Elle l’avait promis à une amie de la rue couchée sur son lit de mort à l’hôpital Bichat. Ecrire un livre. Raconter leurs vies. Leurs souffrances, leurs rires aussi, et la violence. « Je t’aiderai du paradis », lui avait affirmé son amie. Alors, avec l’aide d’une journaliste, Anne Lorient – un pseudonyme – a écrit un livre. Cru, sans détours, éprouvant pour le lecteur. Le récit d’une vie fracassée à l’âge de 6 ans, lorsque le frère aîné d’Anne, brillant étudiant sous tous rapports, libère ses pulsions de bourreau : après l’avoir violée, il l’offre à ses copains en échange de places de cinéma. Le calvaire dure jusqu’au départ d’Anne, à 18 ans, pour Paris, où elle espère trouver refuge chez une tante de sa mère. Mais l’accueil est odieux. Prise de court, la parente refuse de l’accueillir, de crainte que ce qui se passe chez Anne ne « dégouline chez elle ». A peine majeure, la jeune fille se retrouve dans la rue. Elle n’en sortira qu’à l’aube de la quarantaine, déformée, le corps meurtri de toutes parts, malade. Disloquée. Mais déterminée à se battre pour ses deux enfants, sa « colonne vertébrale ». Page après page, le récit de ces Années barbares lève le voile sur la violence inouïe qui s’abat sur les femmes de la rue. Le fil conducteur de cette vie de souffrance ? La destruction, commencée avec le premier viol subi dans l’enfance. Revenue de cet univers extrême, elle décrit les difficultés pour venir en aide aux « gens de la rue », écrasés par la peur et la méfiance, cantonnés à un « dialogue poussif, empreint de gêne et de brutalité ». « C’est comme à la guerre, on perd le sens des réalités, écrit-elle. On traite les femmes de putes, elles le deviennent, on leur tend une main, elles la repoussent et frappent de l’autre. » Des années plus tard, Anne Lorient somatise encore. Mais elle se bat pour guérir. « Je ne me plains pas, je témoigne, précise-t-elle. Je partage mon histoire qui est, hélas, universelle. » En espérant qu’elle puisse servir « aux autres victimes qui veulent s’en sortir ».
Mes années barbares
Anne Lorient, avec Minou Azoulay – Ed. de la Martinière – 17 €