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Adolescents rom privés d’école : les mécanismes d’exclusion passés à la loupe

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Dans une étude rendue publique le 27 septembre(1), le Collectif pour le droit des enfants rom à l’éducation (CDERE), composé d’une trentaine d’associations et de syndicats(2), explore les réalités de l’accès à la scolarisation des adolescents vivant en bidonvilles et en squats. Des jeunes majoritairement originaires de Roumanie ou de Bulgarie, « qui se reconnaissent souvent comme Roms ou désignés comme tels ». Certains ont été scolarisés dans leur pays d’origine ou dans un autre. Souvent, ces jeunes résident en France depuis de nombreuses années, sans avoir jamais été à l’école. Si ces enfants vulnérables ont des parcours différents, leur expérience commune est celle de « l’exclusion du système scolaire, de la stigmatisation et de la précarité socio-économique », rappelle le collectif. De fait, sur les 161 jeunes de 12 à 18 ans issus de 34 bidonvilles interrogés entre novembre 2015 et juillet 2016, plus de la moitié (53 %) n’allait pas à l’école, avec de fortes disparités entre les territoires et les lieux de vie. Et le taux de déscolarisation observé atteint 67 % en tenant compte des enfants « non assidus ». Une situation contraire aux droits fondamentaux des enfants, aux obligations légales, mais peu traitée par la statistique et négligée par les pouvoirs publics, souligne le collectif.

Dans son étude, le CDERE a permis de mettre en lumière une différence entre le taux de déscolarisation des filles et celui des garçons : à 12-13 ans, 28 % des garçons sont déscolarisés, contre 50 % chez les filles. Pour les deux sexes, le taux de non-scolarisation est à son plus haut niveau entre 16 et 18 ans (96 %). Peu évoquées, la situation familiale de ces adolescents et l’injonction à l’autonomie financière qui en découle ont un effet sur leur parcours : parmi les 47 jeunes de 16 à 18 ans ayant participé à l’enquête, 12 ont des enfants, 19 se déclarent en couple. « Le mariage est pour certaines familles une préoccupation centrale car c’est une étape grâce à laquelle on obtient un statut social », relève le collectif, considérant que la scolarisation de tous les enfants vivant en bidonville est aussi un enjeu de réduction des inégalités entre les filles et les garçons. Au-delà, une grande proportion des adolescents de cette tranche d’âge exprime leur désir de travailler. Or « l’insertion professionnelle, qui pourrait être une véritable option, reste difficilement envisageable pour une grande partie d’entre elles et eux en raison de la non-maîtrise de la langue, des exigences d’assiduité ou encore des discriminations et du non-accès aux structures chargées de répondre à ces besoins (par exemple les missions locales) ».

Retards d’affectation

Dans quelles conditions les jeunes sont-ils scolarisés ? Sur les 75 déclarant aller à l’école, une grande partie (41) va en classe UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), avec un fort décalage entre le niveau scolaire attendu selon l’âge et la classe suivie. A l’encontre des idées reçues, 71 % de ceux qui sont scolarisés se montrent assidus et déclarent aller en cours tous les jours. Si le temps de transport paraît raisonnable pour certains (il est de moins de 30 minutes pour une petite moitié, compris entre 30 minutes et une heure pour l’autre et de plus d’une heure pour 4 %), « il ne nous renseigne pas sur l’accessibilité réelle (marcher dans la boue ou le long d’une route par exemple) ». Une grande partie des jeunes scolarisés (77 %) va à la cantine, mais seulement 16 % participent à des activités extrascolaires.

L’étude confirme que les expulsions sont les principaux freins à la scolarisation. Sur les 34 lieux enquêtés, dix au moins ont été évacués depuis décembre 2015. Les conditions de vie dans les campements constituent d’autres sources d’exclusion : « Ne pas pouvoir être propre et s’habiller est un frein majeur à la scolarité. Les normes vestimentaires sont des marqueurs sociaux importants à l’adolescence qui renvoient à une mise en conformité scolaire. » Sans compter la répercussion des conditions de vie sur la santé et les facultés de concentration des enfants, l’isolement géographique des lieux de vie et le coût global de la scolarisation. A l’instar de l’étude de l’association Trajectoires sur les parcours d’insertion des migrants ayant vécu en bidonville(3), l’étude évoque une période « grise » entre l’arrivée des familles et leurs premiers contacts avec les institutions ou les associations. Les jeunes interrogés sont donc « restés entre un à deux ans sans aucune possibilité de scolarisation », note l’étude. Elle insiste sur l’importance de l’action associative, relatant le parcours de deux garçons : « Pour Ion et Alexandru, l’arrivée de l’ASET 93 et des camions-écoles a modifié leur situation. Pendant deux mois, cette association a fait la transition avant l’entrée au collège pour “apprendre à lire et écrire en français”. Cet apprentissage s’est poursuivi au sein des classes UPE2A qu’ils ont intégrées grâce au travail du médiateur scolaire de l’association. »

Le collectif dévoile aussi les obstacles administratifs rencontrés pour l’entrée au collège ou au lycée. Le passage en centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav), notamment, « se révèle plus compliqué pour des familles qui ne connaissent pas ces institutions et implique souvent des délais très longs avant l’affectation dans une classe ». Selon l’étude, « les bénévoles témoignent parfois d’une attente de plus de un an (Val-de-Marne) quand d’autres notent des attentes minimales de deux mois ». Sur les 85 jeunes non scolarisés ayant participé à l’étude, 30 ne connaissaient pas les Casnav. « On voit dès lors un besoin urgent d’identification de ces jeunes par ces institutions censées leur permettre une ouverture vers l’école. » En outre, « la répartition des classes UPE2A est très inégale sur le territoire et les classes pouvant accueillir les jeunes qui ne maîtrisent pas la lecture sont trop peu nombreuses ».

