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Management transversal

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Depuis 2007, sous l’impulsion de son directeur général, l’ADSEA de Seine-et-Marne a rénové l’organisation de ses 18 établissements, passant d’un fonctionnement vertical et autocentré à un management participatif. Pour ce faire, la direction a donné la parole aux salariés, a restructuré le siège et a créé des passerelles entre les entités.

C’est la première fois de son histoire que l’ADSEA 77 est confrontée à une telle situation : le département de Seine-et-Marne ayant annoncé au début de l’année une baisse des subventions de la prévention spécialisée de 30 %, elle va être dans l’obligation de supprimer 17 postes ! Depuis sa création en 1944, l’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Seine-et-Marne(1), qui regroupe 18 établissements et services dans le champ de la protection de l’enfance, de l’insertion et du handicap, n’avait fait que croître. « Cette annonce crée forcément un trouble dans un organisme de 800 salariés, pointe Jean-Michel Tavan, directeur général, qui voit là un nouveau challenge à relever. Pragmatique, il assure même : « On est en train de traiter le problème stratégiquement et humainement. Nous avons une capacité de dialogue en interne et en externe qui nous permet d’aborder les choses autrement que dans le conflit, la violence ou, pire encore, l’incompréhension. »

La communication, l’écoute de la « base », le dialogue social, il connaît. Depuis qu’il a pris les rênes de l’association en 2007, Jean-Michel Tavan (éducateur de formation) a remis à plat un système de management un peu « daté ». L’histoire commence avec le départ du précédent directeur général – en fonction pendant à peine deux ans, celui-ci avait lui-même succédé à un directeur général resté vingt ans à ce poste – et l’ouverture d’un recrutement, avec une commande associative claire : apporter plus de cohérence globale à l’organisation, ses 18 directions et ses 7 000 usagers. Jean-Michel Tavan est alors directeur général adjoint. Titulaire d’une maîtrise de sciences de l’éducation, d’un DESS de management territorial et d’un DEA de communication, il a fait tout son parcours professionnel au sein de l’ADSEA 77, dans l’insertion, l’hébergement ou le milieu ouvert, restant entre trois et cinq ans dans chacune des structures – « J’étais un peu le cadre tournant de l’association »,sourit-il. Sa candidature, qui met l’accent sur la transversalité, avec la mise en place de pôles de réflexion thématiques, est retenue.

Créer une dynamique entre les salariés

A l’époque, l’ampleur de la tâche est importante : les directeurs de chaque établissement de l’ADSEA 77 managent à leur façon, en toute indépendance. Jean-Michel Tavan, qui se dit « du dedans, mais pas prisonnier de l’histoire », a pour ambition de créer de la synergie et de briser les strates et les barrières institutionnelles verticales ou horizontales. Première étape : donner la parole aux salariés, à commencer par les 70 chefs de service. « Nous leur avons proposé de se réunir en pôle et de se retrouver quatre fois par an, par petits groupes de 12, pour faire émerger des orientations, produire des comptes rendus, créer une vraie dynamique d’expertise sur des thèmes comme la place de l’usager, la démarche qualité, la mise en place de la loi 2002.2, etc. », explique le directeur général, persuadé que ce cadre méthodologique ferait se dégager « des gens de qualité ».

Il décline ce principe à toutes les autres catégories de professionnels – du personnel administratif aux maîtresses de maison. Ce modèle, Jean-Michel Tavan savait qu’il payait puisqu’il l’avait expérimenté entre 2000 et 2005, lorsqu’il dirigeait le service social de prévention, composé de quatre antennes réparties sur le département et qu’il était parvenu à faire travailler ensemble. Non sans mal : « Cela a été compliqué car le clivage et la fermeture étaient bien imprégnés. Mais ce qui a pris cinq ans a fini par porter ses fruits », se souvient-il.

