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Une politique à la barre du travail social

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La députée (PS) du Pas-de-Calais aura réussi à déminer le chantier de la réforme des diplômes. A la tête du Haut Conseil du travail social, cette femme engagée aux plans politique et social aura besoin de toutes ses qualités de médiatrice pour valoriser le travail social.

Brigitte Bourguignon n’aime pas être en retard. « Avec mon emploi du temps, je ne peux pas me le permettre », explique cette femme de 57 ans déterminée et précise, qui cache derrière son sourire un tempérament « hyper angoissé ». Un trait de caractère que la députée du Pas-de-Calais, élue en 2012, modère grâce à un optimisme à toute épreuve – « Je déteste m’appesantir sur les difficultés de la vie, je fuis les gens qui ont envie que vous pleuriez avec eux » – et dans lequel elle puise une énergie à déplacer des montagnes. Son moteur s’est mis à tourner à plein régime au milieu des années 1990, la conduisant en quelques années d’une position d’encartée PS « pas vraiment militante » à celle de parlementaire très investie sur les sujets relatifs au travail social.

Rien, dans son milieu familial, ne la prédisposait à un tel parcours. Issue d’une famille modeste de quatre enfants (un père ouvrier chaudronnier, une mère au foyer), elle grandit à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) dans « un milieu très pudique où on ne parlait pas de politique ». La « révolte » vient pourtant très tôt, exacerbée par des fins de mois difficiles et une conscience aiguë des injustices sociales qui la place du côté « des gens qui sont portés par une grande utopie ».

Un BTS juridique en poche, elle entre dans la vie active à 20 ans, d’abord comme secrétaire médicale, puis au centre communal d’action sociale (CCAS) de Boulogne-sur-Mer, où elle passe le concours de fonctionnaire de catégorie B. En 1988, chef de service, elle est chargée de la mise en place du RMI – une « révolution de l’aide sociale », précise-t-elle –, dont elle sort marquée par les résistances des intervenants sociaux à travailler ensemble.

« Femme de passions »

Le décès de son mari, en 1995, marque le point de départ de ses « aventures personnelles », rétrospectivement perçues comme une « bouée de sauvetage » : elle quitte le CCAS pour un poste de chargée de mission « politique de la ville » au conseil général du Pas-de-Calais, où elle découvre une dimension plus transversale de l’action sociale. Elle consacre alors le peu de temps libre que lui laissent ses trois jeunes enfants à des engagements associatifs. « A l’arrache, avec les moyens du bord », elle crée avec une amie la première épicerie solidaire du département – qui recevra un prix d’innovation sociale – pour « sortir de la charité et aller vers un système plus digne, plus éducatif ». Puis s’inspire d’une initiative bretonne pour fonder un atelier d’insertion de transformation de poissons, Le Panier de la mer 62, dont le modèle est repris ailleurs et donne naissance à une fédération nationale(1), dont elle est un temps présidente. Dans la foulée, elle lance une autre structure d’insertion de maraîchage biologique. « Je suis bluffée par sa capacité de travail et par sa facilité à tenir tête à ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues », affirme Sophie Cazenave, directrice du Panier de la mer 62.

En parallèle, elle s’investit au Parti socialiste aux côtés de Dominique Dupilet, député du Pas-de-Calais, dont elle intègre l’équipe de campagne électorale – « le début de ma passion pour la politique ». Maire adjointe de Boulogne-sur-Mer de 2001 à 2012, l’ancienne athlète (de l’épreuve du 800 mètres, « ça apprend à jouer des coudes ») devient, en 2008, secrétaire nationale du PS chargée des sports. « J’étais considérée comme une femme de passions, qui avait des convictions et qui savait les porter. » « Elle croit en ce qu’elle fait et applique ce qu’elle dit », confirme Sophie Cazenave. Aujourd’hui membre du conseil national du PS, la députée déplore les prises de position des « frondeurs », se dit « plutôt légitimiste ». « Elle est proche des positions de la CFDT et ne cache pas sa proximité avec le Premier ministre », estime Alain Dru, ancien membre du CSTS au titre de la CGT, avec qui les relations sont très tendues.