Rendre l’école plus inclusive

Le collectif s’est également attaché à interroger les jeunes sur leur vision de l’école, afin d’identifier les « éléments de blocage et les leviers d’action qui permettraient de [la] rendre plus inclusive ». Si les jeunes interrogés portent globalement un regard positif sur les études – 57 % répondent souhaiter « continuer ou aller à l’école » –, la scolarité est aussi un moment « où se vivent les discriminations, où les jeunes prennent conscience de l’appartenance qu’on leur impute à un certain groupe, à certains stéréotypes. Cela peut venir des autres élèves comme des équipes pédagogiques. » Elle peut aussi être vécue comme une « option incompatible avec des projets professionnels ou familiaux ».

Tous ces blocages « ont des ressorts différents mais, mis bout à bout, ils forment un système excluant les enfants et les jeunes » vivant dans les bidonvilles et les squats, conclut l’étude. Certains freins relèvent de l’administration, d’autres de conditions de vie ou des discriminations subies. En tout état de cause, les acteurs sont unanimes pour « préconiser en premier lieu une scolarisation effective dès la maternelle des enfants vivant en bidonvilles et en squats ». Parmi ses recommandations, le collectif demande donc que les maires remplissent leurs obligations de dresser la liste des enfants soumis à l’obligation scolaire sur leur commune, en y incluant ceux qui vivent dans les squats et bidonvilles, et qu’ils s’adressent aux personnes ne présentant pas spontanément une inscription. L’Etat doit par ailleurs « mettre à disposition des crédits d’étude pour que la connaissance de la situation de ces jeunes soit affinée et appréhendée dans sa globalité et sa complexité afin que des actions soient proposées ». Le CDERE préconise également de s’assurer de la continuité de la scolarité, notamment en organisant la communication entre les Casnav en cas d’expulsion, et de réduire les délais d’affectation. Autre piste : créer des dispositifs d’accueil des enfants allophones et nouvellement arrivés en nombre suffisant et répartis de manière équitable sur le territoire, et renforcer, sur le plan des moyens et de la durée de l’enseignement, l’accompagnement des élèves. L’étude cite en exemple le Casnav de l’académie de Lille, qui a sollicité des intervenants roumanophones venant en appui des enseignants d’UPE2A dans quatre collèges, pour prévenir le décrochage scolaire. Par ailleurs, « la lutte contre les discriminations au sein des établissements doit faire l’objet d’un véritable projet ». Le collectif demande également de renforcer les dispositifs de soutien scolaire et d’encourager la participation aux loisirs : « Les partenariats avec les structures d’éducation populaire et les maires qui offrent ces services doivent pouvoir se développer. »

Au-delà, le CDERE rappelle les pouvoirs publics à leurs responsabilités – en matière de relogement, d’accès à l’eau, à l’électricité et de ramassage d’ordures, de domiciliation, de santé des enfants… La sensibilisation des familles, comme le dispositif Ouvrir l’école aux parents, ou bien l’accessibilité des modes de garde, devraient contribuer à lever certains obstacles liés à l’environnement familial des jeunes, préconise-t-il encore. Evoquant un partenariat entre l’association Roms Action et le Mouvement pour le planning familial à Grenoble, ou le projet Romcivic des Enfants du Canal, il invite à porter une attention particulière aux jeunes de plus de 15 ans. Enfin, il plaide pour la coordination des acteurs concernés par la question de la scolarisation et de l’adolescence. Là encore, des initiatives existent et méritent d’être développées et soutenues, comme le projet « Connexions », à Montpellier, qui réunit les services de l’Education nationale, la mairie, les services déconcentrés de l’Etat, la CAF, le conseil départemental et les associations. Autant de recommandations saluées par Unicef France, pour qui « les éléments et données chiffrées présentés dans cette étude doivent permettre de prendre conscience d’une réalité indigne de la France, dans le but de faire émerger des solutions coconstruites avec les acteurs locaux et nationaux ». Selon Unicef France, près de 9 000 enfants et adolescents vivaient en 2015 dans des bidonvilles sur le territoire métropolitain.

Notes

(1) « Ados en bidonvilles et en squats – L’école impossible ? » – Disponible sur www.romeurope.org.

(2) Dont plusieurs associations et collectifs locaux et ATD quart monde, DEI-France, le GISTI, Hors la rue, Intermèdes Robinson, la LDH, Romeurope, RESF, le Secours catholique, le SNPI-FSU, le SNUIPP-FSU, SUD Education…

(3) Voir ASH n° 2954 du 1-04-16, p. 16.

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