Aujourd’hui, Xavier Janicaud, directeur de la CEPS (coordination des équipes de prévention spécialisée), analyse : « Jean-Michel Tavan a fait le choix de mettre nos équipes dans une posture très participative afin qu’elles se retrouvent coprodutrices du système managérial. Mais il ne suffisait pas de décréter la transversalité, il fallait mettre les gens au travail concrètement. Faire faire les choses par les personnes concernées plutôt qu’elles soient des auditeurs passifs, c’est vraiment positif, cela a apporté de la fluidité dans les modes opératoires. »

Pour Pascal Le Rest, conseiller technique au sein des équipes de la CEPS, la première vertu de ces pôles d’expertise, « a été de se rencontrer, de s’éloigner du modèle de verticalité qui générait des attitudes de mise à distance des établissements et services relevant d’un autre champ de compétence. Jusque-là, on faisait partie d’une même association mais on avait très peu de liens. » Concrètement, explique Marie-José Laurent, chef de service d’une des équipes de la CEPS, « connaître les autres chefs de service de l’ADSEA 77 permet d’améliorer l’accompagnement éducatif. Il y a des jeunes qui sont passés par plusieurs de nos structures et, à présent, on se passe un coup de fil, on se transmet des documents, des fiches de liaison et on sait ce que le jeune a vécu lorsqu’il était suivi ailleurs. Aujourd’hui, c’est devenu une nécessité de travailler de façon plus maillée. »(2)

Une évolution qui a engendré des départs

Le pôle Hébergement ado Sud apporte la preuve que ce fonctionnement permet de faire bouger les lignes. Evelyne Delbauve, sa directrice : « Quand j’ai pris ma fonction il y a deux ans, j’ai souhaité que l’on mène une réflexion transversale sur l’accueil des jeunes majeurs. Les équipes des appartements du foyer d’accueil et d’orientation et ceux du DAIS [dispositif d’accompagnement et d’intervention sociale] ont travaillé sur ce thème chacune de leur côté, puis se sont réunies. Je suis intervenue ponctuellement à certaines phases de cette réflexion. Au bout de quelques mois très productifs, nous avons décidé – avec l’accord du directeur général – d’ouvrir un nouveau pôle ados-jeunes majeurs, soit trois niveaux d’accompagnement au lieu de deux. » Ces trois équipes ont désormais à la fois des temps de réunions individuelles et, une fois par mois, une réunion commune « pour la cohésion et la cohérence des accompagnements ». A cela se sont ajoutées des compétences nouvelles, grâce au recrutement de personnels travaillant en transversal : une nouvelle technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF), une chargée de mission et un demi-poste supplémentaire d’infirmière.

« Le modèle de fonctionnement antérieur – avec une direction générale qui était plutôt dans la coordination et la validation sans être une instance de management à proprement parler, avait sa pertinence, et l’ADSEA 77 était en pointe sur beaucoup d’autres registres. Mais c’est un cycle qui s’est terminé et un autre qui en est à son commencement », souligne Jean-Michel Tavan. Reste que, lors de sa mise en place, ce nouveau management participatif et évolutif n’a pas plu à tout le monde et a engendré « pas mal » de départs – notamment ceux de cadres qui se sentaient dépossédés de leurs responsabilités. « Cela s’est toutefois relativement bien passé, car cela a été concomitant avec le papy-boom et des départs en retraite. Il n’y a eu que quelques confrontations individuelles et un licenciement. Puis une nouvelle génération est arrivée, qui était sur les starting-blocks ! »

Directrice adjointe du DAIS, l’une des structures du pôle d’hébergement pour les adolescents, Anita Tardé a intégré l’ADSEA 77 il y a dix-huit mois, attirée par ce type de management. « J’ai fait le choix de venir ici parce que je savais que les structures n’étaient pas autocentrées. Depuis vingt ans, je suis passée dans diverses associations du champ de la protection de l’enfance, avec des fonctionnements très verticaux, archaïques, et j’en ai vu les effets négatifs. Après avoir effectué ma période d’essai à l’ADSEA 77, j’ai souhaité y rester en raison de cette dynamique, d’un mouvement en avant, des réflexions constantes qui sont proposées. Tous ces projets vont dans l’intérêt de l’usager. »

Les administrateurs sur le terrain

Après plusieurs années de fonctionnement, les pôles thématiques ont évolué en « espaces recherche développement » moins formels : « Des groupes se créent avec des personnes intéressées, à l’initiative de la direction générale ou non », précise Jean-Michel Tavan.

