Définir des modalités d’allocation de ressources plus simples, plus équitables et qui facilitent les parcours des personnes en situation de handicap : c’est l’ambition de la réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour personnes handicapées, également baptisée « projet Serafin-PH ». Avec, pour principe directeur, la possibilité de moduler les financements à destination des ESMS puisque les besoins, et donc les prestations, ne sont pas les mêmes selon les personnes accompagnées.
Serafin-PH se décline en trois phases, a rappelé Annick Deveau, directrice du projet au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qui porte la réforme en collaboration avec la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), lors d’une journée consacrée à cette réforme, organisée le 27 septembre par le Cedias-CREAI Ile-de-France et l’Uriopss Ile-de-France. La première consiste à « construire les outils qui permettront une allocation de ressources rénovée, c’est la phase actuelle », a-t-elle indiqué, précisant que la deuxième permettrait de choisir un modèle de tarification, qui sera déployé lors de l’étape finale. Parmi les chantiers du programme de travail 2016 : la réalisation d’une enquête de coûts confiée à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) et la réalisation, en partenariat avec l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), d’un tableau de bord médico-social de la performance prenant en compte les nomenclatures Serafin-PH. Pour mémoire, ces nomenclatures des « besoins » et des « prestations » ont été validées et publiées en janvier dernier(1). Les besoins ont été regroupés en trois domaines : la santé (somatique et/ou psychique), l’autonomie et la participation sociale, tandis que la nomenclature des prestations distingue les prestations directes (soins et accompagnement) et les prestations indirectes (pilotage et fonctions supports).
L’enjeu de l’enquête de coûts menée par l’ATIH avec 120 établissements volontaires est de « mieux connaître, puis comprendre les coûts des prestations délivrées par les ESMS, selon la nomenclature Serafin », a précisé Annick Deveau. Les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année, tandis qu’une seconde vague de l’enquête est prévue en 2017, suivie d’une étude nationale de coûts en 2018, année au cours de laquelle doit être finalisé le tableau de bord généralisé. Plusieurs responsables d’associations gestionnaires d’établissements sont venus témoigner le 27 septembre de cette expérimentation. Prendre part à l’expérimentation était un moyen « de gérer nos craintes », a ironisé Lucas Pairaud, directeur général adjoint de l’Association de Villepinte, dont deux établissements, un institut médico-éducatif et une maison d’accueil spécialisée, participent à l’enquête de coûts. Pour l’association, s’inscrire dans cette démarche répond à une volonté de privilégier une logique de parcours, en vue de les fluidifier, a expliqué Lucas Pairaud. « Ce qui nécessite une refonte complète du modèle. » Autre motivation : avoir des remontées immédiates sur ce qui peut être amélioré. « C’est quand même une grosse machine et on veut éviter l’usine à gaz ». L’enjeu est également de disposer, grâce à la nomenclature Serafin, d’arguments lors de la négociation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) lorsqu’il s’agit de dégager des marges de manœuvre. Lucas Pairaud a par ailleurs salué la qualité du pilotage : « Il y a de la formation, c’est très encadré, on voit que ce n’est pas une réforme plaquée comme c’est parfois le cas. »
Autre retour d’expérience, celui du CESAP (Comité d’études, d’éducation et de soins auprès des personnes polyhandicapées), dont deux établissements du Val-de-Marne, un EME (établissement médico-éducatif) et un Sessad, sont engagés dans l’expérimentation. « L’une de nos attentes est de savoir si la nomenclature Serafin est adaptée à nos prestations et si une conciliation est possible entre les deux », a témoigné Caroline Ossard, directrice du pôle Val-de-Marne du CESAP, précisant que les deux structures expérimentatrices présentaient l’avantage d’avoir chacune une comptabilité différente : tarification à la journée au Sessad et tarification à l’acte à l’EME. Avant d’ajouter que l’approche Serafin est différente de ce qui se fait traditionnellement : le financement des établissements s’envisage aujourd’hui à travers l’offre de services, tandis que Serafin l’aborde en termes de prestations identifiées. S’agissant des intérêts de la démarche, elle met en avant l’analyse précise des prestations des établissements, la création d’une dynamique au sein des équipes et l’identification d’interactions entre les professionnels ou encore la valorisation des fonctions supports. Au chapitre des difficultés pratiques : la planification de l’enquête à une période peu propice pour les établissements (été pour la formation, automne pour l’enquête proprement dite, en pleine phase de préparation budgétaire), une méconnaissance du temps nécessaire pour l’enquête ou encore le manque de compatibilité entre l’outil interne et la plateforme de l’ATIH.
