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« L’idée selon laquelle les personnes âgées vieilliront plus souvent seules est fausse »

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Avec l’augmentation du nombre de divorces et la diminution de la taille des fratries, les personnes âgées vont-elles se retrouver privées de soutien familial à l’heure de la dépendance ? L’économiste Roméo Fontaine, qui a piloté une étude sur le sujet, estime au contraire que l’entourage familial des personnes dépendantes continuera à assurer son rôle essentiel d’aidant.
Des spécialistes s’inquiètent d’une diminution, dans les années à venir, de l’aide familiale aux personnes âgées dépendantes…

Ils pensent en effet que, à l’avenir, la famille ne pourra plus nécessairement assurer la charge des personnes âgées dépendantes, ce que l’on appelle l’« aide informelle ». D’abord, pour des raisons démographiques. Les structures familiales évoluent, notamment avec des couples plus fragiles, ce qui fait que, dans le futur, on vieillirait plus souvent seul qu’aujourd’hui. Autre évolution : la baisse du nombre d’enfants par ménage. La génération actuelle des aidants est celle du baby-boom, mais les suivantes seront moins nombreuses. Les conjoints et les enfants étant les principaux aidants, il devrait y avoir mécaniquement moins de forces vives pour prendre en charge des personnes dépendantes. Des évolutions d’ordre socio-économique sont également mises en avant : les enfants des personnes âgées travaillent davantage, surtout les filles, et plus longtemps. Ils auraient donc moins de temps à consacrer à leurs parents dépendants. Sans compter l’éloignement géographique d’une partie des fratries.

Qui assure cette aide informelle aux personnes âgées dépendantes ?

En priorité, c’est le conjoint, lorsqu’il est en mesure de le faire. Auquel cas les enfants jouent plutôt le rôle d’aidants secondaires qui viennent le soulager lorsque c’est nécessaire. En revanche, lorsque la personne dépendante vit seule, les enfants assurent le rôle d’aidants principaux. Très souvent, la personne aidée est la mère de famille, qui a aujourd’hui une espérance de vie plus élevée que celle du père. Si la personne n’a ni conjoint ni enfant, d’autres réseaux peuvent s’activer : des frères et sœurs de la personne dépendante, des neveux et nièces, des amis ou des voisins.

Selon vous, on surestime cette baisse annoncée de l’offre d’aide informelle…

Tout d’abord, les évolutions démographiques ne vont pas toutes dans le sens d’une diminution de l’aide mobilisable. En s’appuyant sur les projections des structures familiales sur dix, vingt ou trente ans, nous sommes même en mesure de dire que l’idée selon laquelle les personnes âgées vieilliront plus souvent seules est fausse. En effet, même si le nombre des divorces augmente, cette tendance sera contrebalancée par la diminution de l’écart entre hommes et femmes en termes d’espérance de vie. Les femmes âgées seront veuves plus tard et donc plus souvent en couple lorsqu’elles seront en situation de dépendance. Elles auront plus souvent un conjoint sur qui compter, sous réserve qu’il soit lui-même en état de jouer ce rôle. Cela signifie que les enfants seront partiellement soulagés de la charge de l’aide. Par ailleurs, même s’il y a une diminution du nombre d’enfants par fratrie, cela ne fera pas baisser notablement l’offre d’aide informelle. Il n’existe pas de relation mécanique entre la taille de la fratrie et le temps d’aide informelle mobilisable. En effet, ce qui compte, c’est que la personne dépendante ait au moins un enfant. Or le nombre de couples ayant au moins un enfant est plutôt stable dans le temps. Cet enfant unique va davantage s’impliquer et compenser l’absence de frères et sœurs pour le soutenir. Si le parent a besoin d’aide, que l’on soit seul ou plusieurs, il faut bien faire le nécessaire. D’ailleurs, très souvent, même dans les grandes fratries, l’un des enfants se trouve davantage en charge du parent dépendant. Pendant longtemps, c’était plutôt les filles qui assuraient ce rôle, mais on peut penser qu’il va se produire dans les années à venir un rééquilibrage entre les filles et les garçons.

Vous faites référence à la notion d’« interactions contextuelles »…

C’est l’idée selon laquelle le comportement des aidants change selon le contexte. Les décisions d’aide au sein de la famille sont dépendantes les unes des autres. Cela peut passer par des réunions où l’on s’organise pour voir qui fait quoi, ou par un système moins formel qui va se construire petit à petit. L’implication de l’un ou de l’autre des enfants dans la prise en charge va dépendre de celle de ses frères et sœurs, de leur disponibilité, de leurs caractéristiques… Si ma sœur a un travail exigeant et deux enfants en bas âge, je vais peut-être m’impliquer davantage. Au contraire, si elle est déjà retraitée et qu’elle habite juste à côté de nos vieux parents, je vais être moins présent. Les décisions et les comportements des individus dépendent de l’identité et du comportement des autres individus du groupe.