Il en est ainsi au sein même du conseil d’administration. Dans le rapport annuel associatif de 2015, Yves Le Gal, président de l’ADSEA 77, expliquait : « En matière de production de “lien social”, notre volontarisme se traduit par une implication accrue des administrateurs. Une implication de terrain qui se concrétise par leur participation à différentes commissions ainsi que par une prise de responsabilité en tant que référents de structure. Cela démontre notre volonté de briser les strates. Dans le cadre d’une commission “valeurs associatives”, ce groupe d’administrateurs va régulièrement à la rencontre des usagers et des acteurs de terrain pour discuter de leur situation et pour entendre leurs questions et leurs suggestions. »

Mais le projet de Jean-Michel Tavan était encore plus vaste. Dès sa prise de fonction, il s’est prononcé en faveur d’une professionnalisation de l’ensemble des salariés. « Avoir de l’expérience, c’est bien. Avoir des compétences, c’est encore mieux », considère ce multidiplômé. dès lors, il exige que tous les directeurs soient rapidement au niveau 1 et les chefs de service au niveau 2 – « ce qui était loin d’être le cas ». Ancien délégué du personnel, il se rapproche également des élus du comité d’entreprise pour bâtir avec eux un plan de formation efficace – individuel et collectif – destiné à tous les niveaux de la hiérarchie. « Il nous a fallu nous organiser pour faire “monter” tout le monde tout en assurant le service. Cela s’est inscrit dans la durée », précise-t-il.

Ces évolutions créent une dynamique de mobilité interne très encouragée au sein de l’ADSEA 77. « A une époque, changer d’établissement était une sanction. Aujourd’hui que tout le monde se connaît, c’est dédramatisé. Que cette mobilité soit volontaire ou subie (il faut parfois forcer le destin), on a des salariés qui se plaisent dans leur nouveau poste », considère le directeur général.

Educateur spécialisé au sein du DAIS et délégué syndical CFDT, Joël Savry en est un exemple : « Tous les quatre ans, j’ai demandé à changer de pavillon, d’équipe et de classe d’âge. En ce moment je suis auprès des grands adolescents. Je suis partisan de la mobilité, car cela m’a permis d’arriver en fin de carrière sans être trop usé. En revanche, mes demandes de mobilité au sein de La Sauvegarde ou pour évoluer n’ont jamais abouti. » Quant à Sophie Bissainthe, éducatrice spécialisée, elle est arrivée au DAIS en 2012, après avoir occupé un poste similaire au pôle handicap de l’ADSEA 77. « Je voulais travailler dans le secteur de l’enfance et une éducatrice du DAIS avait également envie de changer. Nous avons fait un “échange” de poste ! Je suis arrivée en MECS [maison d’enfants à caractère social] et suis passée depuis chez les jeunes majeurs, aux Studios. Je suis ainsi leur évolution et vois la finalité du travail que nous avons engagé auprès des plus jeunes. » Même cas de figure à la CEPS, où deux éducateurs – l’un doté d’une longue expérience et quelque peu lassé par son territoire ; l’autre, une jeune professionnelle n’ayant pas trouvé sa place dans le projet local – ont interverti leurs missions. « Cela a été du gagnant-gagnant, et cela fonctionne vraiment bien », s’enthousiasme Hassane Beraïch, chef de service.

Le regroupement des ressources humaines

Avant d’insuffler ce mouvement dans l’ensemble de ses structures, Jean-Michel Tavan devait s’attaquer à la restructuration du siège de Melun. « Le premier niveau se doit d’être exemplaire. » La réorganisation est passée par l’embauche en 2009 d’une directrice des ressources humaines, Marie-Lise Thomas, pour chapeauter l’important chantier de la formation des salariés. « Auparavant, chaque directeur s’occupait de ses propres ressources humaines, explique la jeune femme. Il manquait de la cohérence. » Ancienne professeure d’économie puis conseillère en mission locale, la professionnelle monte un plateau RH-paie en réunissant autour d’elle les différents services et fait évoluer la politique de recrutement. « Désormais, tous les cadres associatifs – qui étaient auparavant recrutés uniquement par les directeurs d’établissement – passent un deuxième entretien avec le directeur général. »

La même politique de recrutement est appliquée pour le personnel administratif (80 personnes), dont tous les CV passent désormais par le siège. « Depuis que nous avons mis cela en place en 2013, tout a changé, et pour le mieux : le personnel nouvellement embauché connaît la direction générale, sait qu’il y a une direction RH, l’a rencontrée, connaît le service et n’hésite donc pas à l’interpeller quand il le faut. » Marie-Lise Thomas développe en outre des temps d’intégration pour que chacun des nouveaux salariés soit formé sur les différents contrats de travail (pour les RH) ou la récolte des éléments variables de paie (pour le service paie). « Dès leur arrivée, ils viennent au siège une ou deux journées, ce qui signifie que les techniciens et la direction générale apprennent tout de suite à travailler ensemble. »

