Recevoir la newsletter

Olivier Poinsot : « La mise à égalité des droits du prestataire et du bénéficiaire relève d’une intention idéologique »

Article réservé aux abonnés

La loi du 2 janvier 2002 a changé la donne concernant le droit des usagers, ceux-ci cédant progressivement la place aux « personnes accueillies » ou « accompagnées ». Une évolution positive, qui masque cependant un changement profond de la relation entre le citoyen et la puissance publique. C’est la lecture que propose l’avocat Olivier Poinsot dans un ouvrage très complet sur le sujet.
Pourquoi la question du droit des usagers est-elle devenue centrale depuis la loi du 2 janvier 2002 ?

Cette question a toujours été importante dans les établissements sociaux et médico-sociaux, comme dans la société en général. Personne n’a jamais prétendu que les usagers de ces structures avaient moins de droits que les autres citoyens, ni d’ailleurs qu’il s’agissait de leur accorder des droits supplémentaires. La loi 2002–2 n’a fait que consacrer des droits existants, comme la liberté de conscience, celle d’aller et venir, le respect de la vie privée… Ils ont été reformulés et déclinés pour les adapter au cas particulier des usagers du secteur. Si la loi 2002-2 a insisté sur le droit des usagers, c’est d’abord pour prendre en compte une notion qui n’existait pas auparavant en droit : celle de la dignité de la personne humaine. Le législateur voulait aussi protéger les personnes accueillies ou accompagnées contre les abus éventuels des institutions et contre des situations de maltraitance, graves mais heureusement minoritaires.

Selon vous, cette émergence du droit des usagers s’explique aussi par l’évolution des services publics…

En effet, la gouvernance de notre système de protection sociale a évolué à partir du début des années 1990, comme d’ailleurs l’ensemble des autres politiques publiques, surtout en raison de préoccupations financières visant à limiter l’utilisation des ressources publiques. Cela s’est traduit par l’émergence de ce que l’on a appelé la « nouvelle gouvernance publique », qui a remis en cause le modèle classique du service public à la française. Désormais, les citoyens bénéficiant d’un service public ne sont plus regardés comme des usagers, mais comme des consommateurs engagés dans une relation contractuelle avec un service ou un établissement. Ils se retrouvent assujettis au droit commun en matière de prestation de services.

Est-ce pour cela que l’expression « personne accueillie » ou « accompagnée » remplace de plus en plus le terme « usager » ?

Dans la perspective traditionnelle du service public, il y a, d’un côté, l’administration, chargée d’assurer ce service, et, de l’autre, l’administré ou l’usager. A partir du moment où l’on abandonne cette terminologie pour parler de personnes accueillies, on considère le bénéficiaire de l’intervention non plus comme un numéro, mais comme le centre des préoccupations. C’est le côté positif de la loi 2002-2. Son aspect plus obscur est qu’en changeant de terminologie, la loi cesse de faire référence à un service public reposant sur des missions d’intérêt général. Le prestataire et le bénéficiaire se situent désormais au même niveau et sont théoriquement égaux en droits. Bien sûr, il est positif de reconnaître les droits des personnes, mais cette mise à égalité relève d’une intention idéologique. Il s’agit d’une pétition de principe qui ne recouvre pas la réalité. Sur le terrain, les personnes vulnérables, forcément profanes, font face à des professionnels formés. La relation n’est donc pas équilibrée. En outre, dans un certain nombre de domaines d’intervention, on observe un véritable déficit de places. Ce qui fait que l’usager, lorsqu’il n’est pas satisfait, se retrouve dans ce que j’appelle la position du « gréviste japonais » : il n’est pas content, mais il reste quand même parce qu’il n’a pas le choix. Dans la logique de la nouvelle gouvernance publique, la concurrence est censée optimiser le rapport qualité/prix de la prestation. Mais dans le secteur social et médico-social, cette concurrence n’est pas véritablement organisée, en particulier en raison de cette carence de places dans un certain nombre de domaines et sur certains territoires. En outre, tous les établissements n’ont pas exactement le même projet et ne s’adressent donc pas tout à fait au même public. Cela rend l’offre encore plus opaque.

Cette alliance de la loi et du contrat n’est-elle pas potentiellement source de tensions ?