En termes de méthodologie, l’option retenue par le groupe de travail chargé de l’expérimentation a été de partir de l’agenda du professionnel pour caractériser les prestations de l’établissement, même si plusieurs associations auraient préféré partir plutôt de l’agenda de l’usager, a détaillé Virginie Carcaillon, directrice administrative et financière de la Fondation Ellen-Poidatz. « Nous avons donc demandé aux professionnels des trois établissements concernés d’écrire les prestations qu’ils prescrivent et délivrent aux usagers », a-t-elle poursuivi. Avec cette interrogation : « Comment rendre compte de l’activité délivrée ? » Caroline Ossard a, elle aussi, partagé quelques-uns des questionnements soulevés par la démarche, en prévenant notamment contre le « risque de standardisation, car la porte d’entrée est la prestation », ce qui peut sembler paradoxal par rapport à la finalité de Serafin d’adapter au plus près les prestations aux besoins de chaque personne handicapée.
Mais au-delà de ces réserves, les intervenants de la journée du 27 septembre étaient tous convaincus du bien-fondé de la philosophie de la démarche. « Par principe on ne peut qu’adhérer, a résumé Catherine de Lafarge, présidente des Papillons blancs des Rives de Seine et représentante de l’association de préfiguration Fegapei-Syneas. Nous sommes confrontés à la nécessité de restructurer nos structures médico-sociales, ce qui pose la question de l’organisation et de la logique du financement de l’accompagnement des personnes handicapées. [Ces dernières] revendiquent le droit à l’autonomie, à la santé et à la citoyenneté, ce que la nomenclature prend bien en compte. Le projet Serafin répond donc théoriquement à nos attentes. » Et de rappeler que la réforme doit permettre d’accompagner des parcours modulables, d’apporter des réponses individualisées, plus articulées entre les différents champs médico-sociaux. Reste cependant la question de savoir qui va assurer la coordination sur le terrain, a interrogé Catherine de Lafarge. Elle a, en outre, soulevé quelques « points de vigilance », soulignant en particulier le déficit d’information et de visibilité de la nomenclature Serafin et, plus globalement, de la réforme dans son ensemble. « Il est important d’intégrer la famille, les aidants notamment, et de faire connaître la réforme pour qu’ils se l’approprient. Il faut également dire que l’on s’inscrit dans une continuité, et non pas dans une rupture. Les familles doivent pouvoir être des acteurs auprès des personnes accompagnées et leur donner une place effective me paraît être une priorité. » La présidente des Papillons blancs des Rives de Seine a également évoqué la question de l’accessibilité des documents sur Serafin aux personnes handicapées elles-mêmes, en suggérant de les traduire en langage facile à lire et à comprendre. Enfin, « comment va-t-on tenir compte, dans les coûts, de la spécificité des territoires, notamment de l’Ile-de-France (foncier, transports…) ?, relève-t-elle. Et quelle sera la place des conseils départementaux dans cette démarche ? On a vu que les MDPH étaient parties prenantes, mais quelle va être la discussion avec les départements, notamment l’articulation avec les CPOM et les EPRD [états des prévisions de recettes et de dépenses] ?Quelle formation à cette réforme est prévue à destination des agents ? » Autant de questions qui ne sont pas encore tranchées, à l’image de celle, primordiale, des moyens donnés à cette réforme pour qu’elle soit à la hauteur des enjeux, a signalé Catherine de Lafarge.