Jean-Michel Tavan a également choisi de s’adjoindre une directrice financière, Sandrine Poitout. Alors que les différents établissements sont répartis dans ce grand département de Seine-et-Marne, il réfléchit avec elle à une solution qui permette de travailler avec les 20 comptables de l’association (toutes des femmes) avec plus d’efficacité et de proximité – car « le pilotage à distance est compliqué et elles sont très isolées dans leurs établissements ». En attendant la réhabilitation d’une maisonnée pour les accueillir en alternance à Melun, elles s’installent, par groupes de cinq, une journée par semaine dans une grande salle au dernier étage du siège. « Cela nous permet de nous connaître, d’avoir des échanges, de se concerter, et de diffuser l’information beaucoup plus rapidement sur l’ensemble du dispositif, explique l’une des comptables. Elle ajoute : « L’autre avantage est que, lorsqu’on a changé de logiciel, on a pu s’entraider, s’échanger des astuces. Et puis nous pouvons solliciter la chef comptable et la directrice financière, qu’on ne rencontrait auparavant que deux fois par an. Il y a clairement une autre façon de voir la direction générale qu’on ne connaissait pas avant. »

Encore du chemin à parcourir…

La directrice financière précise : « Le fait d’être ensemble a créé un climat plus sympathique. Ce qui ne signifie pas qu’il faille non plus réunir les comptables à Melun tous les jours : nous ne souhaitons pas centraliser davantage, cela risquerait de les déconnecter des réalités de terrain. Il me semble qu’on a trouvé le bon équilibre entre centralisation et périphérie. »

Enfin, alors que le poste de directeur général adjoint était resté vacant pendant près d’une décennie, l’association vient de recruter à ce poste Cyrille Dôme, arrivée au début de l’année. « Elle n’est pas l’ombre portée du directeur général. Elle a une fiche de poste qui est complémentaire à la mienne, essentiellement fondée sur la fonction administrative (qualité, évaluation, habilitation, appel à projets et structure administrative de l’association). Cela me permet de souffler », commente Jean-Michel Tavan. En effet, l’homme admet que son mode de management est « fatigant ». « C’est forcément plus facile de manager à la “schlague”. Ce que j’exige de mes équipes m’oblige à me former, à lire, à réfléchir, car je ne peux pas leur jouer du pipeau. »

Neuf ans après sa prise de fonction, le directeur général juge son bilan « intéressant ». « Sans être l’abbaye de Thélème [une institution parfaite peuplée de gens extraordinaires, imaginée par Rabelais], l’association est mue par la volonté de bien faire, et porteuse d’un certain idéal social. Il y a de bons résultats, mais encore du chemin à parcourir. » A moyen terme va se jouer la continuation de l’histoire. Jean-Michel Tavan partira à la retraite à la fin 2017, et prépare sa suite. « Il y a des règles communes qui dépassent les individus. Je suis donc assez serein, car j’ai structuré les choses avec une dynamique d’équipe. Avoir mis en place cette organisation générale fait qu’aujourd’hui on a un bilan social plutôt bon en termes de stabilité et d’attractivité. » En outre, le directeur précise qu’il n’est pas dans une « dynamique de succession » : « Mon remplacement est l’affaire du président et du conseil d’administration, même si c’est un sujet de discussion bien présent entre nous. » D’ici à son départ, reste notamment à Jean-Michel Tavan à gérer la crise que traverse l’association et à trouver des solutions pour sauvegarder la prévention spécialisée.

Notes

(1) ADSEA 77 : 2 bis, rue Saint-Louis, 77000 Melun – Tél. 01 60 68 38 36 – http://adsea77.fr.

(2) Pour avoir créé ces pôles d’expertise, l’ADSEA 77 a été primée en 2011 par le Trophée Direction(s) dans la catégorie « gouvernance-management d’équipe ». Composé de directeurs, de directeurs généraux et de chargés de mission, le jury avait apprécié la volonté de mener des projets et des réflexions transverses, de faire collaborer l’interne et l’externe, la dynamique de gouvernance, la méthode et la traçabilité.

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