Si Internet facilite l’accès aux droits, il ne le fait pas pour tous et la fracture numérique éloigne encore davantage un public vulnérable de son accès à l’information. C’est ce qui ressort d’une « enquête mystère » réalisée par l’Institut national de la consommation et le défenseur des droits auprès de la caisse nationale des allocations familiales, de Pôle emploi et de la caisse nationale de l’assurance maladie, qui visait à évaluer la qualité des services téléphoniques de ces trois grands organismes… et qui a mis en évidence un renvoi un peu trop systématique des appelants vers Internet(1).
L’objectif était, dans un contexte de dématérialisation progressive des services publics, d’étudier l’effectivité de l’accès aux droits assuré par ces plates-formes téléphoniques, a expliqué Jacques Toubon le 27 septembre dans un communiqué. Car, « si l’usage du numérique est désormais incontournable et facilite la vie de millions d’usagers, cette avancée interroge néanmoins le principe d’égalité d’accès aux services publics, en particulier pour les publics “moins connectés” qui représentent une partie non négligeable de la population ». Selon une étude du Crédoc, en effet, 16 % des Français n’ont pas Internet chez eux et 21 % des personnes qui l’ont ne se sentent pas à l’aise pour l’utiliser. Pour le défenseur des droits, la place et le rôle de l’accueil téléphonique – mode classique de relation avec les services publics – s’en trouvent en conséquence renouvelés et devaient être interrogés. D’où l’idée d’une enquête mystère auprès de ces plates-formes téléphoniques.
Plus de 1 400 appels ont ainsi été passés entre mars et avril 2016 sur tout le territoire, pour des demandes de renseignement sur une prestation spécifique – l’allocation de logement sociale (ALS), l’allocation de chômage et l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) – et suivant quatre différents profils d’usagers (une personne malentendante, une personne avec un accent étranger, une autre ne disposant pas d’Internet et un « usager lambda »).
Pour l’assurance maladie, seul un tiers des testeurs a obtenu des informations sur les démarches à effectuer, les conseillers renvoyant la moitié des appels vers Internet. A la question « Ai-je droit à l’ACS ? », la personne avec un accent étranger a été aiguillée vers Internet dans plus de la moitié des cas et n’a pas eu l’information sur le plafond de ressources à ne pas dépasser pour bénéficier de la prestation. Le profil malentendant a, en revanche, bénéficié d’une attention particulière, dans près de deux tiers des cas.
Concernant Pôle emploi, 40 % des conseillers de la plate-forme téléphonique ont fourni des réponses succinctes et 36 % d’entre eux ont renvoyé directement vers Internet lorsqu’il s’agissait de connaître les démarches à effectuer pour bénéficier de l’allocation de chômage.
Enfin, s’agissant des caisses d’allocations familiales, les conditions d’obtention d’une ALS ont rarement été précisées, les appelants étant le plus souvent directement redirigés vers le simulateur en ligne. Un appelant sur cinq a obtenu une réponse précise sur les démarches à effectuer, en particulier pour les profils « usager lambda » et « malentendant ». Les personnes avec un accent étranger ont, quant à elles, été renvoyées vers Internet plus d’une fois sur deux contre 39 % en moyenne.
En résumé, quel que soit le service concerné, les grandes tendances qui se dégagent de l’enquête sont les suivantes :
→ les conseillers indiquent très rarement si l’appelant a droit ou non à la prestation demandée (absence d’estimation justifiée par les trois organismes par la complexité des situations personnelles et le risque d’induire l’intéressé en erreur) ;
→ le profil « étranger » est plus fréquemment redirigé vers Internet que les autres profils, peut-être par anticipation de difficultés de communication et de risques d’interprétation erronée pour l’appelant sur ses droits (c’est une hypothèse du défenseur des droits) ;
→ le niveau des informations délivrées par téléphone reste peu développé et n’apporte pas une aide réelle à l’usager ;
→ pour l’ensemble des appels réalisés, la question de la possibilité d’un accès à Internet à leur domicile a rarement été posée aux appelants. Et lorsqu’il leur a été conseillé de se rendre dans un lieu d’accueil physique, ils ne se sont pas vu préciser sa localisation ou ses horaires d’ouverture (qu’il faudra donc sans doute trouver sur Internet).
Pour Jacques Toubon, de tels résultats rappellent la nécessité d’offrir des modalités d’informations variées et l’importance de conserver sur l’ensemble du territoire des lieux d’accueil physique. Au-delà, les multiples canaux d’information et de communication doivent être encore davantage articulés pour éviter l’exclusion des populations « moins connectées ».
(1) Enquête disponible sur