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« Radicalisation et déradicalisation »

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Julien Damon. Professeur associé à Sciences-Po.

L’action sociale et, plus largement, la protection sociale sont convoquées afin de participer à la prévention et au traitement de la radicalisation. Pour saisir ce phénomène, une voie consiste à passer par les sciences sociales rigoureuses. Si la sociologie a été décriée, au plus haut niveau de l’Etat, pour verser dans la « culture de l’excuse » (c’est-à-dire dans l’explication principale par le social), une partie de la sociologie mérite bien le détour. Et c’est bien de détour qu’il s’agit. Plutôt que d’entrer directement dans les tragiques événements récents, le sociologue Gérald Bronner (La pensée extrême, éd. PUF, 2015) passe par l’analyse d’un phénomène idéologique plus large que le terrorisme islamiste. Spécialiste des questions de croyance, de crédulité et d’automatisme de notre cerveau, il traite méthodiquement de ce qu’il baptise la « pensée extrême ». Avec toute la méticulosité et la prudence attendues d’un chercheur, il étudie un ensemble de pensées radicales (celles de la secte japonaise Aum, de la Scientologie ou d’Al-Qaïda) qui aboutissent, comme en témoigne le sous-titre de son ouvrage, à ce que « des hommes ordinaires deviennent des fanatiques ». Et c’est bien ce qu’il importe de comprendre pour saisir, certes avec effroi mais aussi de manière dépassionnée, ce qui se passe dans les cerveaux de ceux qui préparent et perpètrent des attentats. Bronner veut saisir les raisons qui conduisent à la radicalisation puis à l’explosion de violence. L’ambition est la compréhension, non pour justifier ni pour disculper, mais pour être capable d’expliquer, pour agir et même prévoir. Le renversement de perspective pourra sembler proprement sidérant quand on évoque la folie, l’irrationalité, la perversion du geste extrême. En effet, les individus et groupes qu’ils composent, investis dans ces pensées extrêmes, sont loin d’être des monstres d’irrationalité, mais des êtres extrêmement logiques. Plutôt que d’invoquer une crise multiforme (sans que l’on sache bien de quoi il s’agit) ou des environnements sociaux défavorisés ou discriminés des individus étant passés à l’acte, le projet de Bronner vise à repérer certains invariants de la pensée (dont l’adhésion aux croyances) en les rapprochant de variables sociales.

Ni déterminisme social ni trouble psychiatrique ne sauraient valablement tout expliquer. Il faut, au contraire, traiter des raisons individuelles qui conduisent progressivement à devenir déraisonnable. La radicalisation n’est pas une « éclipse morale totale », mais une conversion.

La métaphore classique de la grenouille ébouillantée est une bonne manière pour comprendre le caractère incrémental, progressif, de la radicalisation. Une grenouille plongée immédiatement dans un bain bouillant s’en extrait en bondissant. En revanche, plongée dans un bain agréable mais dont la température augmente graduellement, elle finit morte ébouillantée. Eh bien il en va de même, non pas systématiquement, mais dans bien des cas d’adhésion à des thèses que l’individu lambda, non confronté à ce bain idéologique (pour filer la métaphore), trouverait immédiatement insupportable mais dont il peut, peu à peu, s’accommoder. Et ce, jusqu’à les trouver parfaitement valables et justifiées. Bien entendu, toutes les personnalités plongées dans le même bain (toujours pour rappeler la grenouille) n’en viendront pas à la conversion radicale. Le problème se nourrit aussi de déracinement, de frustration, de désir de notoriété.

Deux mauvaises nouvelles. Tout d’abord, cette pensée extrême se diffuse toujours plus largement, notamment par la puissance d’Internet, où toute croyance sensationnelle peut être relayée et amplifiée, où tout recrutement pour les causes radicales est facilité par l’immédiateté et l’image. Ensuite, si l’on a du mal à saisir comment on devient extrémiste, on sait encore plus mal comment en faire revenir ceux qui ont basculé. Il n’existe pas, malgré toutes les bonnes volontés du monde, d’ingénierie de la déradicalisation non plus que de kit pour déradicaliser. C’est assurément par des efforts accrus de scientificité, de rigueur et de vérité que doit, aussi, passer le combat contre l’extrémisme menaçant. La rigueur de la vérité contre l’obscurantisme idéologique. Facile à affirmer, difficile cependant à faire vivre.

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