Dans son avis « pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles », rendu public le 5 octobre, assorti d’une douzaine de recommandations à destination des pouvoirs publics, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) fait état de « statistiques alarmantes qui indiquent une grande tolérance sociale » à l’égard de ces violences, loin d’être marginales(1). En effet, si « la mesure statistique du viol et de sa répression est encore, en 2016 en France, une entreprise délicate », ce sont au moins 84 000 femmes de 18 à 75 ans (et 14 000 hommes) qui seraient victimes de viol ou de tentative de viol chaque année, selon une estimation de l’INSEE pour la période 2010-2015.
Pourtant, la majorité de ces violences restent cachées et tues, en raison notamment des « nombreux stéréotypes sexistes » qui les entourent. « Les femmes sont encore largement considérées comme responsables des violences sexuelles qu’elles subissent », souligne ainsi le HCEFH, et « c’est ainsi que très peu de femmes révélant des violences sexuelles sont entendues, et qu’une très faible minorité d’entre elles entame une démarche judiciaire ». Si l’on s’en tient aux faits connus des forces de sécurité, 10 461 plaintes déposées ou faits constatés entre novembre 2014 et octobre 2015 concernent un viol sur une femme, que la victime soit mineure ou majeure (et 1 655 plaintes ou faits sur un homme). Mais seulement 765 hommes ont été condamnés en 2014 pour viol sur personne de plus de 15 ans, et 304 sur personne de moins de 15 ans, pour six femmes condamnées pour viol sur personne de plus de 15 ans.
Pourtant, « dans 90 % des cas, les agressions commises contre des femmes sont perpétrées par une personne connue de la victime », insiste le Haut Conseil, mais plus de la moitié (51 %) des femmes victimes « ne font aucune démarche, ni auprès des forces de police et gendarmerie, ni auprès de médecins, psychiatres et psychologues, ni auprès des services sociaux, associations ou numéros d’appel ». Elles le paient au prix fort, avec de lourdes conséquences physiques et/ou psychiques, qui peuvent « avoir des répercussions sur l’ensemble du parcours de vie de la victime ».
Pour en finir avec cet état de fait, la commission « Violences de genre » du HCEFH s’est autosaisie pour « travailler à une meilleure prise en compte de ce type de violences à différents niveaux ». Cinq axes d’action ont été retenus : la sensibilisation de la société, la formation des professionnels, l’accueil, la protection et l’accompagnement des victimes, la définition de l’incrimination du viol dans le code pénal et l’éducation et la protection des jeunes.
Pour lutter contre la « culture du viol » qui imprègne notamment la publicité ou le traitement médiatique de ces violences, et qui induit une « présomption de responsabilité des victimes », voire une « empathie avec les auteurs », il est nécessaire que l’Etat lance une campagne nationale de sensibilisation dirigée contre le viol, de plus grande ampleur que celles menées par des associations.
Pour ce qui est de la formation des professionnels, déjà prévue par l’article 51 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes(2), elle doit aussi intégrer « un focus spécialisé sur le viol et autres agressions sexuelles, en particulier à l’encontre des femmes handicapées ou femmes migrantes ». Il faut aussi, selon l’avis, « actionner le levier des diplômes et examens pour s’assurer de l’effectivité » des formations.
Concernant l’accueil, la protection et l’accompagnement des victimes, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconise de leur permettre l’accès direct et en urgence aux unités médico-judiciaires même sans dépôt de plainte préalable, de prendre en charge à 100 % par l’assurance maladie les soins aux victimes, même majeures, y compris ceux « dispensés par des psychologues et psychiatres formés et spécialisés aux conséquences psycho-traumatiques des violences de genre ». Il faudrait, enfin, renforcer l’accès au droit à l’indemnisation des victimes, grâce à une meilleure information et à la formation des professionnels de la justice.
A propos du traitement judiciaire, alors que « la France s’est dotée d’un important arsenal législatif » depuis 1980, la jurisprudence montre que les éléments constitutifs de la qualification des agressions sexuelles et du viol – la violence, la contrainte, la menace ou la surprise – « font l’objet d’interprétations fluctuantes, ce qui crée une insécurité juridique et un traitement différencié des affaires de viol et d’agressions sexuelles ». Le Haut Conseil propose donc de modifier le code pénal en précisant les circonstances dans lesquelles ces éléments peuvent être retenus. Comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme(3), il recommande – pour s’assurer que le crime de viol ne soit pas disqualifié en agression sexuelle jugée devant le tribunal correctionnel, comme c’est souvent le cas – « qu’une circulaire de politique pénale soit diffusée aux parquets leur demandant de veiller à ce que la qualification criminelle du viol soit retenue et poursuivie devant les cours d’assises ».
Par ailleurs, pour renforcer la protection des mineurs contre le viol et les agressions sexuelles, en particulier contre l’inceste, le HCEFH plaide, notamment, pour instaurer un seuil d’âge de 13 ans en dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur, pour prévoir qu’une atteinte sexuelle commise sur un mineur par une personne ayant autorité parentale est présumée ne pas avoir été consentie et pour allonger les délais de prescription(voir aussi ce numéro, page 20). Sur l’éducation et la protection des jeunes, l’avis recommande, enfin, de rendre effective l’obligation légale d’éducation à la sexualité de l’école au lycée.
(1) Disponible sur
(2) Sur le volet de la loi concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, voir ASH n° 2890 du 2-01-15, p. 31.