujet – Sous la direction de Jean-Pierre Lebrun – Ed. érès, 2001.
(5) Jean-Pierre Thomasset « La lettre de la loi comme point d’exception » – Le Bulletin freudien n° 52 – Août 2008 – La clinique de la Place dont se soutient notre démarche va faire l’objet d’un ouvrage en cours de publication.