Quels sont les autres facteurs à prendre en compte ?

Il est évident que l’éloignement géographique des enfants a un impact sur l’aide qu’ils peuvent apporter à leurs parents. Bien sûr, ils peuvent s’impliquer à distance, ne serait-ce que pour les aspects administratifs et financiers de la prise en charge. Mais malgré tout une présence quotidienne nécessite une proximité géographique. Là aussi, des phénomènes de compensation, même partiels, devraient jouer. Les plus proches des parents s’impliqueront davantage. En revanche, le niveau de revenus ou la catégorie socioprofessionnelle des parents ne jouent qu’un faible rôle sur l’aide informelle. On sait que les normes de prise en charge ne sont pas identiques selon les milieux sociaux, même s’il est difficile d’en tirer des conséquences en ce qui concerne l’aide effectivement apportée. L’impact porte surtout sur le recours à l’aide professionnelle, qui a un coût financier.

Les enfants continueront-ils à s’impliquer autant qu’aujourd’hui pour leur parent ?

Nous allons continuer à travailler sur cette question en menant une enquête tous les deux ans afin d’évaluer les opinions et les préférences des individus dans ce domaine. Des questions se posent notamment sur cette fameuse génération du baby-boom. Quel sera son comportement lorsqu’elle sera en âge d’être elle-même dépendante ? Acceptera-t-elle de faire reposer sa prise en charge sur ses enfants ou sur le conjoint ? Bien sûr, lorsqu’on est en situation de dépendance, on n’a pas nécessairement toujours le choix, mais actuellement, nous n’avons pas la réponse à ces questions.

Quelles conclusions les responsables peuvent-ils tirer de vos travaux, notamment au sein des conseils départementaux ?

Si l’on veut projeter ce que sera l’aide informelle demain, en particulier la charge qu’elle représentera pour les enfants (c’est-à-dire la population des 50-60 ans), la question centrale reste celle de l’état de santé des couples de personnes âgées. C’est un élément déterminant, sur lequel nous n’avons, pour le moment, que peu de visibilité. On peut néanmoins penser qu’il va falloir compter sur une augmentation du nombre de couples dépendants. J’imagine que cela posera des questions assez importantes en termes d’offre de prise en charge. Il faudra sans doute trouver des solutions intermédiaires entre l’aide à domicile et l’accueil en institution. Par ailleurs, dans la mesure où les enfants seront vraisemblablement moins nombreux, le coût sera pour eux plus élevé qu’aujourd’hui en termes de qualité de vie et même de santé. Ils devront supporter une charge plus conséquente. Il faudra donc se soucier de les soutenir en mettant en place des politiques d’aide, car ils représentent une ressource précieuse dont il faut assurer la pérennité. L’aide aux aidants représente, de ce point de vue, un enjeu essentiel.

Les services professionnalisés ne pourront-ils pas prendre le relais ?

Evidemment, la question se pose. Mais cela ne sera possible que si les gens ont les moyens de recourir à de tels services, ce qui est loin d’être le cas pour tous. Sachant que, du côté des pouvoirs publics, dans un contexte de ressources très contraintes, on imagine mal une augmentation très importante des budgets consacrés à la prise en charge de la dépendance. Il faut savoir que 3,65 millions de personnes de plus de 60 ans reçoivent une aide familiale en raison d’un problème de santé ou d’un handicap. Plus la personne est dépendante et plus elle a recours à l’aide professionnelle, mais celle-ci est toujours complétée par une aide informelle. D’après les données de l’enquête « handicap-santé » de l’INSEE, une personne dépendante sur deux bénéficie d’une aide professionnelle, mais le temps moyen de cette aide est de trente-cinq minutes, contre une heure et quarante-cinq minutes pour l’aide informelle dispensée par les aidants.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Chercheur en sciences économiques, Roméo Fontaine est maître de conférences à l’université de Bourgogne (Laboratoire d’économie de Dijon) et chercheur associé à la fondation Médéric-Alzheimer. Il a piloté l’étude « Vers une diminution programmée de l’aide familiale aux personnes âgées en perte d’autonomie ? », que la Fondation Médéric-Alzheimer publiera le 6 octobre.

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