Elle a transmis son besoin d’engagement à ses enfants : ses deux filles sont, l’une, assistante sociale et, l’autre, éducatrice spécialisée au conseil départemental du Pas-de-Calais, son fils suit une formation d’éducateur spécialisé. Mais « ce qu’ils disent de leur métier n’est pas toujours positif », déplore-t-elle. Un « discours pessimiste » qui en rejoint d’autres entendus au cours des auditions qu’elle a menées dans le cadre de son rapport « Reconnaître et valoriser le travail social » remis en septembre 2015. Une mission délicate puisqu’il s’agissait, alors qu’une partie du secteur était vent debout contre la proposition d’un diplôme par niveau présentée à la fin 2014 par la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale, de calmer la fronde en proposant, après avoir rencontré l’ensemble des acteurs, « les grandes lignes d’une refonte du travail social ».

De nouveaux défis

« Je croyais avoir six mois devant moi, j’en ai eu quatre. » Ce planning resserré ne l’empêche pas de mener plus de 200 heures d’auditions. Au départ « assez mal à l’aise, sans vision claire, dans un contexte miné », elle explique avoir pris conscience de la nécessité de rétablir le dialogue entre ce qu’elle considère comme les « trois piliers du secteur » : travailleurs sociaux, organisations professionnelles et usagers. Sa méthode et sa connaissance du milieu la rendent crédible auprès des acteurs, même si elle ne fait pas l’unanimité. Auditionnée, Fabienne Quiriau, directrice générale de la Convention nationale des associations de protection de l’enfance, se souvient « de quelqu’un de concentré et d’authentique, très au fait des difficultés rencontrées par les travailleurs sociaux ». Didier Dubasque, ancien président de l’Association nationale des assistants de service social(2), souligne sa « volonté d’agir dans le “réel concret” ».

La députée dit comprendre « l’attachement des travailleurs sociaux à leurs métiers, qui ont chacun leur raison d’être » et défend une position médiane : s’il n’est plus question de faire disparaître les différents diplômes, les travailleurs sociaux devront partager un « socle commun de compétences ». Elle aura au moins eu le mérite de poser un cadre consensuel minimal permettant à la réflexion sur la réingénierie des diplômes de reprendre au sein de la CPC, qui a d’ailleurs adopté son rapport définitif le 15 septembre(3). L’élue a aussi mis le doigt sur le manque criant de connaissance et de reconnaissance du secteur dont « les médias se désintéressent largement ». Sa nomination en juillet dernier à la présidence du Haut Conseil du travail social (HCST) – ex-Conseil supérieur du travail social (CSTS) –, pour lequel elle avait été chargée d’un rapport de préfiguration, lui offre l’opportunité de remédier à cette « invisibilité » : la nouvelle instance devrait, selon elle, « être plus réactive et communiquer davantage »(4).

Sa désignation était attendue ; elle dit néanmoins avoir été surprise, y décèle une volonté soit de nommer « une personne qui n’est pas du sérail », soit de mettre « l’accent sur l’expérience plus que sur l’expertise ». Pour Alain Dru, sa nomination est surtout une « erreur politique : un universitaire aurait joui d’une indépendance qu’elle n’aura pas en cas de changement de majorité politique ». Le choix fait pourtant plutôt consensus : « Grâce à son ouverture d’esprit, elle saura composer avec les extrêmes et adopter une juste distance, mais elle n’aura pas la tâche facile », estime Fabienne Quiriau. « Nous sommes nombreux à placer beaucoup d’espoir dans cette femme compétente et décidée à bouger. Elle devra néanmoins faire avec les syndicats et les associations professionnelles », renchérit Brigitte Bouquet, ex-vice-présidente du CSTS. Les priorités qui lui ont été assignées ? Produire des recommandations sur la participation systématique des personnes aux décisions, réfléchir aux conditions du partage d’information entre travailleurs sociaux et inscrire une définition du travail social dans le code de l’action sociale et des familles. Avec la première séance de travail du Haut Conseil, qui devait se tenir le 22 septembre, la voilà à l’épreuve du feu.

Dates clés

• 1995 Chargée de mission « politique de la ville » au conseil général du Pas-de-Calais

• 1996 Création de la première épicerie solidaire du département

• 2001-2012 Maire adjointe de Boulogne-sur-Mer

• 2012 Elue députée PS

• 2016 Présidente du Haut Conseil du travail social

Notes

(1) Fédération nationale Le Panier de la mer – www.panierdelamer.fr.

(2) Qui siège comme personnalité qualifiée au Haut Conseil du travail social.

(3) Avant sa remise à la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

(4) Voir notre dossier juridique dans les ASH n° 2969 du 15-07-16, p. 55.

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