L’intention du législateur, avec la loi 2002–2, était de mettre en place un système le plus clair et le plus protecteur possible, partant du principe que toute personne accueillie ou accompagnée doit bénéficier d’un lien contractuel avec le service ou l’établissement. L’autorité réglementaire, en application de la loi, impose donc sans discussion des modalités d’utilisation des différents outils créés à cet effet : le projet d’établissement, le livret d’accueil, le conseil de la vie sociale… En ce qui concerne l’engagement contractuel entre l’usager et l’établissement, ce n’est pas en soi une nouveauté juridique et il n’est pas véritablement contradictoire avec les règles posées par la loi et le règlement. Néanmoins, certaines modalités réglementaires ont été contredites par la jurisprudence. Je pense notamment aux délais de conclusion du contrat de séjour et au caractère unilatéral du document individuel de prise en charge. Dans un arrêt de 2005, la Cour de cassation estime en effet que ce qui fait naître le lien contractuel n’est pas la conclusion du contrat, mais le fait que la personne ait été admise dans l’établissement de son plein gré. Les personnes sont réputées être titulaires du contrat de séjour dès leur entrée dans l’établissement. Ce n’est qu’après qu’on formalise celui-ci dans un écrit.

Le contrat de séjour est-il un contrat au sens plein du terme ?

Pour employer une image triviale, il est de même nature que le contrat que vous passez avec votre banque, votre assureur ou votre concessionnaire automobile. Juridiquement, c’est ce qu’on appelle un « contrat de prestation de services », qui met en présence un prestataire et un client ayant tous deux un certain nombre d’obligations. Le premier est tenu d’informer et de conseiller le second sur ses besoins et sur la manière d’y répondre. Il doit, en outre, délivrer la prestation selon l’« état de l’art ». Autrement dit, s’il n’a pas d’obligation de résultat, il doit mettre en œuvre toutes les méthodes conformes aux connaissances du moment. C’est ce qu’on nomme les « bonnes pratiques ». Le client, lui, s’engage à payer le prix de la prestation, même si c’est un tiers qui intervient pour cela – l’assurance-maladie, l’aide sociale départementale, l’aide sociale de l’Etat, etc. – dans le cadre de la subrogation légale. Dans certains cas, la personne doit payer elle-même, par exemple les personnes âgées dépendantes qui ne sont pas admises au bénéfice de l’aide sociale ou les personnes handicapées adultes ayant l’obligation de participer aux frais d’hébergement et d’entretien. Une autre obligation du client est qu’il ne fasse pas obstacle à la prestation par son comportement et qu’il donne au prestataire, durant tout le temps de l’exécution du contrat, les informations utiles et nécessaires à la réalisation de celui-ci. Sachant que l’on parle ici des personnes accueillies dans des établissements de droit privé. Pour le secteur public, c’est un peu différent.

Vous évoquez en conclusion l’évolution du droit de l’usager vers un droit au parcours… De quoi s’agit-il ?

Cette notion est apparue progressivement dans le vocabulaire de la puissance publique pour exprimer deux idées. La première, évidente, est que les personnes vulnérables doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement évolutif dans le temps, en nature et en importance, pour correspondre à leurs besoins et faire en sorte qu’elles ne subissent pas de rupture de parcours. La deuxième est qu’elles puissent passer d’un type d’intervention à un autre, grâce à une sorte de droit de tirage. Reste que si ce droit au parcours doit acquérir une réelle consistance, il va être nécessaire de mieux le définir. La CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie] a indiqué que le parcours, c’est la possibilité pour la personne de voyager, au fil du temps, de prise en charge en prise en charge, en fonction de l’évolution de ses besoins. Le problème est que les dispositifs actuels ne permettent pas aux personnes de changer facilement de mode d’intervention, avec un système qui fonctionne en silo : une case pour chaque type de situation. Pour éviter cet écueil, il faudrait concevoir les interventions sociales et médico-sociales non comme un ensemble de solutions séparées les unes des autres, mais comme un processus. Cela supposerait une souplesse que notre organisation ne permet pas et aussi, probablement, une révolution de la tarification ainsi que la mise en œuvre d’un niveau d’équipement homogène sur l’ensemble du territoire. Nous n’en sommes pas là.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Ancien responsable juridique d’une association, Olivier Poinsot est avocat au barreau de Montpellier. Il exerce des activités de conseil et d’assistance juridiques d’organismes gestionnaires et d’ESMS. Il publie Le droit des personnes accueillies ou accompagnées. Les usagers dans l’action sociale et médico-sociale (LEH Edition, 2016).

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur