Mélanie est heureuse, elle va bientôt rejoindre son prince. Il l’attend à Raqqa, en Syrie. L’adolescente de Créteil a été embrigadée. Il n’a fallu que quelques semaines pour que la lycéenne sans histoire, en deuil de sa grand-mère, soit séduite puis « reprogrammée » par Daesh. Tout a commencé par un contact sur Facebook, puis des vidéos sur les théories du complot. Mélanie a ensuite fait le vide autour d’elle, s’est mise à faire la prière, à porter le jilbab, avant d’aller jusqu’à accepter un mariage par Skype.
Par un processus similaire, Sonia a décidé de commettre un attentat. Ne sauvera-t-elle pas 70 vies en mourant en martyre ? Mais Sonia, 17 ans, n’est pas passée à l’acte. Ses parents ont pu l’en empêcher. Et commence pour elle le lent processus de déradicalisation. Sous contrôle éducatif et policier, elle doit rester cloîtrée chez elle sous la surveillance de ses proches. Dans Le ciel attendra, les deux histoires se mêlent.
En se lançant, dès la fin de 2015, dans le tournage d’une fiction qui explore l’intimité de deux jeunes filles ayant basculé dans le fanatisme ou en passe de le faire, Marie-Castille Mention-Schaar prenait des risques, et n’avait pas le droit à un film moyen. Son œuvre est d’une rare maîtrise, où tout sonne juste – les dialogues, le montage, le casting, les choix musicaux, le suspense. Par ailleurs, la participation – comme conseillère mais aussi comme comédienne dans son propre rôle – de Dounia Bouzar, anthropologue spécialiste du fait religieux, donne au film une légitimité. Afin d’affiner son scénario, Marie-Castille Mention-Schaar a ainsi longuement suivi l’équipe du CPDSI (centre de prévention, de déradicalisation et de suivi individuel) que dirige Dounia Bouzar. « Mon film est une fiction, mais tous les personnages de parents et d’adolescentes sont le reflet de ceux que j’ai rencontrés, que j’ai écoutés, explique la réalisatrice. J’ai aussi regardé des heures de vidéos de propagande. Certaines d’une violence absolue, insoutenable. Elles étaient nécessaires pour que je comprenne la force de l’emprise que les rabatteurs avaient sur les adolescentes. » La cinéaste a également travaillé avec une jeune fille partie rejoindre Daesh et qui a pu revenir. Celle-ci l’a aidée sur des détails centraux, allant du vocabulaire utilisé dans les conversations de séduction puis d’intimidation aux vêtements et tenues appropriées lorsqu’on est dans la dissimulation ou dans la radicalisation(1).
(1) Sur le sujet, voir aussi dans ce numéro le « Point de vue » de Julien Damon, p. 40.
Le ciel attendra
Marie-Castille Mention-Schaar – Avec Sandrine Bonnaire et Clotilde Courau – 1 h 40 – En salles le 5 octobre