Même si le propos du rapport du Séminaire pour la promotion de l’intervention sociale communautaire (SPISC) n’est pas de revenir sur les critiques qui condamnent a priori l’approche communautaire au motif qu’elle ferait le jeu du communautarisme, l’étude y consacre néanmoins quelques pages. Difficile de faire autrement : en France, la référence à la notion de « communauté » continue d’être controversée – ce qui n’est pas le cas dans d’autres régions du monde, comme au Québec, où l’intervention communautaire fait partie des formes instituées du travail social(1). Elle est prise au piège d’une tradition politique qui ne reconnaît pas l’existence des communautés – seuls comptent les individus égaux au sein d’une République une, indivisible et laïque – et défend un modèle d’intégration qui n’accorde aucune légitimité aux spécificités culturelles, historiques et religieuses dans l’espace public. Alors que les amalgames entre les notions de « communauté » et de « communautarisme » – que certains entretiennent à dessein – avivent les tensions dans un contexte marqué par l’islamophobie, pourquoi persister à utiliser un terme polémique ?
Depuis sa création, le collectif est traversé de débats parfois très vifs, notamment entre les partisans d’une reconnaissance des communautés religieuses ou ethniques et ceux qui craignent une « naturalisation » des différences culturelles et la stigmatisation des populations concernées. Plutôt que de nier ces différences, le collectif « met au travail » les positions des uns et des autres à travers un effort de clarification des concepts. Le rapport défend l’hypothèse que « les notions de “communauté” - “communautaire” constituent des outils pour penser le réel » qui permettraient « de ne pas évacuer l’ethnicité du débat et de décrire la diversité effective ». Pour autant, dans les pratiques, « les jargons professionnels font peu place à la notion de “communauté”, encore moins à celle de “communautaire” » au profit des termes « habitants », « usagers », « groupes », « personnes », « collectifs »… Est-ce de la prudence, donc une forme d’« occultation » du réel ? Le rapport préfère y voir une façon de prendre « le social tel qu’il est, avec les dimensions ethniques comprises ».
Pas question, cependant, d’abandonner le terme : pour José Dhers, cofondateur du SPISC, il ne faut surtout pas s’abstenir de parler de « communauté », à condition de le faire de façon ouverte : « Alors que le communautarisme consiste à faire fonctionner des forces centrifuges, la communauté telle que nous l’entendons promeut l’“aller vers”. » Selon lui, l’utilisation de ce terme est nécessaire pour rendre compte d’une réalité que les valeurs républicaines françaises se font fort d’ignorer, à savoir l’existence de corps intermédiaires : « Certains ne veulent pas en entendre parler mais, en France, il existe bel et bien des communautés, qu’elles soient religieuses, ethniques, villageoises, numériques… », pointe-t-il. Pour Claire Autant-Dorier, responsable du master « Politiques sociales et développement territorial » à l’université de Saint-Etienne, qui a plus particulièrement contribué à la rédaction du chapitre sur les processus de développement communautaire, l’utilisation de la notion de « communauté » « oblige à se poser des questions – sur l’ethnicité, les quartiers… – qui sont souvent évacuées du débat public. Mettre les pieds dans le plat nous contraint à prendre au sérieux ce qui fait communauté pour les gens – non pas pour les y enfermer mais pour identifier avec eux leurs ressources et construire des dynamiques. » Pour Bernard Heckel, coordonnateur du SPISC, persévérer dans l’usage du terme « communautaire » est une position « stratégique » : « Le fait qu’il provoque souvent un premier mouvement de rejet réveille les esprits et invite à reconsidérer la place du citoyen dans le travail social. »
(1) Voir l’interview du Québécois Denis Bourque dans les ASH n° 2965 du 17-06-16, p. 38.